Trop souvent cantonné à une fonction administrative, le stage de fin d’études demeure sous-exploité dans les grandes entreprises marocaines. Pourtant, intégré à la GPEC, il peut devenir un puissant instrument de projection stratégique. En reliant les besoins futurs en compétences aux projets de PFE, les DRH disposent d’un outil vivant de détection des talents, d’expérimentation des nouveaux métiers et d’alimentation du plan de succession. Cette approche transforme la campagne de stages en un véritable dispositif de pilotage du capital humain à moyen terme.
Redéfinir la GPEC : une démarche d’anticipation stratégique
Au Maroc, la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) s’impose progressivement comme un instrument central des politiques RH. Encadrée par le Code du Travail et soutenue par les dispositifs de la CNSS et de l’ANAPEC, elle vise à anticiper les évolutions des métiers et des compétences en cohérence avec la stratégie de l’entreprise. Dans un environnement marqué par la digitalisation, la transition écologique et la pénurie de talents techniques, la GPEC devient un levier de compétitivité et de résilience.
Pourtant, de nombreuses entreprises continuent de gérer leurs stages de fin d’études (PFE) comme une activité périphérique, souvent confiée aux responsables recrutement ou communication employeur. Les PFE répondent à des besoins ponctuels : un appui marketing, un projet logistique, une mission d’étude de marché. Ce cloisonnement prive les directions RH d’un formidable levier d’anticipation et de développement du capital humain.
Intégrer le PFE à la GPEC revient à transformer cette période d’apprentissage en outil de projection. Le stage n’est plus un simple exercice académique, mais un espace d’expérimentation pour identifier, tester et développer les compétences dont l’entreprise aura besoin dans trois à cinq ans.
Le diagnostic : le PFE, réactif ou stratégique ?
Avant toute refonte, le DRH doit poser un diagnostic clair : son dispositif PFE est-il réactif, ou stratégique ? Un programme réactif se limite à traiter les demandes urgentes des managers : combler un besoin temporaire, pallier un départ ou renforcer une équipe. Cette logique produit des résultats rapides, mais n’apporte aucune vision d’ensemble.
À l’inverse, un programme stratégique s’inscrit dans la planification des compétences. Il oriente les propositions de stage vers les priorités futures : métiers émergents, transformation digitale, durabilité, innovation produit. Il s’appuie sur la cartographie des compétences critiques, les plans de succession et les scénarios d’évolution organisationnelle.
Pour évaluer la maturité de leur dispositif, les DRH peuvent s’appuyer sur une grille simple : – Les sujets de PFE sont-ils alignés sur les compétences de demain ? – Les encadrants identifient-ils les aptitudes transférables et leur potentiel d’évolution ? – Les stagiaires intègrent-ils un vivier de pré-recrutement ?
Cette réflexion préalable permet de passer d’une logique de gestion à une logique de stratégie : le PFE-GPEC.
Le PFE-GPEC en quatre étapes : de la cartographie à la relève
- Cartographier les compétences critiques
Première étape : relier les programmes de stage à la cartographie des emplois sensibles. Il s’agit d’identifier les postes exposés à des mutations technologiques (data science, IA, cybersécurité, maintenance 4.0) ou réglementaires (RSE, conformité, finance durable). Cette cartographie repose sur l’analyse interne des métiers et sur les tendances sectorielles publiées par la CGEM, l’OFPPT ou les fédérations professionnelles.
Les écoles partenaires deviennent alors de véritables alliées. En partageant leurs référentiels de formation et en co-construisant des sujets de PFE, elles permettent à l’entreprise d’aligner ses besoins futurs avec les filières académiques existantes.
- Allouer un quota à la prospective
La deuxième étape consiste à réserver une part des stages à la recherche et à l’expérimentation. Plutôt que d’attribuer tous les PFE à des besoins immédiats, le DRH peut décider de consacrer 20 % à des sujets prospectifs : intelligence artificielle appliquée, économie circulaire, marketing responsable, data RH… Ces thématiques nourrissent la réflexion stratégique tout en préparant les collaborateurs à l’évolution de leurs métiers.
Cette allocation planifiée transforme la politique de stage en véritable instrument de GPEC. Elle crée un lien direct entre les orientations du comité stratégique et les actions concrètes menées dans les départements opérationnels.
