L’article 114 de la loi 65-00, toujours en vigueur malgré son caractère transitoire initial, autorise certaines entreprises à maintenir des régimes privés de couverture santé antérieurs à l’AMO. Ce dispositif concerne environ 480 000 salariés et plus de deux millions de bénéficiaires, principalement issus de grandes structures ou de secteurs historiquement favorisés.
Dans son avis du 1er juin 2023, le CESE a recommandé la suppression progressive de ce régime, considérant qu’il crée une iniquité entre salariés relevant d’entreprises différentes, voire d’une même structure. Pour le Conseil, cette coexistence de régimes est contraire aux principes de solidarité et de mutualisation sur lesquels doit reposer l’Assurance Maladie Obligatoire.
Un an plus tard, aucune date officielle n’a été annoncée, mais un document sectoriel – Le Courrier de l’Assurance de juin 2025 – évoque une mise en œuvre « à très court terme », sans confirmation formelle des autorités. Cette incertitude place les entreprises et les acteurs RH dans une posture d’observation active.
De l’équité à la recomposition des politiques sociales
Au-delà de la logique institutionnelle, cette réforme, si elle entrait en vigueur, mettrait en lumière une réalité peu visible : la stratification des droits sociaux au sein même des entreprises. L’existence de deux régimes de couverture pour des salariés de statuts proches ou équivalents alimente des tensions internes, des perceptions d’injustice et fragilise la cohésion d’équipe.
La suppression du régime dérogatoire pourrait donc, paradoxalement, renforcer l’équilibre interne à condition d’être bien accompagnée. Il s’agirait d’une opportunité de réajuster les avantages sociaux sur des bases plus uniformes et lisibles, mais aussi de redéfinir ce que représente la protection santé dans la politique sociale d’une entreprise.
Dans son avis, le CESE souligne que cette évolution ne devrait pas se faire de manière brutale. Il recommande un calendrier de transition clair, une campagne d’information structurée, ainsi qu’une portabilité des droits, pour garantir la continuité de la couverture sans rupture.
Du côté des directions RH, la bascule progressive vers un socle unique d’AMO – comme suggéré par le CESE – appellerait une série d’ajustements internes, même en l’absence d’obligation immédiate.
Les régimes privés actuels sont souvent intégrés dans les conventions collectives et sont perçus comme un élément différenciateur en matière d’attractivité et de fidélisation. Leur disparition obligerait les entreprises à redéployer leur politique sociale, soit par l’ajout de garanties complémentaires, soit par l’élargissement d’autres dispositifs de protection (prévoyance, épargne salariale, accompagnement au bien-être).
En parallèle, la communication interne jouerait un rôle crucial. Les collaborateurs habitués à un régime privé performant pourraient percevoir ce changement comme une régression, surtout si l’offre de l’AMO reste perçue comme moins réactive ou moins généreuse. Il incomberait alors aux DRH d’organiser une pédagogie active, de mobiliser les IRP, et de proposer des dispositifs alternatifs permettant de maintenir une qualité perçue élevée.
Un nouveau rôle pour les syndicats et les assureurs
Le CESE, dans son avis de 2023, insiste aussi sur le rôle des partenaires sociaux dans cette transition. Ils ne sont pas appelés à contester la suppression du régime dérogatoire, mais à garantir l’équité de la migration vers l’AMO et à négocier les conditions de compensation sociale.
Les syndicats pourraient ainsi demander :
- des garanties sur les délais de remboursement de la CNSS,
- l’accès facilité à des produits surcomplémentaires négociés,
- ou encore la mise en place de mécanismes de portabilité en cas de départ.
Les compagnies d’assurance seraient également fortement impactées. Selon les estimations sectorielles, ce marché représente environ 3,6 milliards de dirhams de primes annuelles. Sa disparition, même étalée dans le temps, imposerait une redéfinition du modèle d’affaires : développement de produits top-up, services connectés, accompagnement de la transition numérique du risque santé.
À date, la suppression de l’article 114 n’a pas encore été confirmée par voie réglementaire. Mais les signaux sont de plus en plus convergents : un avis argumenté du CESE en 2023, des publications sectorielles évoquant une bascule à venir, et une volonté publique réaffirmée de renforcer la gouvernance de l’AMO autour de la CNSS.
Dans ce climat de transition floue, les DRH auraient tout intérêt à adopter une démarche d’anticipation proactive :
- Identification des collaborateurs concernés ;
- Audit des écarts de prestations ;
- Simulation budgétaire d’un passage à l’AMO avec surcomplémentaire ;
- Dialogue avec les représentants du personnel ;
- Réflexion sur la stratégie d’image employeur à moyen terme.
En définitive, la question posée par le CESE ne se résume pas à une conformité juridique. Elle invite les entreprises à repenser le sens et la cohérence de leur politique sociale, dans une logique de justice collective et d’unification des droits. Une ambition qui, si elle est bien conduite, pourrait dépasser le seul champ de la santé pour toucher à la culture même du contrat social en entreprise.







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