Alors que la session d’avril 2025 du dialogue social s’est achevée sans signature d’un nouvel accord, le gouvernement a publié un communiqué détaillant les avancées réalisées depuis les derniers engagements. Si l’absence d’un nouveau protocole peut laisser penser à un ralentissement, la réalité est plus nuancée : le dialogue institutionnalisé progresse, les réformes structurelles avancent, et plusieurs chantiers de fond mobilisent les DRH tant du secteur public que privé.
Un bilan gouvernemental qui met en avant la continuité
Le communiqué du Chef du gouvernement, publié le 30 avril, insiste sur la mise en œuvre des accords sociaux signés en 2022 et 2024. Il évoque « une dynamique continue du dialogue social » avec les syndicats les plus représentatifs, la CGEM et la COMADER, marquée par des réunions sectorielles régulières et un suivi des engagements.
Parmi les principaux acquis mis en avant figure l’augmentation générale des salaires dans la fonction publique : une première tranche de 1.000 dirhams nets mensuels a été versée en juillet 2024, à destination des agents n’ayant pas bénéficié d’autres revalorisations. Une seconde tranche de 500 dirhams est programmée pour juillet 2025.
Le gouvernement annonce également des mesures sectorielles concrètes : plus de 17 milliards de dirhams pour l’éducation nationale, 2 milliards pour l’enseignement supérieur, et 3,5 milliards pour la santé. Ces revalorisations porteront le salaire mensuel net moyen dans le public à 10.100 dirhams d’ici 2026, contre 8.237 dirhams en 2021 — soit une progression de plus de 22%.
Salaires minima : vers une convergence SMIG-SMAG
Côté secteur privé, l’effort porte sur la revalorisation du SMIG (+15%, soit une hausse mensuelle de 408,72 DH) et du SMAG (+20%, avec 395,48 DH de hausse). Le gouvernement annonce une nouvelle augmentation de 5% à venir en 2026 pour les deux salaires minimums, et l’ambition d’unifier SMIG et SMAG à l’horizon 2028. Une réforme d’ampleur qui pourrait redessiner les grilles de rémunération dans plusieurs branches professionnelles, notamment celles qui touchent au travail saisonnier et rural.
Pour les DRH du privé, ces annonces constituent des signaux à anticiper dès à présent dans les prévisions budgétaires et les négociations sociales à venir. Le défi consistera à concilier compétitivité, maîtrise des charges et respect du calendrier social.
Protection sociale : extension et réforme des retraites en vue
Parmi les éléments structurants du bilan figure également la réforme progressive de la protection sociale. Le texte confirme que les assurés ayant cumulé seulement 1.320 jours de cotisation (contre 3.240 auparavant) pourront bénéficier d’une pension de retraite, avec effet rétroactif à janvier 2023. Ceux ayant moins que ce seuil auront droit au remboursement des parts salariale et patronale.
Cette mesure vise à inclure une large frange de travailleurs informels ou précaires dans le système de protection, renforçant ainsi la logique d’universalisation prônée depuis 2021. À cela s’ajoute une révision de l’impôt sur le revenu de 6 milliards de dirhams, appliquée depuis janvier 2025, qui se traduit par un gain net de plus de 400 dirhams pour plusieurs catégories de salariés.
C’est aussi sur le front des retraites que se concentrent désormais les attentes : la session d’avril a acté la création d’une commission nationale dédiée à la réforme globale des régimes de retraite. Cette structure, intégrant syndicats, patronat et État, devra formuler une vision consensuelle fondée sur les engagements de l’accord d’avril 2024.
Code du travail et statuts particuliers : des dossiers sensibles ouverts
Le dialogue social a également permis de poser les jalons de discussions sur les statuts particuliers dans la fonction publique. Des réunions sont déjà prévues pour le mois de mai, notamment sur le statut des 84.000 fonctionnaires des collectivités territoriales.
Le gouvernement a aussi annoncé l’ouverture du chantier de révision du Code du travail et de la législation syndicale. Des commissions spécialisées réunissant l’ensemble des parties prenantes vont être créées pour élaborer des projets de texte « consensuels ». Si le calendrier précis n’a pas été communiqué, les DRH peuvent s’attendre à être sollicités pour des concertations ou contributions sectorielles, en particulier sur les volets relatifs au télétravail, à la flexibilité horaire, ou aux obligations patronales en matière de santé et sécurité.
Pour les DRH : des enjeux de pilotage social accrus
Au-delà des mesures chiffrées, c’est bien la gouvernance du dialogue social qui se structure. Le Chef du gouvernement prévoit une circulaire incitant chaque ministère à poursuivre les dialogues sectoriels. L’implication directe des DRH devient donc un levier de performance et de stabilité : dans un climat marqué par les transitions écologiques, numériques et sociales, la capacité à anticiper les demandes, à réguler les tensions et à co-construire des réponses devient stratégique.
Une étude conjointe OIT-OCDE de 2021 rappelait que les entreprises disposant d’un dialogue social structuré enregistrent :
- un taux de turnover inférieur de 25% ;
- un taux d’absentéisme réduit de 18% ;
- une productivité accrue grâce à la diminution des conflits.
Ces données confirment que les DRH ne peuvent plus se contenter de la gestion administrative des relations sociales. Ils doivent adopter une posture de partenaire stratégique, capable de nourrir une culture du dialogue régulier — y compris en dehors des périodes de tension.
Quelles perspectives pour les mois à venir ?
Si la session d’avril n’a pas débouché sur un nouvel accord, le calendrier social reste chargé : deuxième tranche des hausses salariales, nouvelle augmentation du SMIG-SMAG, poursuite des dialogues sectoriels, réforme des retraites, révision du Code du travail…
Pour les DRH, le message est clair : le dialogue social n’est plus une simple formalité ou une contrainte réglementaire. Il devient un outil de pilotage stratégique, inscrit dans un cadre institutionnel stable mais exigeant. Cela implique de monter en compétence sur les négociations collectives, de structurer des espaces de concertation internes et d’intégrer les évolutions réglementaires dans les politiques RH.
Il est également crucial de préparer l’unification du SMIG et du SMAG, qui pourrait reconfigurer les équilibres salariaux entre le monde urbain et rural, formel et informel. Enfin, la refonte à venir des statuts et du Code du travail appelle à une veille proactive des DRH, pour participer aux débats et ajuster en amont les dispositifs internes.