78 % des clients affirment que leurs choix de consommation sont influencés par les conditions de travail perçues des livreurs, selon une enquête YouGov 2023. Cette sensibilité croissante transforme les livreurs, longtemps invisibles, en véritables ambassadeurs – ou risques réputationnels – pour les marques. Le sujet dépasse la logistique : il redéfinit les fondations de la marque employeur.
La perception client : nouveau miroir de la promesse RH
La qualité perçue du service client ne repose plus uniquement sur le respect des délais ou l’efficacité des interfaces numériques. Elle intègre une dimension sociale : le regard du client sur le sort réservé aux livreurs. Une commande livrée en retard ou dans de mauvaises conditions entraîne souvent une extrapolation directe sur la plateforme : pression excessive, manque de sécurité, absence de reconnaissance.
Ce phénomène a été documenté par Daniel Belanche et al. (2021) : les clients perçoivent les dysfonctionnements comme les symptômes d’un mauvais traitement des livreurs, ce qui affecte leur fidélité et leur propension à recommander la plateforme. Dans un marché africain en plein essor, où la concurrence entre plateformes (Glovo, Yassir, Bolt Food, Paps) s’intensifie, cette perception devient un facteur critique de différenciation.
Une réputation construite… ou détruite par les livreurs
En Afrique, la croissance rapide des plateformes se heurte à des défis structurels : routes peu adaptées, couverture mobile incomplète, absence de régulation claire sur les statuts hybrides des livreurs. Ces réalités créent des conditions de travail précaires, peu encadrées, souvent invisibles pour les RH.
Mais invisibles ne veut pas dire neutres. La médiatisation de cas de burn-out, d’accidents non indemnisés ou de conflits de paiement devient virale. Elle dégrade l’image employeur et crée un climat de défiance. Selon l’étude Fairwork 2022, 80 % des plateformes de livraison opérant en Afrique n’atteignent pas le seuil minimal de conformité en matière de protection sociale ou de clarté contractuelle.
Pour les DRH, cela implique une nouvelle vigilance : surveiller la réputation non plus seulement sur Glassdoor ou LinkedIn, mais aussi sur Twitter, TikTok et les forums de clients. Le périmètre d’influence de la fonction RH s’élargit à l’expérience perçue sur le terrain.
Marque employeur élargie : le client comme évaluateur RH
Les clients ne sont plus de simples bénéficiaires du service. Ils deviennent des juges de la qualité de vie au travail. Une entreprise qui néglige ses livreurs est perçue comme une entreprise qui néglige ses collaborateurs en général. Cette corrélation mentale est puissante, même si elle n’est pas toujours juste.
Au Maroc, les tensions récurrentes entre plateformes et livreurs, souvent relayées par des collectifs informels, alimentent ce glissement. Le cas des livreurs Bolt à Casablanca, qui ont récemment dénoncé une baisse de leurs rémunérations variables en pleine inflation, illustre ce risque. Ces plaintes, lorsqu’elles ne trouvent pas de réponse structurée, nourrissent une perception d’exploitation, incompatible avec une image d’employeur responsable.
Responsabilité sociale et attractivité RH vont désormais de pair
Les DRH ne peuvent plus faire abstraction de cette nouvelle équation : la gestion sociale des livreurs impacte l’attractivité globale. Cette réalité devient d’autant plus stratégique que les plateformes peinent à recruter des profils fiables, disponibles et durables. Le turnover explose, la qualité de service se détériore, et les effets se répercutent sur la satisfaction client — donc sur la réputation.
Pour contenir cette spirale, certaines startups africaines amorcent un virage. Paps, opérateur logistique au Sénégal et en Côte d’Ivoire, mise sur une plateforme numérique qui géolocalise les missions et permet un meilleur appariement entre livreurs et commandes, réduisant ainsi les temps morts et les frustrations.
Comment les DRH peuvent reprendre la main
Les leviers ne manquent pas, à condition d’accepter de considérer les livreurs comme des collaborateurs, même en freelance. Voici les principales pistes observées :
- Rémunération équitable et transparence : publier des grilles claires, limiter les pénalités arbitraires, garantir des bonus stables.
- Équipement et sécurité : fournir des casques, gilets réfléchissants, batteries externes pour les téléphones — et les remplacer régulièrement.
- Formation : former à la relation client, à la gestion du stress, mais aussi aux droits et devoirs en tant que travailleur indépendant.
- Dialogue structuré : mettre en place des canaux de feedback et de représentation, même dans un cadre non salarié. Des coopératives comme CoopCycle en France peuvent servir d’inspiration.
- Communication RH proactive : valoriser les livreurs dans la communication interne, les réseaux sociaux, les campagnes de recrutement.
Ces actions sont peu coûteuses, mais elles exigent une posture nouvelle de la part des directions RH : dépasser le périmètre salarié, et intégrer les partenaires de dernière ligne dans la stratégie sociale de l’entreprise.
Ce que les DRH doivent retenir : la frontière entre marque employeur et expérience client s’estompe. Les livreurs, en première ligne, deviennent les révélateurs de la culture d’entreprise. Les ignorer, c’est fragiliser la promesse employeur. Les intégrer, c’est renforcer un capital réputationnel décisif. Reste à savoir quelles plateformes africaines oseront faire de cette réalité un véritable levier RH.