“Ce qui ne se mesure pas ne se gère pas, et ce qui ne se gère pas ne s’améliore pas.” Cet adage managérial, maintes fois éprouvé, revêt une acuité particulière pour les Directions des Ressources Humaines (DRH) engagées dans une démarche de transformation et de positionnement stratégique. Sans mesure rigoureuse, la stratégie RH risque de rester un ensemble de bonnes intentions, déconnectée des réalités opérationnelles et incapable de prouver sa contribution tangible à la performance globale de l’organisation.
L’élaboration d’objectifs RH et la définition de critères de succès constituent la quatrième étape clé du processus de création d’une stratégie RH selon Gartner. Cette phase intervient logiquement après la compréhension de la stratégie de l’entreprise, l’identification des compétences futures et l’évaluation des capacités actuelles. Elle vise à concrétiser la vision en cibles précises et à mettre en place les outils de pilotage qui permettront de suivre la progression et d’évaluer l’efficacité des actions entreprises. Pour les DRH au Maroc et en Afrique, où les enjeux de développement du capital humain sont considérables et les ressources parfois contraintes, cette capacité à mesurer l’impact des investissements RH est un gage de crédibilité et d’efficience. Il s’agit de passer d’une RH perçue comme un centre de coûts à une RH reconnue comme un centre de valeur.
La mesure : ancrage de la crédibilité stratégique RH
La définition d’objectifs clairs et de critères de succès mesurables répond à plusieurs impératifs. D’abord, elle permet de focaliser les efforts et les ressources de la fonction RH sur les priorités qui comptent réellement pour l’entreprise. En l’absence d’objectifs précis, les équipes RH risquent de se disperser dans une multitude d’activités, sans garantie d’impact stratégique. Ensuite, la mesure fournit un cadre pour évaluer la performance de la stratégie RH. Elle permet de savoir si les actions mises en œuvre produisent les effets escomptés et si la fonction RH est en bonne voie pour atteindre ses ambitions.
De plus, des indicateurs de performance bien choisis facilitent la communication avec les autres parties prenantes de l’entreprise, notamment la direction générale et les responsables métiers. En présentant des données chiffrées et des résultats concrets, la DRH peut démontrer sa contribution à la stratégie globale, justifier ses demandes de budget et renforcer son influence au sein de l’organisation. Enfin, la mesure est un outil essentiel d’amélioration continue. En analysant les résultats obtenus, la DRH peut identifier les points forts et les points faibles de sa stratégie, comprendre ce qui fonctionne et ce qui doit être ajusté, et ainsi affiner son approche dans la durée.
Gartner souligne l’importance de réfléchir à ce qui définit le succès à long terme pour la fonction RH et à la manière de prioriser ces objectifs en fonction de ce qui sera le plus utile pour soutenir la stratégie de l’organisation. Cette réflexion est fondamentale pour s’assurer que les efforts de mesure sont concentrés sur les aspects les plus critiques.
Traduire la vision business en ambitions RH concrètes
La première étape dans la définition des objectifs RH est de s’assurer qu’ils découlent directement des objectifs stratégiques de l’entreprise. Le modèle de Gartner illustre cette cascade : les objectifs stratégiques RH doivent être définis en fonction des objectifs business. Par exemple, si un objectif de l’entreprise est d’accroître sa part de marché dans un nouveau segment, un objectif RH pourrait être de recruter et de former une force de vente spécialisée dans ce segment. Si l’entreprise vise à améliorer son innovation, un objectif RH pourrait être de développer une culture de créativité et de prise de risque, ou d’attirer des talents dotés de compétences spécifiques en R&D.
À partir de ces objectifs stratégiques RH, il convient ensuite d’identifier les objectifs de talent potentiels. Si l’objectif RH est de “soutenir l’expansion du marché par acquisition”, les objectifs de talent pourraient être “acquérir de nouveaux collaborateurs” et “relocaliser le personnel actuel”. Cette déclinaison assure une cohérence d’ensemble et garantit que les actions RH sont bien au service de la stratégie globale. Il est crucial de se demander ce qui définit le succès à long terme pour la fonction RH et comment hiérarchiser ces objectifs en fonction de leur utilité pour soutenir la stratégie de l’organisation.
L’art de choisir ses batailles : prioriser les objectifs RH
Face à la multiplicité des enjeux, il est essentiel de prioriser les objectifs RH. Toutes les actions n’ont pas le même impact ni la même urgence. Gartner conseille de se concentrer sur les objectifs qui apporteront la contribution la plus significative à la stratégie de l’organisation. Cette priorisation doit se faire en concertation avec la direction générale et les responsables métiers, afin de s’assurer d’un alignement et d’un soutien partagés.
