Les entreprises aiment croire qu’elles récompensent le mérite. Pourtant, les faits racontent une autre histoire. Les systèmes de promotion valorisent la performance visible plutôt que la compétence durable, l’assurance plutôt que la lucidité. Résultat : des dirigeants charismatiques mais souvent déconnectés, et des experts compétents écartés des postes de décision. Ce phénomène n’est pas marginal : il révèle une faille profonde dans la manière dont les organisations conçoivent le leadership.
La confusion entre performance et leadership
Tout commence par une erreur de conception. Les organisations continuent de croire que la réussite dans une fonction constitue la meilleure preuve de la capacité à assumer la suivante. On récompense ainsi un bon technicien en le nommant manager, puis un bon manager en le promouvant directeur. Chaque étape valide la précédente, sans questionner la nature des compétences requises. Ce mécanisme, théorisé dès les années 1960 sous le nom de « principe de Peter », conduit mécaniquement à placer les individus à leur niveau d’incompétence.
Ce glissement est alimenté par la logique du résultat : ce qui compte, c’est ce qui se mesure. Or, les aptitudes à fédérer, à décider dans l’incertitude ou à penser à long terme échappent souvent à toute métrique. La compétence devient alors invisible, tandis que la conformité et la visibilité deviennent les nouveaux critères de réussite.
L’assurance contre la lucidité
Les sciences cognitives ont montré que l’être humain évalue rarement ses capacités avec justesse. C’est tout le paradoxe de l’effet Dunning-Kruger : les moins compétents surestiment leurs aptitudes, tandis que les plus lucides doutent. En entreprise, cette asymétrie se traduit par un déséquilibre structurel : ceux qui parlent le plus fort accèdent souvent aux responsabilités, quand ceux qui maîtrisent réellement leur sujet hésitent à s’imposer.
Les systèmes de promotion amplifient cette dérive. Les décideurs confondent confiance en soi et potentiel de leadership. L’assurance devient un substitut de compétence. Le charisme, un signe de légitimité. Les organisations finissent par produire une aristocratie de la posture : des dirigeants convaincus d’être compétents, surtout parce que personne n’ose plus leur dire le contraire.
Le pouvoir comme distorsion cognitive
Le pouvoir transforme celui qui le détient. Des recherches en neurosciences ont montré que la position hiérarchique réduit la capacité d’empathie et altère la perception des signaux sociaux. Le dirigeant cesse de percevoir les nuances, les doutes, les résistances. Il croit comprendre parce qu’il décide. Il cesse d’écouter parce qu’il est écouté.
L’incompétence devient alors un produit secondaire du pouvoir : elle se renforce à mesure que la distance entre le dirigeant et la réalité s’accroît. Privé de contradiction, il évolue dans un écosystème où la loyauté vaut mieux que la lucidité. Ce n’est plus l’erreur initiale de jugement qui menace l’organisation, mais l’incapacité à la corriger. Le pouvoir devient un amplificateur d’illusions.
Les biais systémiques de la promotion
La hiérarchie moderne repose sur une série de biais silencieux. Le biais de visibilité favorise ceux qui savent se montrer, occuper l’espace, prendre la parole. Le biais de similarité pousse les dirigeants à promouvoir des profils qui leur ressemblent : mêmes codes, mêmes convictions, mêmes réflexes. Enfin, le biais du court terme privilégie les résultats immédiats aux décisions durables.
Ces biais façonnent une logique d’endogamie intellectuelle : les organisations reproduisent ce qu’elles connaissent, non ce dont elles ont besoin. Les nouveaux dirigeants sont souvent les copies polies de leurs prédécesseurs, sans les nuances ni la capacité de remise en question. L’incompétence n’est plus une exception ; elle devient la norme institutionnelle.
Les coûts invisibles du leadership défaillant
L’incompétence au sommet ne se manifeste pas toujours par des crises visibles. Elle s’exprime dans les lenteurs, les contradictions, la perte de cohérence stratégique. Elle se lit dans la multiplication des réunions inutiles, la peur de la décision, ou encore la surcommunication autour de réformes qui ne transforment rien.
Ce phénomène a un coût cognitif majeur : il érode la confiance et affaiblit la mémoire collective de l’organisation. Les décisions s’empilent sans apprentissage, les erreurs se répètent sous d’autres noms. La compétence devient rare non parce qu’elle n’existe pas, mais parce qu’elle n’est plus perçue comme un avantage compétitif.
Réhabiliter la compétence comme acte de gouvernance
Sortir de ce cercle exige plus qu’une réforme des procédures de promotion : c’est un changement de culture. Les organisations qui progressent ont compris que la compétence n’est pas un état, mais une dynamique : la capacité à apprendre plus vite que le contexte ne change.
Cela suppose de revaloriser la lucidité comme qualité première du leadership : la faculté à se remettre en question, à écouter les signaux faibles, à accueillir la contradiction. Les modèles de gouvernance les plus robustes reposent sur des mécanismes d’évaluation à 360 degrés, où le leadership est jugé non par ceux qui le nomment, mais par ceux qui le vivent.
Promouvoir la compétence, c’est donc accepter l’inconfort de la transparence. C’est admettre que le charisme ne remplace pas la pensée, et que le doute n’est pas une faiblesse, mais une forme de maturité professionnelle.
Le défi du management contemporain n’est plus de trouver des leaders inspirants, mais des leaders lucides. La véritable force d’un dirigeant ne réside pas dans sa confiance, mais dans sa capacité à reconnaître ce qu’il ignore. L’organisation du futur ne sera pas celle où les plus sûrs d’eux prendront le pouvoir, mais celle qui saura confier le pouvoir à ceux qui savent douter.







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