Avec 1 038 133 postes recensés en 2024, le secteur industriel s’affirme comme une composante essentielle du tissu productif national. La croissance de +4,3 % par rapport à 2023 s’appuie sur un niveau record d’investissement : 89,7 milliards de dirhams, soit une progression de 30 %. L’emploi industriel découle désormais d’investissements ciblés et non plus d’embauches massives à faible valeur ajoutée. L’industrie marocaine se transforme en profondeur : elle s’appuie sur la compétence plutôt que sur le coût, sur la productivité plutôt que sur le volume.
Chaque emploi créé reflète un besoin technique croissant : maintenance, automatisation, gestion numérique de la production ou contrôle de la qualité. La croissance de l’emploi devient ainsi un indicateur de sophistication du système productif autant qu’un signal social.
Automobile et textile : la bascule des équilibres
L’année 2024 a consacré une reconfiguration majeure du paysage industriel. Le secteur automobile est désormais le premier employeur industriel du pays avec 251 440 emplois, soit 24,2 % du total. Il dépasse le textile et cuir, longtemps en tête, qui compte 246 092 postes. Depuis 2021, les effectifs de l’automobile ont bondi de 64 %, tirés par la montée en puissance de Tanger Med, Kénitra et Casablanca. Les chaînes de production, la logistique et les écosystèmes d’équipementiers recrutent à grande échelle, mais dans des métiers de plus en plus techniques.
Le textile, quant à lui, enregistre une baisse de 4 %. Son faible rendement — à peine 78 000 dirhams de valeur ajoutée par emploi et par an — illustre les limites d’un modèle fondé sur la main-d’œuvre peu qualifiée. La question de la reconversion devient cruciale : les compétences issues du textile peuvent-elles être transférées vers des métiers d’assemblage mécanique, d’électronique ou de maintenance ? Sans dispositifs de formation adaptés, la transition sectorielle risque d’accentuer les fractures sociales et territoriales.
Tableau 1 – Répartition et évolution de l’emploi industriel au Maroc en 2024
| Secteur | Effectif total | Part de l’emploi industriel | Évolution annuelle | Productivité moyenne (DH/an) | Lecture économique |
| Automobile | 251 440 | 24,2 % | +10 % | 226 100 | Premier pôle d’emplois formels et moteur d’export |
| Textile & Cuir | 246 092 | 23,7 % | – 4 % | 78 300 | Secteur historique en retrait, faible rendement |
| Agroalimentaire | 209 002 | 20,1 % | +0,3 % | 257 900 | Stabilité et ancrage régional fort |
| Chimie & Parachimie | 83 844 | 8,1 % | +6 % | 596 300 | Secteur le plus productif, orienté innovation |
| Mécanique & Métallurgie | 75 479 | 7,3 % | +13 % | 202 800 | Forte croissance et besoin accru de techniciens |
| Pharmaceutique | 18 643 | 1,8 % | +17 % | 470 100 | Secteur stratégique à haute valeur ajoutée |
| Électrique & Électronique | 37 641 | 3,6 % | +11 % | 201 900 | Spécialisation technologique en expansion |
Les nouveaux moteurs : industries à haute valeur ajoutée
La moitié de la valeur ajoutée industrielle marocaine provient désormais de secteurs de moyenne et haute technologie. En dix ans, leur part est passée de 38,6 % à 50,5 %. Cette mutation traduit une montée en compétence du capital humain. Les entreprises recherchent des techniciens supérieurs, des ingénieurs en robotique, en mécatronique, en électronique ou en chimie de précision. L’usine marocaine d’aujourd’hui combine automatisation, digitalisation et contrôle qualité avancé.
Dans la chimie et la pharmacie, la productivité dépasse 470 000 à 600 000 dirhams par emploi et par an, contre moins de 80 000 dans le textile. L’écart structurel souligne la centralité de la connaissance dans la création de valeur. La spécialisation technique devient la principale variable de compétitivité.
Tableau 2 – Valeur ajoutée moyenne par emploi selon le secteur (2024)
| Secteur | Valeur ajoutée moyenne par emploi (DH/an) | Ratio vs textile | Lecture économique |
| Textile & Cuir | 78 265 | 1× | Bas de gamme, forte intensité de main-d’œuvre |
| Automobile | 226 100 | 2,9× | Équilibre entre volume et technicité |
| Électrique & Électronique | 201 900 | 2,6× | Filière technologique en croissance rapide |
| Mécanique & Métallurgie | 202 800 | 2,6× | Spécialisation technique, montée en qualification |
| Pharmaceutique | 470 140 | 6,0× | Haute productivité et forte intensité R&D |
| Chimie & Parachimie | 596 314 | 7,6× | Secteur leader de la valeur et de l’innovation |
| Agroalimentaire | 257 900 | 3,3× | Filière stable, compétitivité régionale |
Ces écarts de productivité structurent désormais la hiérarchie des salaires et des compétences. Les filières les plus productives concentrent les investissements et attirent les talents techniques. La montée de la valeur ajoutée par emploi illustre la transition d’une économie manufacturière vers une économie d’ingénierie et de savoir-faire.
