L’essor de l’IA générative (Gen AI) a bouleversé les certitudes des dirigeants. Contrairement aux logiciels traditionnels, elle ne se contente pas d’outiller les collaborateurs : elle redéfinit leurs capacités, leurs rôles et même la manière dont les entreprises créent de la valeur. Pourtant, entre fascination et incertitude, beaucoup de CEO peinent encore à transformer l’expérimentation en avantage compétitif. Selon McKinsey, les employés utilisent déjà ces outils trois fois plus que leurs dirigeants ne l’imaginent. Ce décalage illustre une adoption spontanée, mais non structurée, qui limite l’impact organisationnel. Pour passer de l’expérimentation dispersée à la création de valeur, les entreprises doivent se doter d’un plan clair de conduite du changement.
Redéfinir le cap avec un « North Star »
Le premier impératif est de définir une vision claire : le fameux North Star. Plutôt que de considérer l’IA comme un outil imposé, les dirigeants doivent la penser comme une capacité stratégique intégrée à la culture de l’entreprise. Cette boussole doit à la fois être compréhensible pour tous et suffisamment ambitieuse pour inspirer les équipes. Elle doit anticiper l’évolution rapide des modèles, intégrer leurs futurs usages et surtout préciser l’impact attendu sur le cycle de vie des talents : recrutement, montée en compétences, redistribution des rôles.
Pour les DRH, cette démarche implique d’aligner les parcours de carrière avec cette vision, d’anticiper les métiers appelés à disparaître ou à évoluer, et d’identifier les compétences émergentes. Définir un cap commun permet non seulement d’éviter les résistances mais aussi de transformer l’IA en moteur de cohésion interne.
Construire la confiance grâce à la gouvernance et aux données
L’un des plus grands défis du déploiement de l’IA générative réside dans la confiance. Si les collaborateurs doutent de la fiabilité des réponses produites par l’IA, ils refuseront de les intégrer dans leurs décisions. C’est pourquoi les entreprises performantes en la matière investissent massivement dans des dispositifs de gouvernance et de qualité des données.
Les DRH doivent veiller à ce que les collaborateurs comprennent d’où proviennent les informations, comment elles sont traitées et dans quel cadre éthique elles s’inscrivent. L’exemple de Morgan Stanley, qui n’a déployé son assistant IA qu’après une phase d’évaluation rigoureuse, illustre la nécessité de bâtir des garde-fous solides. Les politiques de gouvernance doivent inclure la transparence sur les sources, des comités de supervision, ainsi que des points de contrôle humains pour limiter biais et hallucinations.
Cette exigence de confiance est encore plus cruciale dans les secteurs régulés, comme la finance ou la santé, où l’erreur peut avoir des conséquences majeures. Pour les DRH, il s’agit de sensibiliser les équipes, de formaliser des chartes d’usage et d’accompagner la montée en maturité des pratiques.
Réinventer les workflows : de l’outil à l’agent collaboratif
L’IA générative n’est pas un simple add-on aux processus existants. Elle appelle une refonte en profondeur des workflows. Trois étapes peuvent être distinguées :
- Phase 1 : l’IA assiste sur des tâches ponctuelles, comme la rédaction de documents ou la recherche d’informations.
- Phase 2 : des groupes d’agents collaboratifs automatisent des processus entiers, sous supervision humaine.
- Phase 3 : des essaims d’agents (agentic swarms) atteignent une autonomie quasi totale, opérant comme des organisations minimales viables (MVOs).
Cette progression suppose une implication active des collaborateurs. Les DRH doivent encourager l’expérimentation, inciter les équipes à concevoir leurs propres agents et à proposer des cas d’usage adaptés à leurs besoins. Plus l’IA est intégrée au quotidien, plus elle passe du statut de gadget à celui de véritable coéquipier. L’expérience de McKinsey avec sa plateforme interne « Lilli », adoptée par plus de 90 % des collaborateurs, démontre l’efficacité d’une telle approche.
