L’Espagne a longtemps été citée comme l’un des pays européens les plus vulnérables aux crises de l’emploi, marqué par un chômage structurel élevé et une dépendance aux secteurs saisonniers. Le record atteint en septembre 2025, avec plus de 21,7 millions d’affiliés à la Sécurité sociale, marque un basculement vers un modèle plus robuste et inclusif. Ce résultat n’est pas le fruit du hasard mais celui d’une série de réformes structurelles menées depuis 2022. L’analyse de cette évolution permet de mieux comprendre comment un marché du travail fragilisé a pu se transformer en profondeur. Elle invite aussi à réfléchir aux leçons utiles pour le Maroc, qui partage avec son voisin ibérique des défis liés à la précarité, au chômage des jeunes et à l’informalité.
Réformes structurelles et mutation du marché du travail espagnol
Le cœur de cette dynamique réside dans la réforme du marché du travail entrée en vigueur en février 2022. Elle a ciblé l’un des points noirs de l’économie espagnole : l’excès de contrats temporaires. Pendant des décennies, l’Espagne affichait le taux de travail temporaire le plus élevé d’Europe, alimentant la précarité et freinant la productivité. La réforme a drastiquement limité l’usage de ce type de contrats, favorisant au contraire l’adoption du contrat à durée indéterminée (CDI).
Trois ans après, les résultats sont tangibles : le taux de contrats temporaires est tombé sous les 12 %, un plancher historique. Plus de 4 millions de CDI supplémentaires ont été signés, donnant une stabilité nouvelle à des millions de travailleurs. La désaisonnalisation du marché de l’emploi, en particulier dans le tourisme – secteur clé mais cyclique – a également renforcé cette évolution. Le nombre de travailleurs bénéficiant de contrats stables s’est accru, réduisant les fluctuations saisonnières et consolidant la protection sociale.
Un autre pilier de la réussite espagnole réside dans l’inclusion. Les femmes et les jeunes ont bénéficié de ces réformes, alors qu’ils figuraient auparavant parmi les catégories les plus touchées par la précarité. Cette orientation traduit une volonté politique de réduire les inégalités structurelles et de renforcer la cohésion sociale.
L’amélioration qualitative de l’emploi : un facteur décisif
L’augmentation quantitative de l’emploi s’est accompagnée d’une amélioration qualitative notable. Les bases de cotisation, indicateur central pour évaluer la solidité des emplois créés, ont progressé de 23,4 % depuis 2019. Cela signifie que les nouveaux emplois sont mieux rémunérés et associés à des protections plus solides. En janvier 2025, le Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance (SMIC) a encore été revalorisé de 4,4 %, contribuant à une hausse du pouvoir d’achat et soutenant la consommation intérieure.
Cette évolution est loin d’être anecdotique. Elle reflète une orientation économique où l’emploi stable devient un moteur de croissance durable. Elle montre aussi que la qualité des emplois importe autant que leur nombre : un emploi stable et correctement rémunéré renforce la confiance des ménages et stimule l’investissement. En réduisant la précarité, l’Espagne a renforcé la résilience de son économie face aux chocs externes.
Facteurs complémentaires de la réussite espagnole
Au-delà des réformes contractuelles et salariales, d’autres éléments expliquent ce succès. La formation professionnelle a été adaptée aux besoins des entreprises, en réduisant le décalage entre offre et demande de compétences. Ce chantier, mené en lien avec les partenaires sociaux et les entreprises, a limité les phénomènes de surqualification et de sous-qualification, fréquents sur le marché espagnol.
Par ailleurs, la main-d’œuvre étrangère a joué un rôle non négligeable. En septembre 2025, plus de 13 % des cotisants à la Sécurité sociale étaient des travailleurs étrangers. Parmi eux, près de 342 000 Marocains. Ces derniers occupent des postes clés dans l’agriculture, le bâtiment, la restauration ou les services à la personne, contribuant de manière directe à cette dynamique d’emploi. Ce flux migratoire, bien encadré, constitue aussi un lien économique et social structurant entre les deux pays.
