Jamais, depuis la crise financière de 2008, les suppressions d’emplois n’avaient atteint une telle intensité. D’octobre 2025, il restera un chiffre : 45 000 postes supprimés dans les plus grands groupes mondiaux, toutes régions confondues. Amazon, UPS, Intel, Microsoft, Nestlé ou encore Siemens ont pris part à cette déferlante sociale. Cette série de licenciements, concentrée sur quelques semaines, traduit moins une crise passagère qu’une transformation structurelle : celle d’un marché du travail mondialisé en recomposition rapide sous l’effet conjugué de l’IA, de la robotisation et de la pression économique.
Le pic d’octobre 2025
Les annonces se sont succédé à un rythme inédit. Amazon a fermé plusieurs divisions administratives, supprimant 14 000 postes dans ses fonctions support. UPS, de son côté, a poursuivi son plan de réorganisation mondiale : 48 000 emplois supprimés sur l’année, dont une part majeure concentrée en octobre. Intel et Microsoft ont également réduit leurs effectifs — entre 7 000 et 10 000 postes pour le premier, environ 6 000 pour le second — évoquant « une redéfinition stratégique » pour s’adapter à la concurrence et à l’automatisation. Au total, plus de 45 000 emplois ont disparu en un mois. Ce niveau dépasse de trois fois la moyenne mensuelle des licenciements enregistrés sur les dix dernières années. L’année 2025, déjà marquée par une succession de réductions d’effectifs dans la tech et l’industrie, a trouvé en octobre son point culminant.
Des causes économiques structurelles
La principale explication réside dans le ralentissement économique mondial. Les marges des entreprises ont été fragilisées par la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, tandis que l’inflation a pesé sur la demande. Le spectre d’une récession a conduit les directions à réduire leurs charges fixes pour préserver leurs résultats. Mais derrière les chiffres, une logique plus profonde s’est imposée : la quête d’efficacité à court terme. Sous pression des marchés financiers, les grandes multinationales ont privilégié la réduction immédiate des effectifs au détriment des investissements humains. Les suppressions ont donc touché en priorité les fonctions administratives, financières et logistiques — des métiers jugés substituables ou « optimisables ».
L’impact de l’intelligence artificielle et de l’automatisation
Si la conjoncture a servi de catalyseur, l’accélération technologique a joué le rôle de déclencheur. Entre juillet et octobre 2025, les investissements en IA ont atteint des niveaux record : selon KPMG, ils ont augmenté de 14 % sur un trimestre, atteignant en moyenne 130 millions de dollars par grande entreprise. L’automatisation ne concerne plus seulement la production industrielle : elle s’étend désormais à la gestion, à la planification, à la communication interne et même à la stratégie. Les directions ont adopté une logique radicale : remplacer ou redéployer les fonctions humaines non essentielles. Les centres d’appels, les services comptables, les départements RH ou logistiques figurent parmi les plus touchés. Amazon a ainsi remplacé une partie de ses services d’assistance interne par des systèmes d’IA générative. Intel a déployé des outils d’optimisation des chaînes d’approvisionnement basés sur l’apprentissage automatique. Chez Microsoft, la fusion entre plusieurs divisions cloud et IA a entraîné la suppression de postes intermédiaires.
Une rupture du contrat social d’entreprise
Octobre 2025 a aussi révélé un changement profond dans la relation entre employeur et collaborateur. La brutalité de certaines annonces, parfois communiquées par courriel collectif ou via des plateformes internes, a suscité une vague d’indignation et entamé la confiance envers la culture d’entreprise. Les équipes RH ont dû gérer non seulement la sortie de milliers de collaborateurs, mais aussi la démobilisation des équipes restantes. Le sentiment d’insécurité professionnelle s’est amplifié : dans plusieurs sondages réalisés après ces licenciements, plus de 60 % des employés interrogés dans la tech disent craindre une nouvelle vague d’ici 2026. La marque employeur a, elle aussi, été profondément affectée. Dans un marché des talents déjà tendu, les candidats reconsidèrent désormais la stabilité des grandes entreprises, longtemps perçues comme des bastions de sécurité et de prestige.
Les limites des plans d’accompagnement
La plupart des groupes ont annoncé des dispositifs de soutien : primes de départ, aides à la reconversion, accès à des plateformes de formation ou programmes d’outplacement. Mais ces mesures se sont souvent révélées symboliques au regard de la taille des restructurations. La reconversion vers les métiers du numérique ou de la data, fréquemment proposée, reste difficile pour des collaborateurs issus de fonctions traditionnelles. L’écart de compétences entre les métiers supprimés et les nouveaux emplois créés dans l’IA demeure considérable. Ce décalage nourrit un paradoxe : alors que les entreprises se séparent de milliers de salariés, elles peinent à recruter des profils spécialisés capables de piloter les technologies qu’elles déploient.
Vers un nouvel équilibre du travail
Octobre 2025 a confirmé que la mutation du travail n’est plus cyclique, mais structurelle. Le marché mondial évolue vers une polarisation : d’un côté, une élite de compétences technologiques très recherchées ; de l’autre, une masse de postes standardisés menacés par l’automatisation. Cette recomposition impose de repenser le rapport entre productivité et emploi. L’IA ne détruit pas seulement des emplois ; elle reconfigure la nature même du travail. Les fonctions de supervision, d’analyse ou de décision sont redéfinies. Le « travail hybride » entre humain et machine devient la norme, exigeant des collaborateurs une agilité cognitive et émotionnelle nouvelle.
Quelles perspectives après le choc ?
Les experts s’accordent à dire que la vague d’octobre n’est pas un épisode isolé, mais le symptôme d’un basculement durable. Trois tendances devraient marquer les années 2026-2027 :
- La normalisation des suppressions d’emplois : les réorganisations deviendront continues, inscrites dans une logique d’ajustement permanent.
- La montée de la flexibilité structurelle : davantage de contrats courts, de freelances et de sous-traitance pour absorber les variations d’activité.
- La redéfinition du travail qualifié : les postes centrés sur la créativité, la stratégie et la relation humaine prendront de la valeur, tandis que les fonctions d’exécution continueront de se réduire. Dans ce nouveau modèle, la stabilité de l’emploi ne sera plus garantie par la taille de l’entreprise, mais par la rareté de la compétence.
Une transformation irréversible
Octobre 2025 a donc marqué un point de bascule : la productivité algorithmique s’est imposée comme critère central de gestion, reléguant le facteur humain au second plan. Mais cette logique porte un risque majeur : l’érosion de la cohésion organisationnelle. Les entreprises qui parviendront à préserver la confiance, à accompagner les transitions et à redonner du sens au travail sortiront renforcées. Le mois d’octobre n’a pas seulement compté des licenciements : il a symbolisé la fin d’une époque où l’emploi salarié représentait la norme universelle. L’économie mondiale entre désormais dans une phase de recomposition, où l’intelligence artificielle dicte les équilibres et où la valeur du travail humain devra se redéfinir.







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