L’étude dirigée par la professeure Suzy Welch de la New York University Stern School of Business dresse un constat sans appel : sur plus de 7 500 jeunes de la Génération Z interrogés et 2 100 recruteurs expérimentés, seuls 2 % partagent les mêmes priorités professionnelles. Les recruteurs continuent de valoriser la « hustle mentality » — ambition, réussite visible, mobilité rapide et engagement total dans le travail — alors que les jeunes placent en tête la recherche d’équilibre, de sens et de plaisir.
Les chercheurs qualifient cette approche de « eudémonique », fondée sur l’épanouissement personnel et la cohérence entre vie professionnelle et personnelle. La Génération Z ne cherche pas à travailler moins, mais à travailler autrement. Pour elle, l’authenticité, la liberté d’expression et la contribution à une cause sociétale ou environnementale sont des marqueurs d’engagement plus puissants que la rémunération ou le prestige d’un poste.
Les recruteurs, de leur côté, craignent un affaiblissement de la culture de l’effort et une dilution du sens de la responsabilité. Ils associent la réussite à la constance, à la discipline et à la capacité d’endurance. Cette opposition de valeurs produit un dialogue souvent stérile : chaque camp reproche à l’autre un rapport « déformé » au travail.
Une génération façonnée par la crise et l’incertitude
La Gen Z a grandi au milieu d’un enchaînement de crises : récessions, pandémie, urgences climatiques, explosion du coût de la vie et automatisation massive. Ces événements ont façonné un rapport plus lucide, parfois désenchanté, au monde professionnel. Les jeunes ont observé l’épuisement de leurs parents et l’érosion des promesses de stabilité.
Le travail n’est plus perçu comme un refuge ni une ascension sociale garantie. Il devient un moyen parmi d’autres de s’accomplir, à condition qu’il respecte des principes de bien-être, de transparence et de cohérence éthique. Cette vision s’oppose à celle des managers issus des générations précédentes, pour qui la carrière se construit dans la durée et le sacrifice.
La Génération Z n’accepte plus de différer la satisfaction : elle veut voir un sens immédiat à ce qu’elle fait, comprendre sa contribution et évoluer dans un environnement aligné sur ses valeurs. Ce besoin d’instantanéité, amplifié par les réseaux sociaux, se heurte à la temporalité plus lente des entreprises traditionnelles.
Le décalage dans les pratiques de recrutement
Ce choc de valeurs se manifeste dès les premiers contacts. Les jeunes candidats expriment leur déception face à des processus longs, impersonnels et hiérarchiques. Les recruteurs, eux, dénoncent un manque de persévérance ou de réalisme. Ce malentendu est souvent nourri par une absence de communication claire sur les attentes et les critères d’évolution.
Une anecdote citée par un professeur d’université illustre cette incompréhension : un étudiant, fraîchement embauché, attendait une promotion après trois mois, persuadé que ses efforts visibles suffisaient. L’entreprise n’avait jamais explicité son système d’évaluation. Le désalignement des repères nourrit frustration et désengagement.
Résultat : une rotation accrue des jeunes collaborateurs, des intégrations écourtées et une perte de confiance mutuelle. Le phénomène du « job hopping » s’étend : les jeunes quittent rapidement une entreprise qui ne correspond pas à leurs valeurs, tandis que les profils expérimentés s’accrochent à leurs postes, limitant la mobilité interne.
Les attentes réelles de la Génération Z
Les enquêtes convergent sur cinq priorités :
- Le sens : exercer un métier aligné avec des valeurs personnelles et un impact concret sur la société.
- L’équilibre de vie : préserver la santé mentale et refuser la glorification du surmenage.
- Le management horizontal : rechercher des relations authentiques et la possibilité de s’exprimer librement.
- La transparence : comprendre les objectifs, les règles du jeu et les perspectives d’évolution.
- L’autonomie organisée : disposer de flexibilité tout en appartenant à un collectif porteur de repères.
Contrairement à l’image parfois véhiculée d’une génération désengagée, la Gen Z manifeste une forte exigence envers l’entreprise : elle attend cohérence, écoute et engagement réel. Elle valorise aussi la diversité, l’inclusion et la responsabilité écologique.
Sur le plan professionnel, elle se montre plus pragmatique qu’idéaliste : beaucoup privilégient l’entrepreneuriat, le freelancing ou les start-up, y voyant la possibilité de concilier autonomie et sens. L’autoformation, les plateformes d’apprentissage en ligne et l’intelligence artificielle deviennent leurs leviers d’employabilité.
Comment rétablir le dialogue ?
Face à cette fracture, plusieurs pistes s’imposent. La première concerne la clarté de la communication. Les recruteurs doivent expliciter les critères d’évaluation, les parcours possibles et les attentes comportementales. Un discours sincère sur les contraintes et les opportunités renforce la confiance.
La deuxième piste est l’adaptation des organisations. Les structures hiérarchiques rigides et les modes d’évaluation obsolètes ne répondent plus à la demande de collaboration et de reconnaissance. Introduire davantage de feedback continu, de mentorat et de flexibilité renforce le sentiment d’appartenance.
Troisièmement, les entreprises gagnent à incarner leurs engagements sociétaux : politique RSE crédible, projets à impact, actions concrètes en matière de diversité et d’environnement. Ces démarches ne doivent pas être perçues comme de la communication, mais comme un cadre éthique cohérent.
Enfin, la cohabitation intergénérationnelle peut devenir un levier d’innovation. Les entreprises qui créent des binômes ou des programmes de mentorat croisé observent souvent une amélioration du climat social et une meilleure compréhension mutuelle. Les plus jeunes apportent agilité et regard neuf ; les seniors transmettent rigueur et sens du résultat.
Le travail en quête d’un nouveau modèle
Au-delà du simple conflit de valeurs, ce décalage reflète une mutation structurelle du travail. La logique du rendement individuel cède la place à la recherche de contribution collective. La performance se redéfinit : elle inclut désormais le bien-être, la créativité et la cohésion.
Les organisations qui s’accrochent à l’ancien paradigme risquent de se couper d’un vivier de talents considérable. Celles qui acceptent de repenser leurs repères — temps de travail, management, reconnaissance — pourraient, au contraire, gagner en attractivité et en innovation.
Cette redéfinition ne signifie pas la fin de l’ambition. Elle propose plutôt une autre forme d’exigence : celle d’un travail durablement désirable, où la performance économique et la qualité de vie ne s’excluent plus.
Vers une culture du travail partagée
La clé de l’équilibre repose sur un dialogue intergénérationnel renouvelé. Les entreprises doivent admettre que la hiérarchie des valeurs évolue ; les jeunes doivent reconnaître que la liberté suppose aussi des responsabilités.
Les DRH ont ici un rôle stratégique : concevoir des dispositifs d’écoute, de feedback et de co-construction. Transformer la culture d’entreprise pour en faire un espace d’expérimentation plutôt qu’un système figé.
À mesure que la Génération Z représentera la moitié de la population active, elle imposera ses standards : transparence, flexibilité, sens. Les recruteurs qui sauront les comprendre plutôt que les juger construiront un avantage compétitif durable.
Le décalage entre recruteurs et Génération Z n’est pas une menace, mais une invitation à repenser le contrat social du travail. L’entreprise de 2025 n’a plus vocation à exiger la loyauté sans réciprocité ; elle doit offrir de la clarté, du respect et du sens. Ceux qui comprendront cette équation verront naître une nouvelle alliance entre performance et humanité.







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