Repenser les structures organisationnelles
Au fur et à mesure que l’IA s’intègre, les dirigeants devront arbitrer entre deux modèles. D’un côté, certaines fonctions se prêteront à la logique MVO, très automatisée et quasi autonome — typiquement les back-offices ou les processus financiers. De l’autre, certaines activités nécessiteront de conserver un fort ancrage humain, mais enrichi par l’IA, comme les ventes ou la relation client.
Pour les DRH, ce choix implique une refonte des stratégies de talents : création de nouveaux rôles (optimisateurs de workflows IA, responsables de produits d’automatisation), redéploiement des effectifs, et surtout requalification massive des collaborateurs. Les métiers de demain seront hybrides, mêlant expertise humaine et pilotage de systèmes automatisés.
Cette recomposition organisationnelle ne peut réussir qu’avec une communication claire et transparente. Les collaborateurs doivent comprendre la logique des choix opérés, les opportunités qui en découlent et les dispositifs de soutien mis en place.
Former et transformer les collaborateurs en agents du changement
Le succès d’une transformation IA repose sur l’implication directe des collaborateurs. Les recherches montrent qu’impliquer seulement 2 % de l’effectif ne suffit pas : il faut embarquer au moins 7 %, voire jusqu’à 30 %, pour maximiser les chances de réussite. L’IA générative, encore plus que d’autres technologies, exige cette dynamique collective.
Les DRH ont donc un rôle clé pour identifier des « superutilisateurs », souvent issus de la génération des managers milléniaux, déjà à l’aise avec ces outils. Ces champions peuvent ensuite former et inspirer leurs pairs. L’exemple de Singtel, qui a créé une académie interne dédiée à la montée en compétences IA de ses 10 000 collaborateurs, illustre la puissance d’une stratégie orientée vers l’apprentissage.
La formation ne doit pas être perçue comme un effort ponctuel mais comme une compétence de base intégrée dans chaque métier. Il s’agit d’accompagner les collaborateurs dans un processus d’appropriation continue, où chacun devient contributeur et non simple bénéficiaire de la transformation.
Vers une nouvelle culture du travail
Au-delà des structures et des processus, l’enjeu est culturel. Les entreprises doivent créer un environnement où l’IA est perçue non pas comme une menace mais comme un levier d’émancipation professionnelle. En libérant les collaborateurs des tâches répétitives, elle permet de réorienter l’énergie vers la créativité, l’innovation et la valeur ajoutée.
Cette transformation culturelle exige des leaders qu’ils montrent l’exemple. En utilisant eux-mêmes l’IA, en la rendant visible dans leurs pratiques quotidiennes, ils installent une nouvelle norme. Le changement ne peut pas être seulement top-down ou bottom-up : il doit être « middle-out », porté par les managers intermédiaires, relais naturels entre stratégie et opérationnel.
Un rôle central pour les DRH marocains et africains
Pour les DRH du Maroc et d’Afrique francophone, ces enseignements prennent une résonance particulière. Nos marchés sont marqués par une jeunesse avide de nouvelles compétences, un tissu économique où cohabitent grandes multinationales et PME locales, et une dynamique de transformation digitale encore inégale. L’adoption de l’IA générative pourrait accélérer la montée en gamme de nos entreprises, à condition que les DRH assument leur rôle d’architectes du changement.
Ils devront anticiper la redistribution des métiers, piloter des programmes massifs de formation, instaurer des garde-fous éthiques et surtout faire de l’IA un outil de cohésion plutôt que de division. Le défi est immense : transformer l’enthousiasme spontané des collaborateurs en un projet collectif porteur de valeur durable.
En définitive, réinventer le travail à l’ère de l’IA générative ne se résume pas à introduire de nouveaux outils. Il s’agit d’un véritable projet de société au sein de l’entreprise, où la technologie devient un partenaire invisible mais indispensable. Pour les DRH, c’est une occasion historique : celle de redéfinir le rapport au travail, de réaffirmer la centralité du capital humain et d’accompagner l’avènement d’une nouvelle ère organisationnelle.
De l’expérimentation à la valeur : repenser le travail avec l’IA générative







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