Votre manager vous a-t-il donné du feedback cette année ? D’après vos RH, la réponse est presque toujours oui. Pourtant, un quart des employés européens affirment n’avoir reçu aucun retour officiel en douze mois. Ce contraste saisissant, révélé par le rapport HR Monitor 2025 de McKinsey, met en lumière une rupture de communication profonde. Les entreprises investissent massivement dans le développement des compétences, mais les initiatives affichées dans les rapports internes semblent se dissoudre dans le quotidien des équipes. Sur le terrain, ce qui devait être un moteur de progression se transforme trop souvent en simple formalité sans impact.
L’étude ne dénonce pas l’absence d’initiatives : elle pointe leur inefficacité. Entre des managers qui peinent à formuler un feedback clair, des formations vécues comme des obligations administratives et des processus RH fragmentés, le développement professionnel se heurte à un problème structurel : ce qui est prévu n’est pas perçu. Et un feedback qui n’est pas perçu n’a pas eu lieu. Une formation oubliée est une formation inutile.
Le dialogue de sourds en chiffres
Les écarts de perception mis en évidence par le rapport sont spectaculaires. Sur le feedback :
- 26 % des employés déclarent n’avoir reçu aucun feedback officiel en 2024.
- Côté RH, ce chiffre tombe à 6 %.
La différence est vertigineuse : plus de 400 % d’écart dans la perception d’une même réalité. Et même lorsque le feedback existe, sa fréquence est jugée insuffisante : 56 % des salariés ne reçoivent qu’un ou deux retours par an, bien loin de ce qu’impliquent les bonnes pratiques de développement continu. Les RH, elles, pensent que les échanges sont plus réguliers.
La formation suit la même tendance :
- Les employés rapportent en moyenne 12 jours de formation par an.
- Les RH comptabilisent 22 jours — soit un écart de 45 %, presque le double.
Plus inquiétant encore, 30 % des employés européens déclarent n’avoir suivi aucune formation en 2024. En Allemagne, cette proportion grimpe à 44 %.
Ces écarts ne sont pas de simples erreurs de comptage. Ils traduisent un fossé entre ce que l’entreprise pense délivrer et ce que l’employé vit et retient.
Tableau – Deux mondes parallèles
| Indicateur | Perception employé | Perception RH |
| Aucun feedback officiel reçu en 12 mois | 26 % | 6 % |
| Jours moyens de formation par an | 12 | 22 |
| Aucun jour de formation en 2024 | 30 % | — |
Source : McKinsey HR Monitor 2025
Pourquoi le message ne passe pas
Le rapport avance plusieurs explications. La première tient au rôle des managers. Beaucoup peinent à délivrer un feedback constructif et précis, préférant adoucir le message pour éviter le conflit. Résultat : des échanges flous que l’employé ne perçoit pas comme un retour formel, mais comme une discussion informelle. Dans certains cas, les réunions prévues pour évaluer la performance sont détournées pour traiter de sujets opérationnels urgents, reléguant l’évaluation à plus tard… ou aux oubliettes.
La deuxième explication concerne la formation. Les sessions en ligne, souvent suivies en parallèle d’autres tâches, se transforment en exercice passif : on se connecte, on laisse tourner, et on coche la case. Dans ce contexte, la rétention d’informations est faible et l’impact sur les compétences quasi nul.
Enfin, le formalisme manque cruellement. Un feedback non documenté, non suivi d’un plan d’action concret, ne laisse pas de trace tangible. Une formation non reliée à un objectif de développement identifié reste déconnectée des priorités professionnelles du collaborateur.
La chaîne de valeur brisée
Au cœur du problème se trouve une fragmentation des processus RH. Les trois piliers du développement — évaluation de performance, formation, gestion des talents — fonctionnent souvent en silos. Seules 20 % des organisations interrogées par McKinsey relient efficacement les résultats des évaluations aux recommandations de formation et aux parcours de gestion des talents.
Concrètement, cela signifie qu’un feedback, même pertinent, n’ouvre pas nécessairement sur une opportunité de formation ciblée. Et qu’une formation suivie ne débouche pas sur une évolution de poste ou une intégration dans un plan de succession. La boucle d’amélioration est interrompue à chaque étape.
Cette déconnexion alimente le sentiment d’inutilité : les employés perçoivent les initiatives comme des obligations ponctuelles, non comme des éléments intégrés dans leur trajectoire professionnelle.
Réparer la communication
Pour combler ce fossé, le rapport identifie plusieurs leviers.
- Mettre en place un feedback multi-sources L’évaluation à 360° — incluant retours des pairs, des subordonnés, des clients internes — permet de multiplier les angles de vue et d’objectiver les perceptions. Elle donne aussi plus de légitimité au feedback, perçu comme plus complet et moins subjectif.
- Adopter le modèle 70/20/10 Ce cadre, largement éprouvé, répartit l’apprentissage en trois composantes : 70 % d’expérience sur le terrain (missions, projets, mobilités internes), 20 % via le feedback, le mentorat et le coaching, et 10 % par la formation formelle. Ce modèle oblige à dépasser la vision purement académique de la formation.
- Relier chaque action à un objectif de carrière Qu’il s’agisse d’un feedback ou d’une formation, chaque étape doit être reliée à un objectif clair : progression interne, acquisition d’une compétence stratégique, préparation à un poste critique. Cette logique renforce la pertinence et la motivation à s’engager.
- Intégrer les processus Les systèmes RH doivent permettre un suivi transversal : du feedback initial à l’action de formation, puis à l’évolution de poste. Les données doivent circuler entre responsables RH, managers et collaborateurs, créant une continuité de développement.
Du volume aux résultats
L’une des recommandations fortes du rapport est de cesser de mesurer les « inputs » — le nombre de jours de formation, le volume de sessions tenues — pour se concentrer sur les « outcomes » :
- quelles compétences ont été réellement acquises ?
- quelles performances se sont améliorées ?
- quelles mobilités internes ou promotions ont découlé des actions ?
Le développement des talents n’est pas une question de cases cochées dans un système, mais de transformation réelle des capacités et de l’engagement. Cela suppose un changement de culture managériale : remplacer la complaisance par la clarté, la formalité inutile par la pertinence, et les programmes standardisés par des parcours individualisés.
Le « mirage du feedback » révèle un écart qui ne se comblera pas par de simples ajustements. Il exige une remise à plat de la manière dont les organisations conçoivent, délivrent et mesurent le développement professionnel. Tant que le dialogue de sourds persistera entre ce que les RH croient offrir et ce que les employés vivent, les budgets de formation et de développement continueront de produire un rendement faible. Et dans un marché du travail où la rétention des compétences clés est plus stratégique que jamais, ce luxe est devenu intenable.







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