Créé en 2005, l’article 114 de la loi 65-00 aurait permis aux entreprises disposant d’un régime santé privé mis en place avant l’entrée en vigueur de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) de continuer à l’utiliser à titre transitoire. Une tolérance initialement temporaire qui aurait perduré bien au-delà du cadre prévu, devenant au fil du temps un véritable pilier de différenciation sociale dans de nombreuses organisations.
D’après les données disponibles, environ 5 000 entreprises auraient fait usage de ce régime, représentant 480 000 salariés et plus de deux millions de bénéficiaires. Ces régimes offraient souvent des garanties supérieures à celles de l’AMO, tant en termes de rapidité de traitement que de niveau de couverture.
Or, dans son édition de juin 2025 (Le Courrier de l’Assurance – N°10), la Fédération Marocaine de l’Assurance indique que « le basculement programmé à très court terme des assurés relevant de l’article 114 vers la CNSS » redessinerait le paysage de l’assurance maladie au Maroc. Bien qu’aucune annonce officielle n’ait encore été faite par les autorités publiques, cette formulation laisse présager une orientation claire vers la suppression de cette exception.
Une réforme potentielle aux conséquences sociales profondes
Si la suppression de l’article 114 venait à être confirmée, l’impact serait immédiat. Toutes les entreprises concernées seraient contraintes de réaffilier leurs collaborateurs à l’AMO gérée par la CNSS. Pour les professionnels des ressources humaines, cela représenterait un double défi : logistique d’abord, en assurant une transition sans rupture de droits ; managérial ensuite, en absorbant les tensions susceptibles de naître de la disparition d’un avantage social valorisé.
Les collaborateurs habitués à des régimes privés plus protecteurs pourraient craindre une dégradation des prestations : délais de remboursement plus longs, taux de couverture moins avantageux, ou perte d’accès à certains réseaux de soins. Il en résulterait un risque réel de démotivation ou de désengagement, notamment dans les entreprises les plus exposées à la concurrence sur le marché de l’emploi.
Face à cette évolution, les directions RH auraient à jouer un rôle clé dans la pédagogie et l’accompagnement. Des campagnes d’information, des cellules de médiation et des dispositifs d’écoute devraient être mis en place pour expliquer les raisons de la transition, en limiter les effets négatifs, et reconstruire un lien de confiance.
Sur le plan technique, il faudrait également anticiper les aspects administratifs : vérification de l’éligibilité, affiliation dans les délais, intégration correcte dans les systèmes d’information RH, et veille réglementaire sur les éventuels textes d’application.
Dialogue social, attractivité et compensation : les équilibres à réinventer
Si le régime de l’article 114 venait à être supprimé, les entreprises perdraient un levier central de leur politique d’avantages sociaux. Dans de nombreux cas, les régimes santé privés étaient intégrés aux accords collectifs, négociés dans le cadre des conventions d’entreprise, ou considérés comme des contreparties implicites à d’autres concessions salariales. Leur disparition nécessiterait donc une réouverture du dialogue social.
Les partenaires syndicaux pourraient revendiquer des mécanismes de compensation. Parmi les pistes envisagées : la mise en place d’une surcomplémentaire santé couvrant les écarts avec le régime précédent, l’amélioration des dispositifs de prévoyance, ou encore l’introduction de services associés (téléconsultation, assistance santé, programmes de prévention…).
La question de l’attractivité se poserait avec acuité. Dans les secteurs en tension, le retrait d’un régime social perçu comme qualitatif pourrait affaiblir l’image employeur. Certaines entreprises seraient alors amenées à redéployer les économies réalisées sur les cotisations vers de nouveaux leviers RH : soutien à la parentalité, équilibre vie privée-vie professionnelle, santé mentale, ou encore accompagnement des aidants familiaux.
Plus globalement, la réforme inviterait à repenser la politique de rémunération globale. Ce qui était hier un « avantage acquis » pourrait demain être transformé en une offre plus flexible, plus personnalisée, et davantage centrée sur les besoins différenciés des collaborateurs. La tendance à la personnalisation des parcours sociaux, déjà en cours, s’en trouverait renforcée.
Un changement d’échelle pour la CNSS, des incertitudes pour les entreprises
La possible intégration de plus de deux millions de nouveaux assurés dans le giron de la CNSS ne serait pas sans conséquences pour l’opérateur public. Selon Le Courrier de l’Assurance, la migration vers un « guichet unique » s’accompagnerait d’une digitalisation accrue des échanges d’information. Ce nouvel écosystème pourrait offrir une plus grande fluidité, mais également faire peser des risques organisationnels importants, notamment au moment de la bascule.
Le déficit du régime AMO, déjà existant, pourrait se creuser avec l’intégration d’une population à sinistralité moyenne élevée. Les projections avancées dans certaines études sectorielles évoquent un déséquilibre de l’ordre de 700 millions de dirhams, dès la première année suivant l’application généralisée du basculement.
Pour les entreprises, ces tensions se traduiraient par des risques opérationnels concrets : retards de traitement, difficultés d’accès aux soins, incompréhension des droits. Les directions RH auraient alors à jouer un rôle de « facilitateur », en intervenant rapidement pour éviter toute rupture dans la couverture ou tout sentiment d’abandon parmi les collaborateurs.
Dans ce contexte, une collaboration renforcée avec les compagnies d’assurance privées pourrait émerger. Bien qu’écartées du régime de base, celles-ci seraient appelées à se repositionner sur des offres complémentaires, plus flexibles, à même de répondre aux besoins spécifiques des entreprises. La surcomplémentaire deviendrait ainsi un marché stratégique, nourri par la demande croissante d’options modulables et personnalisées.
Et si cette réforme devenait une opportunité de modernisation sociale ?
Si la suppression de l’article 114 devait se concrétiser, elle pourrait paradoxalement offrir l’occasion de repenser la politique sociale de manière plus structurée et stratégique. Libérées d’un système dual devenu source d’inégalités, les entreprises auraient à reconstruire un cadre d’avantages aligné avec les standards d’équité, de soutenabilité et d’innovation.
Elles pourraient alors s’inspirer de modèles internationaux : plateformes d’avantages à la carte, dispositifs de santé intégrée, budgets sociaux individualisés… La logique du « one size fits all » laisserait place à celle du « parcours collaborateur » : un chemin composé d’options, de services et de protections choisis et adaptés aux besoins de chacun.
Cette réforme inciterait aussi à un renforcement de l’expertise RH. La compréhension des mécanismes de la protection sociale, l’anticipation réglementaire, la négociation collective, la veille sur les tendances assurantielles deviendraient des compétences centrales pour les fonctions RH, appelées à devenir des acteurs de premier plan dans la refondation du pacte social en entreprise.
Si la suppression du régime transitoire de l’article 114 se confirmait dans les mois à venir, elle serait bien plus qu’une réforme technique. Elle incarnerait un changement de paradigme, plaçant les entreprises face à un impératif de cohérence sociale, d’innovation organisationnelle et de responsabilité collective. En transformant une contrainte réglementaire en levier stratégique, les directions d’entreprise pourraient, si elles s’y préparent, sortir renforcées de cette transition annoncée.
Consultez le numéro de juin 2025 du Courrier de l’Assurance.







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