Daher, implanté à Tanger depuis plus de vingt ans, s’est imposé comme un acteur central du composite aéronautique au Maroc. Dans un secteur où les cycles de production sont longs, les exigences élevées et la compétition mondiale intense, la solidité industrielle repose avant tout sur la maîtrise des compétences. Aujourd’hui, alors que les transferts technologiques s’intensifient et que les grands donneurs d’ordre internationaux multiplient leurs sollicitations, Daher doit structurer la montée en capacité tout en préparant la relève. La transmission du savoir-faire, l’intégration des stagiaires PFE, la gestion des dispositifs d’insertion et l’adaptation à la génération Z sont désormais au cœur de sa stratégie RH. Dans cet entretien, Abdel Essoufi, Directeur des Ressources Humaines de Daher Maroc, détaille les leviers qui permettent à l’entreprise de fidéliser ses expertises et de préparer durablement l’avenir industriel du site.
Daher connaît une croissance soutenue depuis deux ans. Quels en sont les moteurs et comment cette dynamique influence-t-elle la fonction RH ?
Le groupe Daher connaît une dynamique particulièrement positive, stimulée par une demande accrue des acteurs mondiaux de l’aéronautique. Aujourd’hui, ce ne sont plus les équipes commerciales qui doivent convaincre les donneurs d’ordre : ce sont les clients eux-mêmes, en premier lieu Airbus, mais aussi Dassault, Boeing ou Gulfstream, qui sollicitent Daher. Le site de Tanger fonctionne ainsi quasiment en pleine capacité. Pour absorber cette croissance, nous avons déjà acquis un site transitoire de 4 000 m² et étudions la possibilité d’ouvrir une nouvelle grande usine opérationnelle à l’horizon 2027-2028, après le processus de qualification indispensable dans l’aéronautique.
Cette accélération a un impact structurant sur la fonction RH. Contrairement à l’automobile où les cycles sont courts, la fabrication aéronautique repose sur des processus longs, pouvant nécessiter deux semaines pour une seule pièce. La technicité est élevée, la documentation exigeante et la précision indispensable. Former un opérateur autonome demande entre six et huit semaines ; atteindre la pleine maîtrise requiert jusqu’à deux ans. Cette complexité impose une gestion proactive des compétences : anticiper les transferts technologiques, renforcer les expertises existantes, adapter les formations et préparer les futurs besoins liés aux nouvelles technologies.
Les fluctuations entre Airbus et Boeing, la pression sur la supply chain et les évolutions géopolitiques exigent également une grande flexibilité dans la gestion des effectifs. Les RH doivent donc sécuriser l’existant tout en organisant la relève. Les stages PFE, les dispositifs d’insertion, les parcours internes et la structuration des référents deviennent des outils stratégiques indispensables. L’objectif n’est pas uniquement de répondre à la production actuelle, mais de préserver la continuité du savoir-faire accumulé depuis plus de vingt ans et d’assurer la capacité future du site à absorber des transferts industriels d’envergure.
Quels sont les principaux métiers exercés par Daher au Maroc et comment s’articule l’activité industrielle à Tanger ?
Abdelbasset ESSOUFI : Daher Maroc s’inscrit dans la branche industrielle du groupe, aux côtés de la logistique, des services industriels et de la construction d’avions, notamment les modèles TBM et Kodiak. À Tanger, l’essentiel de l’activité repose sur la production de pièces en matériaux composites. Les équipes y fabriquent des composants critiques du fuselage, dont les panneaux situés sous l’avion, des jonctions entre ailes et fuselage, les pièces reliant le réacteur à l’aile ou encore la tuyauterie et les conduits d’air de l’avion. Ce sont des éléments essentiels à la structure et à la sécurité des appareils. L’activité inclut également l’assemblage des pièces produites au Maroc ou celles transférées de France avant leur expédition chez le client pour intégration finale.
