Le Maroc s’est fixé un objectif ambitieux à travers la Feuille de route pour l’emploi 2025 : ramener le taux de chômage à 9 % d’ici 2030, contre 13,3 % en 2024. Pour concrétiser cette ambition, le pays devra créer 1,45 million de nouveaux emplois dans un contexte marqué par des défis structurels persistants. Cependant, cette trajectoire exige une accélération significative de la croissance économique et une amélioration de l’élasticité emploi-croissance, qui mesure la capacité de l’économie à transformer la croissance en opportunités d’emploi.
Selon une analyse approfondie menée par Aomar IBOURK et Tayeb GHAZI de l’OCP Policy Center, la réalisation de cet objectif repose sur des scénarios économiques complexes, dont les implications exigent des transformations structurelles majeures. Les projections indiquent qu’une croissance annuelle moyenne de 7,9 % serait nécessaire pour réduire le taux de chômage à 9 %, un rythme nettement supérieur à la tendance actuelle, estimée autour de 3,5 %. Cette ambition s’accompagne de défis considérables, liés à la transformation sectorielle de l’économie, à l’absorption progressive des nouveaux entrants sur le marché du travail, et à l’inclusion économique des jeunes et des femmes, dont la participation au marché du travail demeure limitée à 20 %.
L’objectif de ramener le chômage à un seul chiffre s’inscrit également dans un contexte marqué par des disparités régionales profondes et une prédominance du secteur informel, qui représente entre 20 % et 40 % des emplois urbains. Ces réalités imposent une réflexion approfondie sur les mécanismes d’ajustement structurel nécessaires pour garantir une croissance inclusive et durable, tout en tenant compte des mutations économiques et technologiques en cours.
Trois scénarios pour orienter la trajectoire économique
L’analyse menée par Aomar Ibourk et Tayeb Ghazi identifie trois scénarios distincts pour atteindre les objectifs fixés à l’horizon 2030. Chacun de ces scénarios repose sur des hypothèses différentes quant à la croissance économique, l’élasticité emploi-croissance et l’impact des réformes structurelles envisagées.
Le premier scénario, qualifié d’optimiste mais exigeant, envisage une croissance soutenue de 7,9 % par an. Cette trajectoire repose sur une augmentation drastique de l’élasticité emploi-croissance, qui devrait passer de 0,23 actuellement à environ 0,7 pour permettre la création d’emplois à un rythme suffisant pour absorber les nouveaux entrants sur le marché. Pour atteindre ce niveau de croissance, il serait indispensable d’accélérer la transformation structurelle de l’économie, en orientant les investissements vers des secteurs à forte intensité d’emploi, tels que l’industrie, l’agro-industrie, les services numériques et les énergies renouvelables. Toutefois, cette trajectoire repose sur des hypothèses optimistes qui nécessiteraient une amélioration substantielle de l’environnement des affaires, une augmentation massive des investissements productifs et une montée en compétences des travailleurs pour répondre aux exigences des secteurs stratégiques.
Le deuxième scénario, plus modéré mais réaliste, table sur une croissance annuelle de 4 % qui permettrait d’absorber progressivement les 500 000 nouveaux entrants sur le marché du travail d’ici 2029, tout en maintenant le taux de chômage autour de 11,9 %. Cette trajectoire, bien que plus prudente, nécessiterait des réformes structurelles profondes pour améliorer la productivité, encourager la formalisation de l’emploi et renforcer l’inclusion des jeunes et des femmes. Si ce scénario permet une réduction graduelle du chômage, il resterait toutefois insuffisant pour atteindre l’objectif fixé de 9 %, nécessitant des ajustements supplémentaires pour garantir une meilleure adéquation entre les compétences des travailleurs et les besoins réels du marché.