Une fois les objectifs prioritaires identifiés, il faut les formuler de manière claire, précise et, si possible, ambitieuse mais réaliste. Un bon objectif RH doit être “SMART” : Spécifique (clair et bien défini), Mesurable (quantifiable), Atteignable (réaliste compte tenu des ressources et des contraintes), Relevant (pertinent par rapport aux enjeux de l’entreprise) et Temporellement défini (avec une échéance claire). Par exemple, au lieu de dire “améliorer la formation”, un objectif SMART pourrait être “Augmenter de 20% le taux de certification des ingénieurs aux nouvelles technologies X et Y d’ici la fin de l’année fiscale”.
KPIs RH : les balises de la performance et du succès
Après avoir développé les objectifs, l’étape suivante consiste à identifier les meilleurs indicateurs (KPIs – Key Performance Indicators) qui décrivent le niveau de performance de la fonction RH actuellement et à utiliser ces mêmes indicateurs pour mesurer la performance future. Gartner recommande de sélectionner entre 4 et 7 indicateurs de performance clés. Ce nombre restreint permet de se concentrer sur l’essentiel et d’éviter la “paralysie par l’analyse” que peut engendrer un excès d’indicateurs.
Ces mesures doivent être spécifiques, quantifiables et clairement liées à la performance souhaitée. Elles doivent permettre de suivre les progrès réalisés vers l’atteinte des objectifs et d’alerter en cas de dérive. Le choix des KPIs dépendra des objectifs spécifiques de chaque DRH, mais ils peuvent couvrir différentes dimensions :
- Acquisition des talents : délai moyen de recrutement, coût par embauche, qualité des nouvelles recrues (performance à 6 mois, taux de rétention à 1 an).
- Développement des compétences : nombre d’heures de formation par employé, taux de complétion des programmes de formation, progression des compétences évaluées.
- Engagement et rétention : taux d’engagement des collaborateurs, taux de turnover (global et pour les talents clés), taux d’absentéisme.
- Performance et productivité : productivité par employé, atteinte des objectifs de performance individuelle, contribution des équipes aux résultats de l’entreprise.
- Culture et climat social : indicateurs issus des enquêtes de climat social, perception de la qualité du management, nombre de conflits.
L’important est que ces KPIs soient pertinents, fiables et faciles à collecter et à interpréter. Ils doivent constituer un véritable tableau de bord pour la DRH, lui permettant de piloter sa stratégie avec agilité.
Des objectifs aux actions : orchestrer la contribution des fonctions RH
Une fois les objectifs de talent identifiés, il faut ensuite réfléchir aux actions RH concrètes nécessaires pour les atteindre. Le document de Gartner illustre cette démarche avec un exemple clair : si l’objectif stratégique RH est de “Soutenir l’expansion du marché via acquisition”, et que les objectifs de talent sont “Acquérir de nouveaux collaborateurs” et “Relocaliser le personnel actuel”, alors les actions RH pourraient inclure “Recruter localement”, “Absorber le talent des entreprises acquises”, “Sélectionner et préparer les employés au changement” et “Développer des packages de relocalisation”.
La dernière étape de ce processus est de déterminer l’implication des différentes sous-fonctions RH. Dans l’exemple précédent, “Recruter localement” et “Absorber le talent des entreprises acquises” impliqueraient la fonction “Acquisition de talents” et potentiellement “Rémunération et avantages”. “Sélectionner et préparer les employés au changement” et “Développer des packages de relocalisation” feraient appel à “l’Acquisition de talents”, “l’Apprentissage et le développement”, ainsi qu’à la “Rémunération et avantages”. Cette répartition claire des rôles et des responsabilités est essentielle pour une exécution coordonnée et efficace de la stratégie.
Le tableau de bord RH : piloter pour l’impact continu
La mise en place d’objectifs et de KPIs n’est pas une fin en soi. Ces outils ne prennent tout leur sens que s’ils sont utilisés activement pour piloter la stratégie RH et pour l’ajuster en continu. Il est donc crucial de mettre en place un système de suivi régulier des indicateurs, d’analyser les résultats, de comprendre les écarts par rapport aux cibles et de prendre les mesures correctives nécessaires. Ce suivi peut prendre la forme de revues de performance trimestrielles, de réunions d’équipe dédiées, ou d’un tableau de bord RH accessible en temps réel.
La transparence sur les résultats est également importante. Partager les performances de la fonction RH avec les autres directions et avec les collaborateurs contribue à renforcer la crédibilité, à maintenir la mobilisation et à encourager une culture de la performance et de l’amélioration continue. En définitive, la mesure de l’impact RH est un voyage, pas une destination. C’est une discipline exigeante mais indispensable pour toute DRH qui aspire à jouer un rôle stratégique de premier plan et à maximiser la contribution du capital humain à la réussite de son entreprise. La question fondamentale pour chaque DRH est : dans quelle mesure notre système actuel de mesure nous permet-il réellement de comprendre, de piloter et de valoriser l’impact de nos actions sur les priorités de l’entreprise ?