- Prototyper les métiers de demain
Le PFE peut devenir un laboratoire d’innovation RH. En confiant aux étudiants des missions qui préfigurent de futurs rôles, l’entreprise expérimente de nouvelles fonctions avant leur création officielle. Dans l’industrie automobile marocaine, certains PFE ont permis de tester des postes liés à la performance énergétique avant leur intégration dans les grilles métiers. Dans le secteur bancaire, les premiers stages en conformité ESG ont précédé la création d’équipes dédiées.
Ce prototypage agile réduit les risques liés à l’innovation organisationnelle : il permet d’évaluer la pertinence d’un poste, les compétences requises et la complémentarité avec les structures existantes.
- Alimenter les plans de succession et Graduate Programs
Enfin, le PFE devient un maillon clé du plan de succession. Les meilleurs profils sont orientés vers des programmes de développement accéléré : Graduate Programs, parcours de mobilité interne ou cycles de mentorat. Cette logique de continuité assure la pérennité des compétences critiques et sécurise les postes à fort enjeu.
Certaines entreprises marocaines, notamment dans les secteurs de l’énergie et des télécoms, ont institutionnalisé cette passerelle : chaque promotion de stagiaires fait l’objet d’un suivi à 12 mois pour mesurer les recrutements effectifs, les progressions et les transferts de compétences.
Le PFE, capteur en temps réel des besoins de compétences
Au-delà du pilotage, le stage de fin d’études joue un rôle de capteur. Il permet au DRH de détecter, en temps réel, les tensions et les évolutions du marché du travail. Les sujets de stage proposés par les managers révèlent où les compétences manquent : un excès de demandes en data ? une pénurie de profils RSE ? un désintérêt pour certains métiers ? Autant d’indices pour ajuster la cartographie des emplois.
Les rapports d’étonnement rédigés par les stagiaires constituent une matière première précieuse. Ils mettent en lumière les écarts entre la formation académique et la pratique professionnelle, les freins à l’intégration, les points de rupture culturels. Les mémoires de PFE, souvent centrés sur des études de cas, offrent quant à eux une veille unique sur les innovations technologiques et managériales.
En intégrant ces retours dans la base de données RH, le DRH enrichit la GPEC d’informations qualitatives impossibles à obtenir via un audit annuel. Ce dispositif « bottom-up » transforme le PFE en outil de pilotage agile et vivant.
Un levier d’alignement formation-emploi au niveau national
À l’échelle du pays, cette approche s’inscrit dans les orientations des politiques publiques. Le Maroc cherche à réduire l’écart entre formation et emploi, objectif inscrit dans la Stratégie Nationale de l’Emploi et dans le programme ARIEJ d’appui à l’entrepreneuriat et à l’insertion des jeunes.
En encourageant les entreprises à utiliser les stages comme levier de GPEC, l’État favorise une intégration plus fluide des diplômés. Les acteurs institutionnels — ANAPEC, OFPPT, universités — peuvent s’appuyer sur ces dispositifs pour ajuster leurs référentiels et renforcer l’employabilité des jeunes.
Pour les grandes entreprises, cette logique crée une double valeur : d’une part, sécuriser leurs besoins futurs ; d’autre part, contribuer activement à la montée en compétence de la jeunesse marocaine.
Vers une culture du stage stratégique
Adopter une approche GPEC des PFE, c’est changer de paradigme. Le stage n’est plus un service rendu à l’école ni une variable d’ajustement, mais un investissement dans la pérennité des compétences. Cela suppose une gouvernance claire : intégration du programme PFE dans la stratégie RH, implication du top management, formation des encadrants et suivi structuré des résultats.
Le rôle du DRH évolue alors vers celui d’architecte des compétences : il conçoit les passerelles entre les filières académiques et les trajectoires internes, il anticipe la relève et pilote les évolutions organisationnelles.
Cette transformation culturelle fait du PFE un instrument d’intelligence collective et de compétitivité durable. En reliant les aspirations des jeunes, les priorités des écoles et les besoins futurs des entreprises, la GPEC retrouve sa vocation première : bâtir un capital humain aligné, préparé et résilient.







![[INTERVIEW] Stage PFE : piloter la pyramide de talents chez Deloitte Maroc — Interview avec Mélanie BENALI et Hicham OUAZI l DRH.ma](https://drh-ma.s3.amazonaws.com/wp-content/uploads/2025/11/19103455/Interview-avec-Me%CC%81lanie-BENALI-et-Hicham-OUAZI.jpg)



