Le Maroc s’attaque de nouveau à l’un de ses défis les plus tenaces : l’insertion professionnelle des jeunes non diplômés. Selon le ministre de l’Inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, Younes Sekkouri, ces jeunes représentent près des deux tiers des chômeurs du pays, soit environ 900 000 personnes. Pour y répondre, le gouvernement a dévoilé un dispositif inédit de « formation progressive », présenté comme une passerelle vers l’emploi pour ceux qui n’ont ni diplôme ni qualification reconnue.
Le principe repose sur une alternance entre apprentissage sur le terrain et formation théorique allégée, avec une indemnité mensuelle de 300 dirhams pour les stagiaires et une prime annuelle de 5 000 dirhams pour les entreprises qui participent au programme. À la fin du parcours, les jeunes reçoivent un certificat de qualification professionnelle.
Le projet démarre dans le secteur de l’artisanat, souvent considéré comme un vivier d’emplois locaux et de transmission de savoir-faire. Trente mille bénéficiaires sont attendus dès la première année, avant une extension à d’autres filières. Le gouvernement vise un demi-million de jeunes formés d’ici 2030.
Un objectif social et économique légitime
Ce programme répond à une réalité préoccupante : plus de 70 % des jeunes chômeurs marocains n’ont aucune formation qualifiante. Beaucoup se retrouvent dans l’économie informelle, sans sécurité de revenu ni perspective de carrière. L’enjeu est donc double : renforcer les compétences de base pour favoriser l’employabilité et offrir un cadre structuré à ceux qui, jusque-là, restaient en marge des dispositifs publics.
L’approche, centrée sur la pratique et la proximité avec le marché du travail, est pertinente. Elle s’éloigne du modèle traditionnel de formation en centre, souvent jugé trop académique, et privilégie une logique d’apprentissage par l’expérience. En misant sur un parcours progressif, le gouvernement cherche à responsabiliser les jeunes tout en mobilisant les entreprises autour d’une mission sociale et économique.
Sur le papier, le dispositif coche de nombreuses cases : inclusion, qualification, ancrage territorial et incitation à la formalisation de l’emploi. Mais derrière cette dynamique positive, une interrogation majeure s’impose : pourquoi créer un nouveau programme plutôt que de consolider les mécanismes existants ?
OFPPT : le grand absent de l’annonce
Le Maroc dispose déjà d’un opérateur public doté d’un réseau national, d’une expertise reconnue et d’un mandat clair : l’OFPPT. Cet organisme gère plus de 400 établissements et forme chaque année des centaines de milliers de jeunes, y compris des profils peu ou pas diplômés. Son offre s’étend des filières techniques aux métiers de service, avec plusieurs niveaux d’accès – qualification, spécialisation ou technicien.
Or, dans la communication autour du nouveau programme, l’OFPPT est quasiment absent. Aucune mention n’a été faite d’une intégration du dispositif dans son écosystème, ni d’une coordination structurelle entre les deux initiatives. Une situation qui interroge : pourquoi réinventer une mécanique que l’OFPPT maîtrise déjà ?
Ce choix politique pourrait s’expliquer par une volonté de réactivité. Lancer un dispositif ad hoc permet au ministère de déployer rapidement un projet pilote, sans attendre les procédures administratives de l’OFPPT. Mais une telle approche, si elle répond à l’urgence, comporte un risque évident : celui de fragmenter le système national de formation et de diluer les efforts financiers et humains.
Un risque de doublon et de dispersion
Créer un dispositif parallèle à l’OFPPT soulève plusieurs défis institutionnels. Le premier concerne la gouvernance. À qui reviendra la responsabilité du suivi, du contrôle de qualité et de la délivrance des certificats ? L’OFPPT a bâti depuis des années une ingénierie pédagogique structurée et des référentiels métiers validés par les partenaires sociaux. Repartir de zéro reviendrait à ignorer ce capital accumulé.
