Le scénario aurait pu être tiré d’un mauvais polar social. Jeudi 8 mai, jour férié en France, la direction de Paul & José offre aux salariés marocains un jour de repos supplémentaire, rémunéré. Un geste apprécié… mais qui servira à vider les bureaux à l’insu de tous. Quatre jours plus tard, à leur retour, les collaborateurs découvrent une entreprise fantôme : aucun ordinateur, aucun dossier, aucun responsable en vue. Les bureaux du boulevard d’Anfa sont désertés, scellés, et le silence est total du côté de la direction.
Le choc est brutal. Aucune communication officielle, aucun préavis, aucun plan social. Des dizaines de salariés, certains avec plus de dix ans d’ancienneté, se retrouvent du jour au lendemain sans emploi, sans salaire d’avril, sans prime, sans congés payés. Pour beaucoup, c’est la sidération. Pour d’autres, la colère monte.
Des destins brisés sans explication
Derrière cette fermeture, ce sont des vies qui vacillent. Samia Rais, en poste depuis 2018, se souvient : « En réalité, c’était un prétexte pour faire disparaître la boîte. » Cheikh Diao et son épouse Awa, treize et douze ans d’ancienneté, se retrouvent sans revenu. Imane El Imani, enceinte de huit mois au moment des faits, a accouché sans bénéficier de son congé maternité, pourtant dû après dix ans de loyauté.
Le cas de Siham Lamrani, embauchée en 2015, illustre l’impact social immédiat. Sans salaire, elle doit désormais compter uniquement sur celui de son mari pour subvenir aux besoins de leurs trois enfants. Le drame dépasse le cadre professionnel. Il touche l’équilibre familial, la santé mentale, la sécurité sociale des individus.
Une cession douteuse au parfum de fraude sociale
Le 28 mars 2025, soit six semaines avant la fermeture, Paul & José est discrètement cédée à un homme d’affaires franco-camerounais, Régis Etari, pour la somme dérisoire de 77 900 dirhams. Un montant dérisoire au vu des résultats nets affichés par la société – près de 145 millions de dirhams en 2023. Aucun plan de passation, aucune reprise sérieuse. Tout laisse à penser à un montage destiné à se délester des obligations sociales liées aux licenciements et à l’indemnisation.
Le PDG historique, Stéphane Koubi, également patron du groupe français Futur Digital, a disparu de tous les radars. À Dakar, où Paul & José possède une autre antenne, les salariés redoutent un scénario identique. La méthode – brutale, opaque, cynique – alimente un sentiment de trahison.
Ce cas met en lumière les failles de régulation dans le secteur des centres d’appels au Maroc. Malgré sa contribution économique importante – plus de 120 000 emplois directs selon les dernières estimations –, l’outsourcing reste un secteur où certains acteurs naviguent à la limite de la légalité.
Dans le cas de Paul & José, le capital social dérisoire, les pratiques d’optimisation fiscale, l’absence de représentation syndicale active et la fuite des dirigeants constituent un terreau fertile pour les abus. Les salariés n’ont été ni informés, ni consultés, ni soutenus. Le droit du travail marocain a été contourné dans son esprit comme dans sa lettre.
Mobilisation syndicale et réponse institutionnelle
La Fédération des centres d’appels et l’Union marocaine du travail (UMT) n’ont pas tardé à réagir. Des plaintes ont été déposées pour licenciement abusif, escroquerie, non-paiement des droits acquis. Les syndicats dénoncent une fraude sociale caractérisée, orchestrée depuis l’étranger, avec la complicité d’un repreneur de circonstance.
À Dakar, des manifestations de solidarité ont été organisées devant les locaux de la filiale sénégalaise. À Casablanca, des sit-in ont été signalés. Mais au-delà de l’émotion, la question de la régulation se pose. Comment éviter que d’autres centres d’appels ne soient tentés par le même type d’opérations de liquidation déguisée ?
Ce que cette affaire dit des responsabilités RH
Pour les DRH marocains, cette affaire est plus qu’un fait divers social. Elle pose des questions de fond sur la gouvernance, le respect du droit du travail, la gestion des risques managériaux. Comment protéger les collaborateurs d’une fermeture soudaine ? Quel rôle peut jouer la fonction RH dans l’anticipation et la médiation de telles crises ? Quelle vigilance appliquer lors des opérations de cession ou de reprise d’activités ?
Les DRH doivent aujourd’hui aller au-delà de la conformité administrative. L’affaire Paul & José appelle à une éthique renforcée dans les pratiques RH, à une due diligence plus rigoureuse dans le suivi des engagements sociaux des employeurs étrangers.
Un secteur stratégique, mais vulnérable
L’outsourcing, souvent présenté comme un levier de croissance pour le Maroc, repose sur des équilibres fragiles. Pression sur les coûts, turn-over élevé, exigence de rentabilité : autant de facteurs qui favorisent des comportements court-termistes. Et lorsque ces comportements deviennent délétères, ce sont les collaborateurs qui en paient le prix fort.
Le cas Paul & José révèle une vulnérabilité structurelle. L’absence d’un cadre de régulation robuste pour les opérations de cession, le déficit de protection sociale, l’asymétrie entre les groupes donneurs d’ordre et les filiales locales fragilise le tissu RH.
Un électrochoc nécessaire pour les DRH et les décideurs publics
L’affaire Paul & José ne peut rester un cas isolé sans réponse. Elle doit provoquer un électrochoc auprès des autorités, des DRH, des fédérations sectorielles et des partenaires sociaux. Ce scandale révèle combien la sécurité juridique des collaborateurs est encore trop souvent négligée au profit de logiques économiques déconnectées de la réalité humaine.
Les DRH ont aujourd’hui un rôle à jouer dans la structuration de ce secteur : par l’exemplarité, par la veille, par le plaidoyer auprès des pouvoirs publics. Faire de l’outsourcing un levier de développement durable passe nécessairement par une revalorisation du dialogue social, une gouvernance transparente, et une prise en compte réelle du facteur humain.
Au 1er juillet 2025, les anciens salariés de Paul & José sont toujours sans nouvelle de leur employeur, sans indemnités, sans reclassement. Le dossier est entre les mains de la justice. Mais au-delà de la procédure, une question demeure : combien d’autres entreprises, aujourd’hui, pourraient reproduire ce schéma, dans l’impunité la plus totale ?







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