Un autre volet majeur est le centre d’ingénierie de Tanger, devenu un pilier stratégique. Il est dédiés à l’étude, à la conception et à l’industrialisation pour les usines du groupe à travers le monde. Ce modèle d’offshoring intellectuel permet d’ancrer au Maroc des compétences pointues autrefois concentrées en France. Les jeunes ingénieurs bénéficient d’un transfert de connaissances à travers des formateurs du groupe, ce qui contribue à une montée en compétence accélérée. L’ambition est de développer cette unité dans le future.
Le site s’est distingué par sa capacité à résoudre des problématiques industrielles de haut niveau. L’exemple marquant est le co-développement, avec Safran, d’une pièce moteur en changeant le matériau utilisé par du composite plus léger mais tout aussi robuste. Les équipes marocaines ont fait preuve de créativité en résolvant des probnlèmes techniques persistants en France, démontrant la maturité du site. Cette montée en gamme renforce Tanger comme pôle stratégique dans les futurs transferts du groupe. La consolidation de ces compétences rares exige une stratégie RH robuste, fondée sur la formation, la fidélisation et l’intégration de nouveaux talents.
Comment Daher organise-t-elle le transfert d’expertise entre les seniors, les juniors et les stagiaires ?
Abdelbasset ESSOUFI : Le transfert d’expertise est l’un des piliers du modèle industriel de Daher. Au début des années 2000, le site marocain dépendait fortement d’expatriés français qui ont transmis progressivement leur savoir-faire aux équipes locales. Pour sécuriser cette transition, nous avons instauré un système structuré d’envoi de collaborateurs en formation en France. Cette politique, portée conjointement avec la direction d’usine, a permis de constituer un groupe solide de référents marocains maîtrisant pleinement les exigences du groupe.
Nous avons ensuite formalisé les pratiques à travers des documents standards, des procédures pédagogiques et des modules internes. À Daher, la formation est assurée par les experts eux-mêmes : managers, ingénieurs, techniciens de référence. Ils interviennent non seulement sur les dimensions techniques — composites, assemblage, gestion documentaire — mais aussi sur les compétences comportementales et managériales. Cette approche favorise une transmission cohérente, ancrée dans la réalité des ateliers.
Le transfert vers les stagiaires repose sur une double mécanique. Chaque stagiaire est tutoré par un collaborateur expérimenté qui l’accompagne au quotidien. En parallèle, des seniors interviennent régulièrement pour approfondir les aspects techniques et compléter les zones d’ombre. Cette combinaison permet d’assurer une montée en compétence progressive, adaptée à un secteur où le moindre écart peut impacter la qualité ou la sécurité.
Cette stratégie ne se limite pas à transmettre un geste technique : elle vise à inculquer une culture professionnelle. L’aéronautique exige rigueur, respect des standards, sens de la précision et responsabilité individuelle. Les stagiaires doivent intégrer ces principes dès leur arrivée. Cette démarche assure la continuité du savoir-faire sur le long terme et prépare l’entreprise à accueillir les futurs transferts technologiques qui nécessiteront des équipes immédiatement opérationnelles.
Les stages PFE occupent une place centrale dans votre stratégie. Comment les sélectionnez-vous et comment se déroule leur encadrement ?
Abdelbasset ESSOUFI : Les stages PFE sont essentiels pour Daher car ils permettent d’aborder des sujets d’étude ou d’amélioration continue que les équipes permanentes n’ont pas le temps de traiter. Ils constituent également un vivier stratégique de talents. Le processus commence en interne : chaque département identifie des sujets nécessitant analyse, modélisation ou optimisation. À partir de ces besoins, nous lançons un sourcing via LinkedIn, le réseau de la zone franche, le GIMAS ou encore la boîte à CV disponible devant nos usines.
