La protection sociale devient l’un des chantiers les plus structurants du Maroc. Le 19 juin, la Banque mondiale a officialisé l’octroi d’un prêt de 250 millions de dollars pour accompagner le pays dans la mise en œuvre de sa réforme ambitieuse. L’objectif est clair : consolider les dispositifs de solidarité, étendre la couverture sociale aux populations vulnérables et renforcer la résilience des ménages face aux chocs économiques. Cette contribution intervient à un moment décisif, à l’heure où les autorités marocaines s’engagent à généraliser l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et à déployer un dispositif de soutien direct aux familles les plus précaires. L’appui de l’institution de Bretton Woods s’inscrit donc dans une stratégie globale de transformation sociale, qui vise à rendre le système plus équitable, plus inclusif et financièrement soutenable.
Une réforme systémique au service de la justice sociale
La loi-cadre n°09-21, promulguée en 2021, trace les grandes lignes de la réforme structurelle de la protection sociale au Maroc. Elle ambitionne la couverture universelle d’ici fin 2025, via la généralisation de l’AMO, l’extension des régimes de retraite, la mise en place de programmes d’allocations familiales et de soutien direct. Cette transformation vise à corriger les défaillances d’un système longtemps fragmenté, avec des dispositifs hétérogènes et une faible couverture du secteur informel. Elle répond également à une double urgence : lutter contre la vulnérabilité économique croissante et réduire les inégalités sociales, notamment en milieu rural.
Les enjeux sont considérables. Près de 60 % de la population active n’était pas couverte par un régime de sécurité sociale en 2020, selon les estimations du HCP. Le nouveau système entend inverser cette tendance, en intégrant progressivement les travailleurs indépendants, les agriculteurs, les commerçants, ainsi que les populations en situation de précarité. Cette approche repose sur un pilotage unifié, la digitalisation des processus d’enregistrement, et la centralisation des données au sein du Registre Social Unifié (RSU), pierre angulaire de la réforme.
Le rôle stratégique de la Banque mondiale
Le soutien de la Banque mondiale s’inscrit dans une logique de co-construction. Le financement de 250 millions de dollars a pour but de consolider les dispositifs techniques, opérationnels et institutionnels qui conditionnent la réussite du projet. Il est notamment dédié à l’amélioration de l’efficacité des transferts monétaires, à la montée en qualité des prestations sociales et à la gouvernance des programmes.
L’institution souligne par ailleurs l’effet d’entraînement que pourrait générer l’expérience marocaine en Afrique. Le Royaume, souvent cité pour ses avancées dans la digitalisation des services publics, pourrait servir de référence régionale en matière de politiques sociales intégrées. La Banque mondiale insiste également sur l’importance d’un cadre budgétaire soutenable et d’une transparence accrue dans le suivi de la performance du système.
Des réformes comme la mise en place du RSU, la généralisation progressive des aides ciblées et la gestion numérique des dossiers bénéficiaires montrent la volonté du Maroc de passer d’un système d’assistance à un véritable modèle d’inclusion sociale. La Banque mondiale accompagne ce virage en apportant une expertise méthodologique, un appui technique et un regard comparatif avec d’autres expériences internationales.
Progrès visibles, défis persistants
Plusieurs jalons ont été franchis ces deux dernières années. Le taux de couverture AMO a connu une croissance rapide, passant de 40 % à près de 70 % selon les dernières données du gouvernement. Des millions de citoyens exclus des dispositifs classiques accèdent désormais à des soins encadrés. En parallèle, les aides monétaires directes ont commencé à être déployées, notamment à destination des familles à faibles revenus avec enfants scolarisés. La réforme des régimes de retraite, longtemps bloquée, a également repris avec une logique de convergence.
Mais les défis sont encore nombreux. Le financement pérenne du système reste l’un des points de vigilance majeurs. L’équilibre entre les contributions et les prestations, la soutenabilité des caisses de retraite, ainsi que l’élargissement de l’assiette contributive constituent des chantiers ouverts. En milieu rural, des obstacles liés à l’accès à l’information, au manque d’infrastructures sanitaires et à l’analphabétisme ralentissent l’inclusion effective des bénéficiaires.
Des experts plaident pour une amélioration significative de la qualité de service, une simplification des démarches administratives et une meilleure coordination entre les institutions publiques. La formation des acteurs de terrain, l’investissement dans les systèmes d’information, et le suivi rigoureux des résultats sont indispensables pour garantir une mise en œuvre fluide et équitable.
Un modèle en construction pour l’Afrique
Le Maroc ambitionne de devenir un modèle en matière de politiques sociales pour les pays émergents. La combinaison entre vision politique, soutien international et mobilisation des acteurs institutionnels crée un écosystème favorable à la réussite de cette réforme. Le défi est désormais de pérenniser les acquis, de surmonter les blocages opérationnels et de faire de la protection sociale un levier d’égalité et de croissance durable.
Le partenariat avec la Banque mondiale, au-delà du soutien financier, incarne une reconnaissance internationale du chemin parcouru. Il rappelle aussi que la transformation des systèmes sociaux ne peut être réussie sans coordination, transparence et engagement sur le long terme. À l’heure où les modèles classiques montrent leurs limites, le cas marocain offre une perspective inspirante : celle d’un État qui investit dans la dignité de ses citoyens pour construire un futur plus stable et solidaire.