La législation européenne sur la durabilité connaît un infléchissement stratégique. Dans une analyse parue dans L’Économiste le 30 avril 2025, Anne CARMIER, directrice Stratégie & Reporting chez Utopies, et Sofia HAROUCHI, Regional Lead Utopies Maroc, livrent un éclairage précieux sur l’allègement à venir de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et ses impacts pour les entreprises non européennes, notamment marocaines.
Allégement ne rime pas avec abandon
Le projet de règlement “omnibus”, présenté par la Commission européenne, vise à simplifier certaines mesures du Green Deal, notamment la CSRD et la directive CS3D (devoir de vigilance). Objectif affiché : lever les freins techniques sans sacrifier l’ambition écologique et sociale. Les propositions incluent :
- un report de deux ans pour les grandes entreprises non cotées,
- une augmentation des seuils d’application (1.000 salariés, 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou 25 millions de bilan),
- une réduction du nombre d’indicateurs de reporting,
- et, pour la CS3D, un recentrage du devoir de vigilance sur les seuls partenaires de rang 1, à compter de 2029.
Le Parlement européen a déjà validé en avril une partie de ces ajustements, mais les négociations restent ouvertes avec le Conseil.
Les entreprises marocaines en ligne de mire indirecte
Si peu d’entreprises marocaines franchiront les nouveaux seuils d’assujettissement (450 millions d’euros de chiffre d’affaires dans l’UE pour la CSRD en 2028, 900 millions d’euros pour la CS3D en 2029), les effets indirects de ces réglementations ne doivent pas être sous-estimés.
Fournisseurs, sous-traitants ou partenaires commerciaux de groupes européens seront appelés à fournir des données ESG précises, voire à se conformer aux exigences des normes ESRS. Cet alignement devient de fait un facteur de compétitivité, facilitant l’accès au financement et consolidant les relations commerciales transfrontalières.
RSE : un levier de structuration stratégique
CARMIER et HAROUCHI insistent sur l’importance de profiter de ce répit pour structurer en profondeur la démarche RSE. Les exigences de double matérialité — analyser à la fois l’impact de l’environnement sur l’entreprise et celui de l’entreprise sur son écosystème — demeurent centrales. De même que l’intégration des enjeux climatiques, sociaux, et de gouvernance dans les choix stratégiques, la cartographie des risques, ou encore le dialogue social.
Ce sont autant de leviers de transformation durable, de création de valeur et de différenciation. Les entreprises qui prennent ce virage en avance de phase renforcent non seulement leur résilience, mais aussi leur attractivité auprès des talents, des investisseurs et des clients.
Une interpellation directe pour les DRH
Pour les DRH marocains, ce contexte marque une bascule : la RSE devient une composante transversale du pilotage RH. Anticipation des obligations, montée en compétences ESG, adaptation des politiques internes, intégration dans les référentiels de compétences, inclusion des indicateurs de durabilité dans les entretiens ou les objectifs annuels… Autant de chantiers à initier dès maintenant pour aligner les pratiques avec les attentes internationales.
Le sursis réglementaire offert par Bruxelles n’est pas un blanc-seing, mais une invitation à accélérer. Les entreprises marocaines ont là une occasion stratégique de mettre à niveau leur reporting, leur gouvernance et leur engagement RSE — avant que la contrainte ne devienne obligation.
👉 Lire l’article original sur L’Économiste (édition du 30 avril 2025), signé par Anne CARMIER et Sofia HAROUCHI – Utopies.