La sélection se fait avec la même exigence que pour un recrutement. Nous évaluons la capacité du candidat à s’intégrer dans un environnement normé, sa motivation, ses attentes académiques, sa curiosité et son potentiel d’évolution. Nous discutons du sujet, de la logistique, du tuteur et des modalités opérationnelles avant l’entrée en stage.
Lors de son arrivée, le stagiaire bénéficie d’une demi-journée d’intégration dans notre Ecole de formation. Il découvre le groupe DAHER et son histoire, les principes de sécurité, les règles d’éthique, la sensibilité des pièces fabriquées et les exigences de confidentialité. L’après-midi, il rejoint son tuteur et démarre sa mission.
Le suivi est rigoureux : une responsable RH mène un entretien hebdomadaire pour analyser l’avancement, détecter les difficultés, ajuster les conditions de travail et harmoniser la collaboration avec le tuteur. Ce suivi est indispensable car certains stagiaires peuvent être confrontés à des restrictions documentaires ou à la complexité des données techniques, inhérentes à l’aéronautique.
En fin de stage, ils présentent leur rapport devant un comité composé du tuteur, du manager et d’un représentant RH. Nous évaluons non seulement la qualité technique du travail, mais aussi la posture, l’audace, la clarté de communication et la gestion des questions imprévues. Les évaluations alimentent une base interne utilisée lors des futurs recrutements. Depuis cinq ans, une douzaine de stagiaires PFE ont rejoint l’entreprise grâce à ce modèle structuré.
Comment les jeunes s’adaptent-ils aux exigences de l’aéronautique, notamment en matière de soft skills ?
Abdelbasset ESSOUFI : La génération Z constitue un vivier de talents important, mais elle présente des spécificités qui nécessitent un accompagnement particulier. Ces jeunes affichent une forte volonté d’apprentissage, une projection rapide dans l’avenir et une aisance naturelle avec les environnements digitaux. Lors des entretiens, nombre d’entre eux se voient déjà intégrer l’entreprise après leur stage, ce qui montre un réel engagement. Cependant, un décalage persiste entre leurs compétences techniques — souvent solides — et leurs compétences comportementales, qui sont pourtant déterminantes dans l’aéronautique.
Les activités parascolaires, longtemps essentielles pour développer l’audace, l’expression orale, la gestion de projet ou la créativité, sont moins fréquentes. Cette évolution réduit les occasions de construire des soft skills structurantes. Nous observons ainsi parfois un manque de prestance, de prise d’initiative ou d’assurance dans la communication technique.
Pour combler ces lacunes, nous impliquons les stagiaires dans nos programmes internes. Ils bénéficient de modules dédiés à la communication professionnelle, à l’éthique, à la gestion du temps, à l’organisation personnelle, au comportement en contexte industriel et aux interactions en équipe. Les managers et les référents techniques jouent un rôle actif dans cette montée en compétence. Des entretiens hebdomadaires RH permettent d’évaluer le comportement, de signaler les axes d’amélioration et d’aider les stagiaires à adopter les réflexes attendus dans un environnement très exigeant.
La flexibilité est une autre caractéristique de la génération Z. Elle valorise fortement les environnements hybrides. Nous avons donc introduit, lorsque cela est compatible avec les contraintes de sécurité, des modalités alternées pour certains stages PFE. Cette adaptation permet d’attirer des profils motivés tout en maintenant les standards de qualité nécessaires à l’aéronautique.
Avec un encadrement structuré, ces jeunes deviennent rapidement opérationnels. Leur énergie, leur capacité d’apprentissage et leur regard neuf enrichissent l’entreprise et contribuent à son évolution.
Quelle est votre vision de la relation entre Daher et les établissements académiques, et comment pourrait-elle évoluer ?
