La 78e session de l’Assemblée mondiale de la Santé, tenue du 19 au 27 mai 2025 à Genève, a été l’occasion pour le Maroc de mettre en avant ses avancées en matière de réforme sanitaire. Le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tehraoui, y a pris part activement à travers plusieurs interventions de haut niveau, notamment lors des 27es Rencontres Francophones de la Santé. Organisée en marge de l’événement par la Fondation des Entreprises du Médicament (LEEM) et l’OIF, cette rencontre a permis de faire entendre la position du Royaume sur un enjeu central : la gestion des talents en santé.
Le thème choisi, « Pas de santé sans talents », a trouvé un écho direct dans les priorités marocaines. À Genève, M. Tehraoui a ainsi exposé la stratégie nationale en matière de ressources humaines, en insistant sur leur rôle fondamental dans toute transformation durable du système de soins.
Si la participation marocaine à cette assemblée a été remarquée, c’est aussi parce qu’elle s’inscrit dans un contexte de tensions bien identifiées. Le ministre a rappelé que le Maroc ne compte aujourd’hui que 1,89 professionnel de santé pour 10 000 habitants, un chiffre bien en-deçà des recommandations internationales. L’objectif fixé par les autorités est clair : atteindre un ratio de 4,5 professionnels pour 10 000 habitants d’ici 2030.
Ce chantier prioritaire ne se limite pas à une simple augmentation des effectifs. Il implique une réforme globale de la gouvernance des ressources humaines, une modernisation de l’appareil de formation, ainsi qu’un effort soutenu en matière de fidélisation. Améliorer la répartition territoriale des compétences et garantir de meilleures conditions d’exercice s’avère également indispensable pour atteindre ces objectifs.
Pour répondre à ces enjeux, le ministère marocain a engagé une transformation de son mode de gestion des ressources humaines, en s’appuyant notamment sur le déploiement des Groupements Sanitaires Territoriaux (GST). Ce modèle, testé actuellement dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, introduit une organisation déconcentrée de l’offre de soins, centrée sur les territoires.
Concrètement, les professionnels conservent leur statut de fonctionnaires mais bénéficient désormais d’un régime de rémunération mixte, comprenant une part variable liée à la performance. Ce mécanisme vise à responsabiliser les équipes médicales, à valoriser l’engagement, et à améliorer la qualité des soins.
Cette refonte inclut également une protection administrative renforcée pour les agents de santé dans l’exercice de leurs missions, un levier souvent négligé mais essentiel dans un contexte où les pressions sociales et judiciaires sur les soignants sont croissantes.
Au-delà des réformes structurelles, le ministre a insisté à Genève sur l’importance d’une politique active de formation et de développement des compétences. L’enjeu est double : former davantage de professionnels mais aussi adapter les profils formés aux besoins réels du terrain, en particulier dans les zones sous-dotées.
Les capacités d’accueil dans les instituts de formation en soins infirmiers, en médecine et en spécialités techniques ont été élargies, avec un accent mis sur l’ouverture de nouveaux établissements en régions. Le gouvernement entend également agir sur l’attractivité des métiers, avec des incitations ciblées pour inciter les jeunes à s’engager dans ces filières.
Le phénomène de fuite des talents vers l’étranger ou vers le secteur privé a aussi été évoqué. Le ministre a alerté sur les effets délétères d’une mobilité non encadrée, qui affaiblit durablement les capacités de réponse des systèmes de santé des pays en développement. Le Maroc y répond par des mesures d’accompagnement, de reconnaissance professionnelle et de renforcement du sentiment d’utilité territoriale.
La participation marocaine à l’Assemblée mondiale a aussi été l’occasion de proposer une initiative concrète à portée internationale. M. Tehraoui a présenté un projet de résolution invitant l’Organisation mondiale de la Santé à reconnaître officiellement la valorisation des ressources humaines comme un pilier central de la souveraineté sanitaire.
Cette résolution vise à encourager les États membres à adopter des politiques RH durables, à développer des partenariats de formation, et à réguler les dynamiques de mobilité des professionnels de santé. L’initiative a été bien accueillie par plusieurs délégations, en particulier celles issues du continent africain.
Au-delà de la dimension strictement nationale, le ministre a réaffirmé l’ambition du Royaume de devenir un hub régional de production de médicaments et de vaccins, avec des projets comme Marbio, destiné à structurer une base industrielle pharmaceutique compétitive et résiliente.
Cette stratégie s’inscrit dans une logique de coopération Sud-Sud mais aussi Nord-Sud, fondée sur la mutualisation des compétences, des infrastructures et des ressources. Le Maroc entend ainsi participer activement à la construction d’un écosystème africain de santé, capable de répondre aux besoins de ses populations sans dépendance excessive à l’importation.
Sur le plan interne, les réformes en cours s’inscrivent dans la continuité des Hautes Orientations Royales pour la généralisation de la protection sociale et l’instauration des fondements de l’État social. La santé y est traitée non comme un coût, mais comme un investissement humain et stratégique.
Les objectifs sont multiples : réduire les inégalités d’accès aux soins, renforcer la qualité des prestations, et accroître la confiance des citoyens dans le système public de santé. Pour y parvenir, l’État mise sur un pilotage axé sur la performance, une logique de proximité dans la gestion, et une valorisation permanente des ressources humaines.
Les chiffres récents confirment l’ampleur des besoins : en 2024, le Maroc comptait 32 665 médecins, tous secteurs confondus, soit un médecin pour 1 156 habitants. Dans le public, on dénombre un infirmier pour 918 habitants, et un lit hospitalier pour 1 307 habitants. Des marges de progression significatives subsistent, en particulier dans les zones rurales.
La participation du ministre Tehraoui à Genève, saluée par plusieurs de ses homologues africains et européens, vient consacrer une stratégie marocaine cohérente et tournée vers l’avenir. En mettant les ressources humaines au cœur de la réforme, le Maroc s’aligne sur les meilleures pratiques mondiales tout en adaptant son modèle aux spécificités locales.
Pour les professionnels RH du secteur public, cette reconnaissance internationale est un signal fort : le rôle des gestionnaires de talents dans la santé est désormais stratégique, transversal et visible à l’échelle mondiale. La réforme des ressources humaines en santé n’est plus un chantier administratif : c’est un projet politique, économique et social de premier ordre.