Le troisième scénario, orienté vers une réforme structurelle progressive, mise sur une amélioration de l’élasticité emploi-croissance grâce à une croissance annuelle de 5 à 6 % combinée à des transformations structurelles ciblées. Cette trajectoire repose sur l’activation de plusieurs leviers stratégiques : le développement des secteurs à forte intensité d’emploi, la modernisation du système de formation professionnelle pour aligner les compétences avec les besoins du marché, et la formalisation progressive du secteur informel. En augmentant l’élasticité à 0,5 ou 0,6, cette approche permettrait de créer 1,2 à 1,5 million d’emplois d’ici 2030, se rapprochant ainsi des objectifs fixés par la Feuille de route. Toutefois, la mise en œuvre efficace de cette trajectoire exige une coordination étroite entre les politiques publiques, les entreprises et les acteurs sociaux, avec un suivi rigoureux des résultats pour ajuster les stratégies en temps réel.
Le rôle stratégique des entreprises et des DRH pour atteindre les objectifs
La réalisation des objectifs fixés dans la Feuille de route pour l’emploi 2025 ne peut être assurée uniquement par des politiques publiques. Les entreprises marocaines et les DRH doivent jouer un rôle central dans l’atteinte de ces ambitions en intégrant des stratégies proactives pour stimuler la création d’emplois, améliorer l’employabilité des jeunes et favoriser l’inclusion économique des femmes.
L’une des priorités consiste à accélérer la transition vers des secteurs à forte intensité d’emploi. L’industrie, l’agro-industrie, les services numériques et les énergies renouvelables offrent des opportunités considérables pour absorber une main-d’œuvre qualifiée et stimuler la croissance économique. En investissant dans ces secteurs stratégiques, les entreprises peuvent non seulement contribuer à la création d’emplois durables, mais aussi améliorer leur compétitivité sur le marché national et international. Parallèlement, les DRH doivent adopter des politiques de formation continue pour accompagner la montée en compétences des collaborateurs, en mettant l’accent sur les technologies émergentes, les compétences digitales et les soft skills nécessaires pour réussir dans un environnement en mutation constante.
La formation professionnelle constitue un levier essentiel pour renforcer l’adéquation entre les compétences des travailleurs et les besoins des entreprises. Les DRH doivent s’impliquer activement dans la co-construction des cursus de formation, en collaboration avec les institutions de formation et les acteurs économiques, pour garantir une meilleure préparation des jeunes aux réalités du marché. L’alternance, les stages professionnalisants et les dispositifs de reconversion professionnelle doivent être renforcés pour maximiser les chances d’insertion des jeunes et des femmes dans les secteurs porteurs.
Par ailleurs, l’inclusion des femmes et des jeunes constitue un levier stratégique pour augmenter le taux de participation au marché du travail. Les DRH doivent mettre en place des politiques inclusives favorisant l’égalité des chances et la diversité au sein des entreprises. Le développement de solutions de garde d’enfants adaptées, la promotion du télétravail et la flexibilité des horaires peuvent également contribuer à lever les obstacles structurels qui freinent la participation des femmes à l’économie formelle.
L’entrepreneuriat représente également un moteur clé pour dynamiser la création d’emplois. Les entreprises et les DRH peuvent soutenir les jeunes entrepreneurs à travers des programmes de mentorat, des facilités d’accès au financement et des dispositifs d’accompagnement technique. Le développement de clusters d’innovation et d’incubateurs régionaux permettra de créer un écosystème favorable à l’entrepreneuriat et à la croissance économique durable.
Vers une croissance inclusive et durable : un défi collectif à relever
Ramener le taux de chômage à 9 % d’ici 2030 constitue un défi stratégique majeur pour le Maroc. Si la Feuille de route pour l’emploi 2025 définit une vision claire et ambitieuse, sa réalisation dépendra largement de la mobilisation des entreprises, des DRH et des acteurs économiques pour transformer les projections en résultats tangibles. L’amélioration de l’élasticité emploi-croissance, l’intégration des jeunes et des femmes dans les secteurs porteurs, ainsi que la promotion de l’entrepreneuriat sont autant de leviers à activer pour garantir une croissance inclusive et durable.
Le succès de cette ambition repose sur une synergie efficace entre les politiques publiques et les initiatives privées, avec une vision partagée pour un marché du travail plus dynamique, inclusif et résilient. En s’engageant activement dans cette dynamique, les entreprises marocaines et les DRH peuvent non seulement contribuer à la réalisation des objectifs nationaux, mais également renforcer leur compétitivité dans un environnement économique de plus en plus compétitif et digitalisé.