Le Maroc entame un nouveau chapitre de son histoire sociale. Cinq ans après l’impulsion donnée par les Hautes Orientations Royales, le dialogue social ne se limite plus à un rituel de négociation annuelle. Il s’institutionnalise, se structure et transforme progressivement la relation entre partenaires sociaux, État et entreprises. Pour les directeurs des ressources humaines, cette évolution dépasse les cercles institutionnels : elle redéfinit en profondeur les pratiques managériales, la gestion des carrières et l’architecture même du contrat social en entreprise.
Une institutionnalisation progressive, mais structurante
C’est en avril 2022 qu’un tournant majeur a été amorcé avec la signature du Pacte national pour l’institutionnalisation du dialogue social. Une première dans l’histoire marocaine : gouvernement, syndicats, CGEM et COMADER se sont accordés pour installer un dialogue social régulier, suivi et centralisé. Exit les négociations à géométrie variable. Place à une gouvernance cadrée, avec des cycles définis, des mécanismes de suivi et une logique de co-construction.
Pour les DRH, ce nouveau cadre présente plusieurs atouts :
- Une visibilité renforcée sur les évolutions réglementaires ;
- Un socle plus stable pour bâtir les politiques de rémunération et de gestion prévisionnelle des emplois ;
- Une opportunité pour intégrer le dialogue social dans la stratégie globale de l’entreprise.
Ce n’est plus une affaire de conjoncture, mais un processus continu.
Des résultats concrets : salaires, retraites, couverture sociale
Deux accords majeurs, conclus respectivement en avril 2022 et avril 2024, illustrent les avancées mesurables de cette dynamique.
Salaires : hausse significative et convergence des minima
Dans la fonction publique, la revalorisation de 1 000 dirhams nets par mois – étalée en deux tranches – représente un signal fort, avec un objectif affiché : hisser le salaire moyen à 10 100 dirhams d’ici 2026. Le secteur privé n’est pas en reste. Le SMIG a été revu à la hausse (+15 %), tout comme le SMAG (+20 %). Ces ajustements s’accompagnent d’une ambition de convergence progressive des deux minimums d’ici 2028.
Retraites : une réforme en construction
Autre chantier de taille : la réforme du système de retraite. Une commission tripartite a été installée pour travailler sur un projet global visant à garantir à la fois la soutenabilité financière des régimes et la protection des droits acquis. Pour les entreprises, et notamment les DRH, cette réforme exigera un accompagnement fin : communication interne, refonte des dispositifs de départ, adaptation des régimes complémentaires.
Protection sociale : cap sur l’universalité
L’extension de la couverture sociale à de nouvelles catégories de travailleurs – notamment les indépendants – marque une étape vers une société plus équitable. Le lien entre contribution et solidarité devient un enjeu stratégique, que les entreprises devront intégrer dans leurs démarches RSE et leurs politiques RH.
Une gouvernance sociale sous contrôle, mais exigeante
L’un des éléments majeurs du nouveau modèle marocain repose sur un suivi resserré. Désormais, les réunions tripartites sont présidées par le Chef du gouvernement, conférant à la démarche un poids politique inédit. Cette haute supervision génère une nouvelle attente de résultats. Il ne s’agit plus de dialoguer pour dialoguer, mais de produire des impacts tangibles.
Les DRH doivent ainsi composer avec :
- Une réactivité renforcée pour mettre en œuvre les accords ;
- Une exigence de dialogue interne avec les partenaires sociaux pour garantir la bonne appropriation des mesures ;
- Une vigilance accrue face au risque de non-conformité ou de conflit social.
L’adaptation devient une compétence stratégique.
Zones de tension et points d’achoppement
Mais tout n’est pas pacifié. Les organisations syndicales continuent de porter un cahier revendicatif conséquent :
- Une revalorisation générale des salaires pour faire face à l’inflation ;
- L’adoption d’une loi contraignante sur le dialogue social régulier ;
- Le respect total des libertés syndicales, en particulier dans le cadre du projet de loi sur le droit de grève ;
- L’ouverture effective des négociations sectorielles, notamment dans l’éducation, la santé et les collectivités territoriales.
Autant d’enjeux qui maintiennent un climat social sous tension. Pour les DRH, cela signifie :
- Des risques de mouvements sociaux localisés, mais impactants ;
- Une pression croissante pour agir comme courroie de transmission entre la stratégie nationale et la réalité du terrain ;
- La nécessité de jouer un rôle actif dans la médiation et l’apaisement.
Une opportunité pour repositionner la fonction RH
Loin de se cantonner à un rôle de mise en œuvre, le DRH devient un acteur central du dialogue social. Ce repositionnement s’accompagne de nouvelles missions et responsabilités :
- Accompagner le changement : chaque réforme sociale implique des dispositifs d’appropriation, des modules de formation et un travail de communication interne ;
- Valoriser la culture du dialogue : au-delà des obligations légales, la mise en place d’espaces de négociation renforce la qualité du climat social et la motivation des équipes ;
- Renforcer la marque employeur : un dialogue social fluide et structuré est aujourd’hui un argument clé pour attirer les talents, notamment les jeunes générations en quête de transparence et de justice sociale.
Face à cette mutation, la montée en compétence des équipes RH devient essentielle. Il ne suffit plus de connaître le Code du travail : il faut savoir négocier, interpréter les signaux faibles du climat interne, formaliser des accords, évaluer les risques sociaux, intégrer les enjeux ESG et mobiliser les collectifs autour de projets communs.
De plus, de nouveaux outils émergent : baromètres sociaux, cellules d’écoute, simulateurs d’impact des réformes… Le dialogue social entre ainsi dans une phase de professionnalisation, où l’anticipation prime sur la réaction.
Perspectives : une transformation systémique à poursuivre
Le dialogue social n’est plus une variable d’ajustement. Il est devenu un levier structurant du modèle de développement marocain. L’ambition est claire : faire converger croissance économique, équité sociale et stabilité institutionnelle.
Pour les DRH, les chantiers à venir sont nombreux :
- Accompagner la réforme du Code du travail, annoncée comme prioritaire par l’exécutif ;
- Contribuer activement au déploiement des négociations sectorielles ;
- Intégrer les dimensions ESG dans les accords sociaux, en lien avec les nouveaux standards internationaux.
Le 1er mai 2025 restera ainsi comme une date charnière. Non pas pour son symbolisme, mais pour ce qu’elle révèle : la montée en puissance d’un dialogue social marocain rénové, exigeant, et porteur d’avenir.