Le second défi tient à la coordination territoriale. Le Maroc a longtemps souffert d’une juxtaposition d’initiatives de formation, souvent limitées dans le temps et non intégrées dans un cadre global. Si ce programme venait à s’ajouter à la liste sans articulation claire, il risquerait de reproduire les erreurs du passé : redondance des efforts, chevauchement des cibles et faible lisibilité pour les bénéficiaires.
Enfin, la question budgétaire n’est pas anodine. L’indemnité mensuelle aux jeunes et la prime annuelle aux entreprises représentent un coût considérable à grande échelle. Sans mécanisme d’évaluation rigoureux, le dispositif pourrait devenir difficilement soutenable dans la durée.
La qualité, enjeu déterminant de la réussite
Au-delà de la gouvernance, la réussite du programme dépendra de la qualité réelle des formations proposées. Un apprentissage en entreprise ne garantit pas nécessairement l’acquisition de compétences transférables. Le risque existe que certaines structures accueillent les jeunes pour bénéficier de la prime, sans offrir un encadrement pédagogique suffisant.
Le gouvernement devra donc mettre en place un système de suivi précis : contrôle des formations, accompagnement des maîtres artisans, évaluation des acquis et taux d’insertion. L’expérience montre que la clé du succès ne réside pas seulement dans le volume de bénéficiaires, mais dans la qualité du parcours et la durabilité de l’emploi obtenu.
La formation doit aussi rester attractive pour les entreprises. Si la prime de 5 000 dirhams peut susciter un intérêt initial, elle ne suffira pas à long terme si le dispositif n’apporte pas de réelle valeur ajoutée en matière de compétences. L’État devra démontrer que la participation des entreprises ne relève pas d’un geste social ponctuel, mais d’un investissement rentable en capital humain.
Une stratégie à clarifier
Le lancement de ce programme s’inscrit dans une série d’annonces visant à réformer le marché du travail marocain. En parallèle, d’autres initiatives sont en cours : réforme du code du travail, modernisation de la formation continue et renforcement du rôle des régions dans l’emploi. Mais la multiplication de ces chantiers sans articulation claire peut brouiller la lecture d’ensemble.
Si l’objectif est de rénover le modèle de formation professionnelle, la logique voudrait que l’OFPPT soit au cœur du dispositif, non en marge. Cet organisme dispose de l’infrastructure, des équipes et du maillage territorial nécessaires pour piloter une telle réforme. L’écarter risque de fragiliser l’efficacité de l’action publique et d’envoyer un signal paradoxal : d’un côté, on appelle à la rationalisation des politiques publiques ; de l’autre, on multiplie les structures parallèles.
La question est donc politique autant que technique : veut-on renforcer l’écosystème existant ou construire une alternative plus flexible ? Et à quel prix pour la cohérence nationale ?
Un pari audacieux mais risqué
Former 100 000 jeunes non diplômés représente un pari nécessaire face à l’urgence sociale du chômage. C’est aussi une réponse courageuse à une réalité souvent négligée : celle d’une jeunesse invisible pour les politiques d’emploi classiques. En donnant une seconde chance à ces jeunes, l’État assume un rôle d’intégrateur social essentiel.
Mais l’efficacité du dispositif dépendra de la clarté de sa gouvernance et de sa complémentarité avec les institutions existantes. S’il devient un outil isolé, piloté sans coordination avec l’OFPPT et les acteurs régionaux, son impact restera limité. À l’inverse, s’il parvient à s’articuler à une vision globale de la formation professionnelle, il pourrait constituer une véritable avancée pour l’emploi des jeunes.
Le Maroc ne manque pas d’initiatives, mais d’intégration. Ce programme a le mérite de placer les jeunes non diplômés au centre du débat, mais il rappelle aussi une vérité fondamentale : aucune réforme durable ne peut se construire sans cohérence institutionnelle. Le succès du projet dépendra donc moins du nombre de bénéficiaires que de la capacité du pays à relier ses dispositifs dans une stratégie unifiée de formation et d’emploi.







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