Depuis plusieurs mois, les signaux d’alerte s’enchaînent. Dans de précédentes tribunes publiées sur DRH.ma, nous avions déjà relayé les avertissements de Dario Amodei, PDG d’Anthropic, sur la disparition de la moitié des emplois de bureau juniors d’ici cinq ans, ou encore les constats de l’OIT quant à la fragilité des premiers emplois face à l’automatisation. Ces annonces dessinaient une trajectoire inquiétante pour l’insertion professionnelle des jeunes diplômés.
La déclaration de Roman Yampolskiy s’inscrit dans cette même logique, mais pousse le curseur à son extrême : non plus la disparition d’une catégorie de métiers, mais celle de presque toutes les activités humaines. Selon lui, l’intelligence artificielle générale — des machines capables de rivaliser avec l’humain sur l’ensemble des tâches cognitives et physiques — pourrait émerger dès 2027 et, en moins de trois ans, déstabiliser la quasi-totalité du marché du travail.
Une trajectoire déjà amorcée
Pour Yampolskiy, l’automatisation suit une séquence implacable. Dans un premier temps, tout ce qui peut être accompli sur ordinateur sera pris en charge par l’IA. Cela inclut la programmation, la production de contenus, la comptabilité, l’analyse de données, l’enseignement en ligne ou encore les métiers liés au conseil. Puis, dans un second temps, l’émergence de robots humanoïdes viendra supplanter les activités physiques, de la cuisine à la maintenance technique. Selon lui, la bascule vers une disparition quasi totale des emplois humains serait donc atteinte avant 2030.
Cette perspective n’est pas une rupture brutale, mais l’accélération d’une dynamique déjà perceptible. Les entreprises intègrent des agents IA capables de produire des synthèses, d’interagir avec des clients ou de générer du code. Les suppressions de postes attribuées directement à l’IA ne se comptent plus par dizaines mais par milliers, et concernent en priorité des fonctions junior. Le marché du travail se contracte à la base, fragilisant l’entrée des nouvelles générations.
Le risque d’une substitution totale
Contrairement à l’idée largement répandue selon laquelle seules les tâches répétitives ou peu qualifiées seraient exposées, Yampolskiy insiste : l’automatisation touchera aussi les professions créatives, intellectuelles et techniques. Même les métiers liés à la conception et à l’usage de l’IA ne seraient pas épargnés. Il rappelle que l’IA conçoit déjà des prompts pour d’autres IA avec une efficacité supérieure à celle des humains.
L’équation est implacable : une intelligence artificielle capable de se répliquer, de s’auto-améliorer et de produire mieux et moins cher que l’humain tend mécaniquement vers une substitution intégrale. Yampolskiy n’hésite pas à évoquer l’hypothèse d’un abonnement à 20 dollars par mois pour remplacer un salarié, soulignant l’attractivité économique immédiate pour les entreprises.
Mais cette logique purement budgétaire débouche sur une impasse sociale. Si l’emploi disparaît, comment garantir un revenu, un rôle, une place dans la société à des milliards de personnes privées de travail ?
Une menace existentielle pour l’organisation sociale
La prédiction de Yampolskiy ne se limite pas à l’économie. Elle pose une question existentielle : que devient une société où le travail humain n’a plus de valeur productive ? Le travail structure les identités, les rythmes sociaux, la distribution des richesses et l’intégration des individus.
Sans emploi, il ne s’agit pas seulement d’un problème de revenus, mais aussi d’une perte de sens et de repères. Les politiques publiques se retrouveraient confrontées à des choix radicaux : instaurer des revenus universels, redéfinir la citoyenneté autour d’autres formes de contribution sociale, ou accepter une marginalisation massive.
Yampolskiy lui-même insiste sur l’absence de plan B. Là où les précédentes révolutions industrielles permettaient de reconvertir les travailleurs vers de nouveaux secteurs, l’AGI supprime la possibilité même de la reconversion. La montée en compétences, l’argument récurrent pour amortir les chocs technologiques, risque de perdre sa pertinence.
Un débat scientifique, mais une urgence politique
Certains experts jugent l’annonce de Yampolskiy excessive. La perspective d’une AGI pleinement opérationnelle dès 2027 est contestée, et l’idée d’une disparition de 99 % des emplois est perçue comme une hypothèse extrême. Mais même si le scénario se révélait partiellement faux, il reste un signal fort.
D’autres voix, comme Geoffrey Hinton, surnommé le « parrain de l’IA », évoquent déjà une automatisation massive de toutes les professions intellectuelles. Dario Amodei prévoit la suppression de la moitié des emplois de col blanc d’ici cinq ans. Ces prévisions convergentes, même si elles diffèrent sur l’ampleur, tracent une tendance commune : la contraction rapide du marché de l’emploi qualifié.
Face à cela, le silence politique est assourdissant. Ni plans massifs de reconversion, ni cadres réglementaires adaptés ne sont à l’ordre du jour. Les entreprises poursuivent leur logique d’optimisation, les gouvernements temporisent, et les sociétés se rapprochent d’un choc qui n’est plus théorique.
Le rôle stratégique des DRH
Dans ce contexte, les directions des ressources humaines ne peuvent rester spectatrices. Leur responsabilité est double. D’une part, accompagner l’intégration de l’IA dans les organisations sans sacrifier la relève. D’autre part, porter le débat dans la sphère publique, en assumant une fonction d’alerte et de proposition.
Cela implique de maintenir des politiques d’embauche junior, même limitées, pour éviter une rupture générationnelle. De refondre les processus d’onboarding afin d’initier les nouveaux collaborateurs à l’usage responsable et critique de l’IA. De repenser les carrières comme des trajectoires hybrides, où l’humain n’est plus en concurrence frontale avec la machine mais en position de supervision et de régulation.
Il s’agit aussi de contribuer à une réflexion plus large sur la redistribution de la valeur. Les DRH, au carrefour de l’économique et du social, sont légitimes pour proposer des mécanismes de partage qui dépassent la seule logique salariale : formation continue financée par les gains de productivité, droits sociaux attachés à la personne plutôt qu’au poste, reconnaissance de contributions non marchandes.
La prédiction radicale de Roman Yampolskiy ne doit pas être lue comme une provocation isolée. Elle s’ajoute à une série d’alertes convergentes que nous avons déjà relayées sur DRH.ma. Elle met surtout en évidence l’urgence d’une prise de conscience collective.
Si 99 % des emplois venaient à disparaître, le défi ne serait pas seulement économique, mais civilisationnel. Le rôle des DRH, dans ce scénario, ne se limiterait plus à gérer le capital humain : il consisterait à préserver l’humanité dans l’organisation du travail.







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