Enfin, la stabilité macroéconomique de l’Espagne et son appartenance à la zone euro ont consolidé l’attractivité du pays pour les investisseurs, générant un climat favorable à la création d’emplois de qualité.
Maroc : entre défis structurels et pistes de transformation
La comparaison avec le Maroc est éclairante. Le Royaume fait face à un chômage structurel, particulièrement élevé chez les jeunes (près de 37,7 % pour les 15-24 ans) et les femmes. Le secteur informel, qui concentre une part importante de l’activité, prive de nombreux travailleurs d’une couverture sociale et d’une sécurité de l’emploi. Malgré des efforts récents – généralisation progressive de la protection sociale, programmes de formation professionnelle, investissements dans les infrastructures – le chemin reste long pour parvenir à une amélioration durable.
L’exemple espagnol offre plusieurs enseignements stratégiques. En premier lieu, la réduction de la précarité doit être une priorité. La généralisation des contrats stables et l’encadrement des formes atypiques d’emploi sont essentiels pour consolider la protection sociale et renforcer la confiance économique. Ensuite, la formation professionnelle doit être alignée plus étroitement sur les besoins des entreprises, en impliquant davantage les secteurs productifs. La réforme du système éducatif et la montée en puissance de l’OFPPT vont dans ce sens, mais leur impact doit être accéléré et évalué.
Enfin, la promotion de l’égalité des genres dans l’accès à l’emploi est une dimension incontournable. L’inclusion des femmes sur le marché du travail marocain reste insuffisante, avec un taux d’activité parmi les plus faibles de la région. La mise en place de politiques ciblées pourrait générer un impact significatif en matière de croissance et de cohésion sociale.
Coopération maroco-espagnole : un levier à exploiter
La réussite espagnole constitue aussi une opportunité de coopération renforcée. Les 342 000 Marocains affiliés à la Sécurité sociale espagnole représentent un vivier de compétences, mais aussi un pont économique et social entre les deux pays. Les transferts financiers qu’ils génèrent alimentent l’économie marocaine, mais la valeur ajoutée pourrait être accrue par des programmes conjoints de formation et de mobilité des compétences.
Des initiatives bilatérales pourraient par ailleurs favoriser le partage de bonnes pratiques en matière de gestion du marché du travail, de dialogue social et d’adaptation des compétences. L’Espagne et le Maroc, voisins géographiques et partenaires économiques majeurs, disposent d’une complémentarité évidente dans ce domaine. Les partenariats institutionnels, déjà actifs dans certains secteurs comme l’agriculture ou la pêche, pourraient être élargis au champ de l’emploi et de la formation.
Perspectives pour le Maroc
Pour relever le défi de l’emploi, le Maroc doit accélérer la mise en œuvre d’une stratégie globale combinant quatre axes : formalisation progressive du secteur informel, alignement de la formation sur les besoins du marché, inclusion accrue des femmes et des jeunes, et amélioration des conditions salariales. Le Pacte ESRI 2030 et les réformes en cours de la protection sociale offrent une base solide, mais nécessitent une cohérence et une accélération.
La dynamique espagnole rappelle qu’il n’existe pas de solution unique, mais qu’une combinaison cohérente de réformes peut transformer profondément un marché du travail. Pour le Maroc, cette leçon est précieuse : seule une vision intégrée et des réformes suivies dans la durée permettront de créer des emplois stables, de renforcer la compétitivité et d’assurer une cohésion sociale durable.
En septembre 2025, l’Espagne a prouvé qu’un marché du travail historiquement fragile pouvait se transformer grâce à des choix stratégiques assumés. Le Maroc, confronté à des défis similaires, peut y trouver des pistes concrètes pour bâtir une économie de l’emploi plus résiliente, inclusive et compétitive.







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