Les territoires de l’emploi industriel
Trois régions concentrent près de 78 % de l’emploi industriel :
- Casablanca-Settat (35,4 %), pôle historique et siège des grandes entreprises ;
- Tanger-Tétouan-Al Hoceïma (28,9 %), moteur exportateur ;
- Rabat-Salé-Kénitra (13,3 %), ancrée dans l’écosystème automobile.
Mais la dynamique se déplace. Souss-Massa affiche une croissance de +9,2 % en 2024, portée par la diversification de son tissu productif, notamment vers la mécanique et les composants automobiles. Tanger reste un modèle de performance, avec une progression de +8,9 % des effectifs industriels et une hausse de 23 % des emplois automobiles régionaux.
Ces mutations redessinent la carte de la formation et de l’emploi. Les pôles émergents comme Fès-Meknès et Béni Mellal-Khénifra deviennent des laboratoires de développement industriel, nécessitant une montée rapide des capacités de formation technique.
L’enjeu central de la formation
L’essor des filières technologiques a révélé la fragilité du système de formation. Les besoins se concentrent sur des compétences spécifiques : automatisme, robotique, contrôle qualité, maintenance industrielle et ingénierie de la production. Les structures de formation professionnelle — centres techniques, instituts spécialisés, universités — doivent s’adapter à cette demande qualitative. Trop de filières restent encore déconnectées des exigences réelles des usines.
L’apprentissage en alternance, les formations en situation de travail et la certification des compétences deviennent des priorités. Le modèle de Kénitra, où constructeurs et instituts collaborent étroitement, montre l’efficacité de cette approche. L’enjeu est désormais national : élever le niveau moyen de qualification pour maintenir la dynamique de création d’emplois industriels à haute valeur ajoutée.
La féminisation industrielle en question
L’industrie marocaine compte 41 % de femmes, mais la répartition reste très contrastée. Le textile, avec 63 % de femmes, demeure la principale filière féminisée, suivi de l’agroalimentaire (47 %) et de la pharmacie (47 %). À l’opposé, les secteurs en forte croissance — automobile, mécanique, électronique — affichent des taux de féminisation bien plus faibles. Cette transition structurelle risque d’entraîner une baisse relative de la participation féminine à l’emploi industriel, à moins que la formation technique ne soit délibérément ouverte aux femmes dans les filières émergentes.
Tableau 3 – Parité et leadership féminin dans l’industrie (2024)
| Secteur | Part de femmes (%) | Leadership féminin (%) | Écart | Lecture économique |
| Pharmaceutique | 47 | 32 | 15 | Filière la plus inclusive |
| Aéronautique | 39 | 24 | 15 | Montée de la mixité technique |
| Textile & Cuir | 63 | 17 | 46 | Présence massive mais faible promotion |
| Automobile | 42 | 9,6 | 32 | Faible accès aux postes d’encadrement |
| Mécanique & Métallurgie | 12 | 8,3 | 3,7 | Secteur le moins féminisé |
La montée en puissance des femmes dans les filières technologiques sera un indicateur clé de l’équilibre social du modèle industriel marocain.
La productivité, nouvel indicateur de transformation
L’écart de productivité entre les secteurs industriels atteint un rapport de 1 à 7. Cette différence traduit une mutation profonde : le travail manuel laisse place à des métiers d’ingénierie, de maintenance et de conception. La valeur ajoutée par emploi devient l’indicateur le plus pertinent pour mesurer la compétitivité. L’amélioration continue des procédés, la digitalisation et la montée des standards qualité tirent la production vers le haut.
L’investissement dans la formation technologique, la recherche appliquée et l’innovation organisationnelle s’impose comme le principal levier pour consolider ces gains. Le Maroc dispose d’un socle industriel solide ; il lui reste à transformer cette base quantitative en capital de compétences durable.
L’industrie marocaine vit une recomposition silencieuse. Les métiers changent de nature, les territoires gagnent en spécialisation, et la valeur du travail se redéfinit autour du savoir-faire et de la connaissance. Les 42 700 emplois créés en 2024 ne reflètent pas seulement une croissance économique, mais une mutation structurelle du marché de l’emploi : moins de main-d’œuvre non qualifiée, plus de techniciens, d’ingénieurs et de spécialistes capables d’accompagner la montée en gamme du pays.
La compétitivité industrielle dépend désormais de la maîtrise des compétences, de la formation continue et de la capacité à anticiper les besoins technologiques. C’est à cette condition que l’industrie marocaine consolidera durablement sa place parmi les économies productives les plus dynamiques.
Consultez le rapport complèt ci-après :







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