Entre le deuxième trimestre 2024 et le deuxième trimestre 2025, le marché du travail marocain enregistre une évolution en trompe-l’œil. Si le volume global d’emplois progresse à peine (+5 000 postes), cette stabilité masque une recomposition profonde entre milieux, secteurs et catégories socioprofessionnelles. D’un côté, les villes ont créé 113 000 emplois. De l’autre, les campagnes en ont perdu 107 000, conséquence directe d’une sécheresse persistante qui continue de pénaliser l’agriculture. Cette dynamique accentue la dépendance du tissu productif urbain, notamment dans les BTP et les services, pour absorber la main-d’œuvre.
Sur les 5 000 postes nets créés cette année, la quasi-totalité provient des zones urbaines. Le secteur des BTP s’impose comme le principal moteur, avec 74 000 emplois supplémentaires (+6 %). Les services suivent, avec 35 000 créations, essentiellement concentrées en ville (+61 000). L’industrie progresse timidement (+2 000 postes), tandis que l’agriculture perd 108 000 emplois, soit 4 % de ses effectifs.
Le marché continue ainsi de s’urbaniser, alimenté par une progression de l’emploi rémunéré (+132 000), tandis que l’emploi non rémunéré chute de 126 000 postes. Ce glissement traduit un recul des formes traditionnelles de travail informel en milieu rural et une précarisation déguisée dans les zones urbaines. Les femmes, en particulier, continuent d’en faire les frais.
Recul de l’activité et de l’emploi chez les femmes
Le taux d’activité global baisse de 0,8 point, à 43,4 %, tiré vers le bas par la diminution du nombre de femmes actives (-1,2 point), désormais limité à 18,9 % de la population féminine en âge de travailler. En parallèle, leur taux d’emploi chute de 1,3 point à 15,2 %. Ce double recul interroge : malgré la création d’emplois, l’accès des femmes au marché du travail recule, illustrant la persistance de freins structurels — culturels, sociaux, ou liés à l’inadéquation entre offres et besoins.
Chez les hommes, la situation est plus stable, avec une légère hausse du taux d’emploi (+0,2 point à 61,2 %), portée par les dynamiques urbaines.
Un chômage en baisse, mais un sous-emploi en forte hausse
Le nombre de chômeurs diminue de 38 000 personnes sur un an, atteignant 1,595 million. Le taux de chômage national recule de 0,3 point, à 12,8 %. Cette amélioration est tirée par le milieu rural (-0,5 point), mais s’observe aussi en milieu urbain (-0,3 point). En apparence, les efforts du tissu économique pour absorber la main-d’œuvre semblent porter leurs fruits. Pourtant, une lecture plus attentive nuance cette lecture optimiste.
Le sous-emploi gagne du terrain. Plus de 1,14 million d’actifs occupés sont en situation de sous-emploi (+105 000 en un an). Le taux national passe de 9,6 % à 10,6 %, avec une hausse marquée aussi bien en ville (+1,1 point) qu’à la campagne (+0,8 point). En clair, les personnes ne trouvent pas un emploi à temps plein ou bien adapté à leur profil, ce qui témoigne d’une fragilité persistante de l’intégration professionnelle.
Ce phénomène est particulièrement visible dans le secteur du BTP, où le sous-emploi touche désormais 22,2 % des travailleurs (+3,3 points), mais aussi dans l’industrie (+1,7 point à 6,7 %), l’agriculture (+0,5 point à 12 %) et les services (+0,4 point à 8,1 %).
Les jeunes et les femmes toujours en première ligne du chômage
Les jeunes âgés de 15 à 24 ans restent les plus durement frappés, avec un taux de chômage de 35,8 %, stable par rapport à l’année précédente. La situation est plus alarmante pour les femmes, dont le taux de chômage bondit de 2,2 points, à 19,9 %. Cette augmentation contraste avec la baisse enregistrée chez les hommes (-0,9 point à 10,8 %), accentuant les écarts entre les genres.
Chez les diplômés, le chômage recule légèrement (-0,4 point à 19 %), mais la situation reste critique pour les détenteurs de diplômes professionnels (20,8 %) et de l’enseignement secondaire qualifiant (25,1 %). La difficile insertion des diplômés, en particulier ceux issus de filières techniques ou intermédiaires, continue d’alimenter un débat structurel sur l’adéquation entre formation et marché du travail.
Des disparités régionales persistantes
Le marché de l’emploi marocain conserve de fortes disparités territoriales. Cinq régions concentrent plus de 72 % des actifs : Casablanca-Settat (22,2 %), Rabat-Salé-Kénitra (13,6 %), Marrakech-Safi (13 %), Fès-Meknès (11,8 %) et Tanger-Tétouan-Al Hoceima (11,7 %). Mais les taux d’activité varient fortement : ils culminent à 47,9 % dans le Nord, contre seulement 39,7 % à Béni Mellal-Khénifra.
En matière de chômage, le contraste est encore plus net. Les régions du Sud affichent un taux record de 25,7 %, suivies de l’Oriental (21,1 %). À l’inverse, Drâa-Tafilalet (6,4 %), Marrakech-Safi (7,5 %) et Tanger-Tétouan-Al Hoceima (8,9 %) présentent des niveaux bien inférieurs à la moyenne nationale.
Ces disparités révèlent une polarisation croissante du marché autour des pôles économiques historiques, au détriment de régions périphériques pourtant dotées d’un potentiel important, mais encore peu intégré aux chaînes de valeur nationales.
Vers un nouveau contrat social pour l’emploi ?
Les chiffres du HCP offrent un aperçu précieux mais préoccupant : si le marché du travail montre des signes de résistance, il le fait en se fragilisant. Le recul du chômage ne doit pas masquer la progression du sous-emploi, ni la marginalisation croissante de certains publics : femmes, jeunes, diplômés techniques ou habitants des régions périphériques.
À l’heure où le Maroc accélère sa stratégie industrielle et cherche à renforcer la souveraineté productive, la transition démographique et économique doit être accompagnée d’un effort massif d’inclusion professionnelle. Cela suppose une réforme profonde des politiques d’emploi, de formation et de soutien à la création d’activités productives, notamment en dehors des grandes agglomérations.
À défaut, le risque est double : un décrochage de certaines franges de la population active et une sous-utilisation durable des compétences disponibles. Ce scénario pèserait lourdement sur la trajectoire de croissance du pays, mais aussi sur sa cohésion sociale.







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