Abdelbasset ESSOUFI : La relation avec les établissements académiques existe, mais elle reste encore insuffisamment structurée par rapport aux besoins de l’industrie aéronautique. Nous recevons des stagiaires issus d’universités et d’écoles d’ingénieurs variées, souvent via des contacts directs, le réseau des enseignants ou les candidatures spontanées. Cette diversité est une richesse, mais l’absence de cadre institutionnel vraiment formalisé limite la capacité à créer un pipeline stable et aligné sur les exigences réelles du secteur. Or l’aéronautique impose un niveau de rigueur documentaire, de précision technique et de compréhension des normes qui dépasse largement la formation académique classique.
L’un des enjeux majeurs réside dans le décalage entre les programmes d’enseignement et les attentes opérationnelles des entreprises. Les bases techniques sont généralement solides, mais les compétences liées à la documentation technique, aux exigences de certification, à la gestion des priorités en contexte contraint, ou encore à l’analyse industrielle sont parfois insuffisamment abordées. Un partenariat plus structuré permettrait d’intégrer ces dimensions dans les formations théoriques, sans alourdir les cursus mais en les orientant davantage vers les réalités du terrain.
L’idée n’est pas de demander aux écoles de se transformer en centres industriels, mais de favoriser une meilleure complémentarité. Si les entreprises pouvaient contribuer à la conception de modules, proposer des interventions ciblées ou orienter certains contenus, les étudiants arriveraient mieux préparés et gagneraient en autonomie dès leur arrivée en stage. Cela réduirait le temps de mise à niveau nécessaire et fluidifierait l’intégration.
Une coopération renforcée améliorerait également le sourcing. Plutôt que de dépendre de démarches individuelles, des cycles réguliers de stages PFE pourraient être instaurés avec certaines institutions, créant des viviers spécialisés par domaine. Pour une région comme Tanger, où la demande en compétences aéronautiques augmente, un partenariat de ce type serait particulièrement structurant pour l’écosystème industriel.
Quel impact social et stratégique souhaitez-vous créer à travers l’intégration systématique des jeunes talents ?
Abdelbasset ESSOUFI : L’intégration des jeunes talents s’inscrit dans une approche qui dépasse la simple logique opérationnelle. C’est un engagement social, une contribution directe à l’employabilité nationale et un levier de développement industriel. Dans la zone franche de Tanger, il est fréquent de voir des étudiants en quête d’un stage, CV à la main, sans trouver d’opportunités. Cette réalité rappelle à chacun d’entre nous notre propre parcours. À Daher, nous estimons qu’une entreprise industrialisée a le devoir d’offrir un espace d’apprentissage aux jeunes générations.
C’est dans cet esprit que nous avons instauré une règle interne : chaque département doit accueillir au moins deux stagiaires PFE par an. Plusieurs départements en accueillent davantage, et cette dynamique continue de s’amplifier. Cette initiative s’inscrit dans une logique triple. D’abord, elle constitue un engagement social réel, permettant aux jeunes d’accéder à un environnement industriel de haut niveau. Ensuite, elle nourrit un vivier de compétences qui répond à nos besoins futurs. Enfin, elle apporte une source permanente d’innovation. Les stagiaires introduisent des idées nouvelles, des méthodes différentes, des analyses actualisées. Ils amènent un regard neuf qui pousse les équipes à reconsidérer certaines pratiques et à challenger leurs approches.
Ce dispositif crée également un effet d’entraînement interne. Les rapports de stage, systématiquement partagés avec les managers, constituent un outil pour challenger les pratiques et élargir les perspectives. Les stagiaires participent ainsi à une dynamique d’amélioration continue, renforçant l’agilité technique et culturelle de l’entreprise.
Enfin, même lorsqu’ils ne rejoignent pas immédiatement Daher, les stagiaires sortent avec des standards élevés : rigueur, respect des normes, discipline documentaire, compréhension industrielle. Ils deviennent des professionnels mieux préparés, ce qui renforce globalement l’écosystème industriel marocain. Pour nous, accueillir les jeunes n’est pas une faveur : c’est un investissement durable qui prépare les compétences de demain.


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