Les apparences sont parfois trompeuses. En surface, les caisses de retraite marocaines semblent avoir repris un souffle temporaire grâce à l’accord salarial issu du dialogue social d’avril 2024. Mais à y regarder de plus près, les fondamentaux restent fragiles, et les projections financières confirment une menace de grande ampleur pour les prochaines décennies. Le rapport annuel sur la stabilité financière, co-signé par les trois principales autorités du secteur, dresse un état des lieux préoccupant : la viabilité des régimes de retraite, publics comme privés, est gravement compromise sans réforme systémique.
Une amélioration conjoncturelle qui ne trompe personne
L’accord social conclu le 29 avril 2024 a permis d’amorcer une hausse des cotisations via l’augmentation des salaires dans la fonction publique. Cette injection financière ponctuelle a amélioré certains ratios comptables. Toutefois, les auteurs du rapport sont clairs : cette amélioration est transitoire. Les déficits structurels, eux, restent intacts, alimentés par des déséquilibres démographiques, un taux de remplacement élevé dans le secteur public et l’absence de réforme profonde depuis plusieurs années.
Le système marocain repose sur deux piliers majeurs : le Régime des Pensions Civiles (RPC), géré par la CMR pour les fonctionnaires, et le régime général de la CNSS pour les salariés du privé. Chacun présente des fragilités spécifiques, mais leur convergence dessine un risque systémique pour l’ensemble du pays.
La CMR face à l’épuisement programmé de ses réserves
Le cas du Régime des Pensions Civiles est sans doute le plus inquiétant. Selon les prévisions du rapport, le régime serait voué à l’extinction d’ici 2036 si aucune mesure corrective n’est engagée. Le déficit cumulé projeté pour les années à venir s’élèverait à plusieurs dizaines de milliards de dirhams. La cause principale : un déséquilibre croissant entre le nombre de cotisants et celui des pensionnés, dû notamment à un vieillissement rapide de la population active et à une stagnation de l’âge légal de départ à la retraite.
Ce déséquilibre est aggravé par un taux de remplacement particulièrement généreux — atteignant parfois 70 % dans la fonction publique — qui dépasse largement les standards internationaux. Ce niveau de prestations, difficilement soutenable dans la durée, pèse lourdement sur les finances publiques.
Un régime général en sursis
De son côté, la CNSS affiche encore un équilibre comptable relatif. Les réserves de la branche long terme ne sont pas encore menacées, portées par une démographie plus favorable et une base d’actifs plus jeune. Mais cette situation pourrait rapidement évoluer. Les prévisions du rapport tablent sur une érosion des réserves dès 2027, en l’absence de réforme. En cause : une sous-évaluation des cotisations, des conditions d’accès à la pension plus souples, et l’absence de révision des paramètres du régime.
Le vieillissement inévitable de la population touchera également le secteur privé. Si rien n’est fait, la CNSS sera confrontée aux mêmes tensions que la CMR, mais avec un décalage de quelques années. La marge de manœuvre existe, mais elle s’amenuise rapidement.
Une majorité d’actifs toujours exclue
Au-delà de la situation des régimes existants, le rapport met en lumière une autre faiblesse majeure du système marocain : l’exclusion massive d’une grande partie de la population active. Sur les 13 millions d’actifs que compte le pays, près de 11 millions ne cotisent à aucun régime de retraite. Ce sont pour la plupart des travailleurs informels, indépendants ou issus de secteurs non couverts. Cette exclusion alimente un double déficit : social, par l’absence de filet de sécurité pour des millions de personnes âgées ; et financier, par l’absence de cotisations supplémentaires pour renforcer les équilibres globaux.
La transition démographique, facteur aggravant
Le Maroc connaît une mutation démographique rapide. L’allongement de l’espérance de vie, combiné à la baisse de la natalité, modifie profondément la pyramide des âges. Le rapport anticipe un doublement du nombre de retraités d’ici 2050, avec une base de cotisants stagnante ou en recul. Ce déséquilibre mécanique fait peser un risque de plus en plus lourd sur la viabilité des régimes.
Sans adaptation rapide des règles, le déficit cumulé des régimes pourrait dépasser les 200 milliards de dirhams d’ici 25 ans, soit plus de 3 % du PIB national. Un seuil critique pour la stabilité macroéconomique.
Des mesures engagées, mais insuffisantes
L’accord social d’avril 2024, qui a introduit une revalorisation des salaires, constitue un premier pas dans le processus de réforme. Certaines propositions visent également à mieux organiser les transferts entre régimes, à renforcer la transparence et à améliorer la gestion des caisses. Mais ces ajustements ne suffisent pas à inverser la tendance. Le rapport appelle à un changement d’échelle.
Les experts recommandent une réforme systémique, fondée sur la création de deux pôles — public et privé —, accompagnée de mécanismes robustes de solidarité et d’équilibrage financier. L’objectif : bâtir un socle commun, capable de garantir la pérennité du système tout en répondant aux exigences d’équité intergénérationnelle.
Quelles options sur la table ?
Plusieurs leviers sont identifiés pour enclencher cette transformation :
- Relever progressivement l’âge de départ à la retraite, aujourd’hui fixé à 60 ans, afin de l’aligner sur les évolutions de l’espérance de vie et des parcours professionnels.
- Réviser les taux de cotisation et de remplacement, pour assurer une meilleure correspondance entre effort contributif et niveau de pension, sans creuser les déficits.
- Étendre la couverture retraite aux indépendants et travailleurs informels, à travers des régimes adaptés et incitatifs, pour élargir la base contributive.
- Créer des sources de financement complémentaires, via la capitalisation ou des fonds souverains, afin d’amortir les chocs démographiques à venir.
- Digitaliser et professionnaliser la gouvernance des régimes, pour réduire les coûts, lutter contre la fraude et améliorer l’efficacité administrative.
Un enjeu de stabilité sociale
Au-delà des paramètres techniques, la question des retraites est aussi un sujet politique et social de premier ordre. Toute réforme qui impacterait à la baisse les pensions ou retarderait l’âge de liquidation des droits pourrait entraîner des mouvements sociaux. Dans un pays où le chômage des jeunes reste élevé et la précarité importante, l’acceptabilité des réformes dépendra de la capacité des autorités à construire un discours clair, transparent et mobilisateur.
La retraite est au cœur du pacte social. Une perte de confiance dans ce système serait synonyme de rupture, avec des conséquences imprévisibles sur la cohésion nationale.
Le rapport sur la stabilité financière est sans équivoque : chaque année de retard augmente le coût global de la réforme. À défaut d’action, le pays pourrait être confronté à une crise majeure dans moins de dix ans. La pression sur les finances publiques, le risque de baisse des pensions, l’insatisfaction des futurs retraités et la dégradation du climat social constituent une équation explosive.
La refonte du système des retraites est donc un impératif. Elle ne peut plus se contenter d’ajustements techniques ou de réponses sectorielles. Elle nécessite une vision d’ensemble, une volonté politique forte et un engagement de toutes les parties prenantes. L’avenir de la solidarité intergénérationnelle au Maroc en dépend.







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