La notion d’un PDG ou du président en tant que ‘leader’ a gagné du terrain au cours des dernières années, et est devenue une sorte de savoir indépendant, traitée comme son propre domaine. A tel point que l’anglicisme est directement emprunté. Largement utilisé pour désigner un rôle spécifique dans le fonctionnement interne des entreprises et des organisations, ce terme a une signification très nuancée. Les leaders sont plutôt des moteurs d’innovation et de créativité. Surtout dans le marché d’aujourd’hui, l’essai de nouvelles méthodes, et la remise en question des modèles préexistants sont essentiels. Le monde du business s’est rendu compte que de telles transformations ne peuvent se produire que grâce à une vision globale et bien documentée.
La transformation du rôle d’un leader se manifeste dans le changement qu’a connu le fonctionnement de plusieurs entreprises aujourd’hui. Les chefs d’entreprise ne sont pas seulement des administrateurs ou des gestionnaires qui veillent à ce que le quota soit atteint et que tout se déroule comme prévu. Le développement de nouveaux modèles et idées, qui maintiendront l’avantage concurrentiel de l’entreprise dans un marché de plus en plus volatil, est de leur responsabilité.
Cette notion existe depuis au moins l’apogée de la révolution industrielle. Cependant, compte tenu des divers facteurs et conditions qui composent le paysage commercial moderne et l’économie mondiale intégrée, la cadence de l’innovation est plus accélérée aujourd’hui qu’auparavant, de même pour la révision de plusieurs principes de gestion organisationnelle et d’entreprise qui ont été tenus pour acquis. Cette remise en cause des méthodes connues appliquées, qui est due aux transformations des industries et aux tendances économiques, devient une véritable piste pour les futurs développements. Dans un paysage marqué par une VUCA (Volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté) croissante, une économie globale plus intégrée et presque sans frontières, les innovations révolutionnaires et la disruption des industries deviennent épisodiques. Dans presque tous les aspects du fonctionnement de l’entreprise, notamment la gestion RH, du recrutement et de la rétention des talents aux processus de production, à la gestion et à la communication interne, l’entreprise est désormais innovatrice, guidée par la vision d’un leader.
De nos jours, et en grande partie à cause des nombreux exposés de presse et les reportages sur des actes répréhensibles des entreprises et des PDG, ainsi que la récente pandémie, l’image de leadership que la plupart des chercheurs et des publications applaudissent et acclament, semble plus un idéal qu’une réalité pratique (dans certains pays et industries plus que d’autres). Cela par contre ne change rien au fait que la nouvelle réalité commerciale nécessite un tel modèle de leadership.
Au Maroc, comme dans de nombreux autres pays, la récente pandémie a révélé plusieurs faiblesses structurelles dont ont souffert de nombreuses organisations et entreprises. Celles-ci étaient davantage liées à l’adaptation à un marché, un paysage commercial, plus exigeant, en termes de flexibilité, de relations avec les employeurs et d’engagement. Il s’agit ici des enjeux de résilience. Dans une interview avec La Vie Économique, Jamal Belahrach (PDG de Deo Conseil International et conférencier sur le management, et président de la fondation Jobs For Africa) postule qu’au Maroc « nous manquons cruellement de leaders », plutôt que des managers. Il distingue les deux par leur rôle ; un manager gère les opérations quotidiennes d’une entreprise, tandis qu’un leader définit la vision et l’orientation globale des développements futurs. Les difficultés au niveau de la direction ou la gestion peuvent être préjudiciables au succès de l’entreprise, mais elles semblent moins urgentes que celles liées au leadership.
Durant les dernières décennies, les écoles de commerce, les écoles de management et les MBA attirent de plus en plus les étudiants marocains et gagnent du terrain dans le paysage national de l’enseignement supérieur. Au Maroc comme à l’étranger, les MBA sont désormais presque le Saint Graal de la formation business (pour un grand nombre d’employeurs et d’étudiants), certaines entreprises exigent même un MBA pour les promotions et certains postes de direction supérieure. La distinction entre management et leadership est en effet l’une des principales préoccupations du monde des affaires d’aujourd’hui. Même l’avènement des Executive MBA et des manuels de leadership témoigne de son importance accrue.
En temps de crise, le leadership est nécessaire, presque le seul moyen de s’en sortir. Pourtant, en regardant le monde des affaires aujourd’hui, dans un contexte hanté par des scandales épisodiques, la montée des débats sur la durabilité, le leadership exemplaire et la responsabilité d’entreprise, il semble qu’il y ait une crise du leadership durable, non seulement au Maroc, mais peut-être la plupart des pays. Ceci dans le sens que de nombreux aspects imprégnés implicitement par les méthodes et processus des entreprises ont besoin d’être examinés. Comme Martin Parker, ancien professeur de commerce et de gestion aux universités Warwick et Keele, et auteur, l’a écrit dans un article pour The Guardian : « Si nous éduquons nos diplômés sur l’inévitabilité du capitalisme bec et ongles, il n’est guère surprenant de se retrouver en fin de compte avec des justifications pour des paiements massifs à des personnes qui prennent d’énormes risques avec l’argent des autres. Si nous enseignons qu’il n’y a rien d’autre que le résultat net, alors les idées sur la durabilité, la diversité, la responsabilité, etc. deviennent des simples décorations. »
Le fait que le leadership d’entreprise soit désormais un thème de plus en plus récurrent indique un certain glissement des priorités, ainsi qu’un besoin urgent de développer cet axe. Si cette période a été marquée par un discours grandissant autour des ‘actes répréhensibles des entreprises’ (corporate wrongdoing), et les aspects négatifs des modes de travail modernes, elle a connu aussi la prolifération des MBA, l’engouement accru pour les formations universitaires en business (selon les dernières statistiques du GMAC (Graduate Management Admission Council), en 2020, 67 % des programmes MBA dans le monde entier ont reçus plus de candidatures que l’année précédente). On peut affirmer que le Maroc n’est pas le seul pays qui souffre d’une crise de leadership, mais plutôt le monde des affaires dans son ensemble (dans certains pays plus que d’autres) ; ce qui a été révélé durant la période de la pandémie.
Aujourd’hui, le leadership d’entreprise échappe au domaine des abstractions et devient une notion de plus en plus concrète avec des ramifications structurelles. Son objectif étant le succès de l’entreprise, il existe de multiples façons de le définir et de le réaliser. Le rôle du leader dans cette instance est d’ouvrir la voie à ses équipes, vers un développement et un modèle plus durable. La crise du leadership est essentiellement le conflit entre les objectifs, et une culture d’entreprise basée sur le managérialisme, et les valeurs que la plupart des organisations prétendent défendre. Les valeurs et les idées attribuées aux entreprises dépendent surtout des modes de leadership appliqués.