L’économie sociale et solidaire (ESS) n’est plus une utopie ni un simple vecteur de solidarité. Elle s’impose désormais comme un pilier de la compétitivité et de la résilience économique. C’est dans cet esprit que s’est tenue, le 21 octobre 2025 à Casablanca, la 4ᵉ édition du WeXchange Forum, sur le thème : « Rôle économique du tiers-secteur : révéler la force cachée ».
L’événement, porté par la Fondation Abdelkader Bensalah, a marqué un tournant dans la reconnaissance institutionnelle et économique du tiers-secteur. Dans son mot d’ouverture, Kenza Bensalah, administratrice de la Fondation, a rappelé l’enjeu central : accompagner et outiller ce secteur pour lui permettre d’assumer pleinement son rôle économique et social. Elle a souligné la nécessité de repenser les modèles de développement pour bâtir une économie inclusive et résiliente, fidèle à l’esprit de solidarité qui anime la fondation depuis sa création.
Le tiers-secteur, un levier de transformation durable
La Keynote de Lamia Kamal-Chaoui, directrice du Centre de l’OCDE, a placé le débat à l’échelle mondiale. Dans de nombreux pays, a-t-elle rappelé, l’économie sociale représente jusqu’à 7 % du PIB, comme en Espagne, ou finance des projets énergétiques d’envergure au Canada et en Australie. Selon elle, « le tiers-secteur constitue un pilier de croissance durable et un acteur stratégique du développement économique ».
Au Maroc, la contribution actuelle du secteur ne dépasse pas 2 % du PIB. Mais Lahcen Saadi, secrétaire d’État chargé de l’Artisanat et de l’ESS, a fixé un cap ambitieux : atteindre 4 % d’ici 2035. L’objectif, a-t-il précisé, n’est pas seulement d’élargir le poids économique du secteur, mais de renforcer sa capacité à créer de la valeur ajoutée, à générer de l’emploi et à consolider la cohésion sociale.
Cette ambition s’inscrit dans une dynamique mondiale où l’économie sociale devient un instrument de stabilité face aux crises. Les échanges ont souligné l’importance de créer des passerelles entre les acteurs publics, privés et associatifs pour maximiser l’impact du tiers-secteur.
Regards croisés sur la valeur de l’impact
Le panel Décideurs, réunissant des représentants de la CGEM, de l’OCDE, du ministère de tutelle et d’acteurs du terrain comme Open Village, a mis en lumière la question centrale de la mesure de l’impact. Amal Chevreau Bahij, cheffe d’unité Économie sociale et innovation à l’OCDE, a rappelé que « le business de l’économie sociale, c’est avant tout l’impact ».
Cette approche change de paradigme : la performance du tiers-secteur ne se mesure pas uniquement en chiffres d’affaires ou en volume d’emplois créés, mais dans sa capacité à générer du bien-être, de la cohésion sociale et du développement territorial. Fatima Zahra El Khalifa, vice-présidente de la commission RSE et Diversité de la CGEM, a insisté sur le besoin de renforcer la performance économique des initiatives solidaires tout en garantissant leur durabilité.
De son côté, Ahmed Benabadji, président d’Open Village, a plaidé pour une meilleure structuration du monde associatif marocain, estimant que « le potentiel du tissu associatif reste sous-exploité faute d’un cadre juridique et financier stable ». Ces interventions convergent vers une même idée : sans outils de mesure fiables, ni financement adapté, l’ESS ne pourra pleinement jouer son rôle de moteur socio-économique.
L’innovation sociale comme catalyseur
Le panel international, consacré au rôle de l’innovation sociale dans la libération du potentiel du tiers-secteur, a donné une dimension globale au débat. Tarik Maâroufi, directeur général de la Fondation Bensalah, a rappelé que mesurer l’impact, c’est aussi « donner du sens à l’engagement ».
Cette réflexion a trouvé écho dans les propos de Malick Diop, président du Forum africain de l’ESS, qui a souligné la résilience du modèle africain face à la crise du Covid-19 : « C’est l’économie de proximité, fondée sur la solidarité, qui a résisté le mieux. »
Les contributions de Marie-Christine Ladouceur Girard (Maison de l’Innovation Sociale – Canada) et Alexandre Lourié (Groupe S.O.S – France) ont mis l’accent sur la nécessité de créer un double maillage entre économie et social. L’un et l’autre ont insisté sur le rôle des incubateurs d’innovation dans l’accompagnement des entrepreneurs sociaux et la structuration d’écosystèmes locaux durables.
Masterclasses : de la théorie à la pratique
Cinq masterclasses interactives ont permis d’approfondir les discussions à travers des approches concrètes. Mouna Saihi a exploré les leviers de l’emploi de proximité et du développement territorial, tandis que Yassir Benabdallaoui (PNUD) a démontré comment les initiatives locales peuvent accélérer la réalisation des Objectifs de Développement Durable.
Mohamed Jadri, économiste et directeur de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale, a quant à lui plaidé pour la création d’un « PIB social » permettant de mesurer la richesse territoriale autrement. Ricardo Scacchetti (Impact Track) a détaillé les méthodes d’évaluation de l’impact via le SROI et le EROI, offrant aux acteurs un cadre d’analyse rigoureux. Enfin, Michael Lewrick, expert en design thinking, a invité les participants à repenser le leadership et l’agilité comme moteurs d’innovation au service du développement humain.
Ces sessions illustrent la volonté du Forum de passer d’un discours conceptuel à une approche pragmatique et mesurable de la transformation sociale.
Cercles de discussion : repenser la gouvernance du tiers-secteur
En parallèle, les Cercles de discussion ont ouvert des espaces de réflexion autour de cinq enjeux structurants : le financement, le capital humain, le marketing social, la co-création d’écosystèmes d’impact et la data au service du social.
Les débats ont fait émerger des constats partagés : la nécessité d’un financement hybride associant capital patient et partenariats publics-privés ; l’urgence de professionnaliser les carrières sociales pour fidéliser les talents ; et l’importance du marketing social comme levier d’engagement.
Le cercle animé par Anas Belabbes, expert en data à l’AI Institute, a montré que la donnée devient un outil stratégique pour piloter les politiques sociales. Les participants ont toutefois insisté sur les risques éthiques liés à son utilisation, appelant à un cadre de gouvernance clair pour garantir transparence et confiance.
Moroccan Social Innovation Awards : l’impact célébré
Le Forum s’est conclu par la cérémonie des Moroccan Social Innovation Awards 2025, consacrant huit initiatives marocaines emblématiques de l’innovation sociale. Le Grand Prix a été attribué à l’Association Amal pour son projet Café des Signes, premier espace au Maroc créé par et pour les personnes sourdes. Un symbole fort d’inclusion et de résilience, à l’image de la philosophie du Forum.
En quatre éditions, WeXchange s’est imposé comme une plateforme incontournable pour valoriser les initiatives sociales et renforcer la coopération entre les acteurs du changement. Porté par la Fondation Abdelkader Bensalah, ce rendez-vous annuel illustre la maturité croissante du tiers-secteur marocain et son potentiel économique encore sous-exploité.
Au-delà du forum, un message clair s’en dégage : l’économie sociale et solidaire n’est plus un secteur d’appoint, mais un pilier de la compétitivité nationale. Sa consolidation exige un engagement collectif, un cadre de gouvernance clair et une évaluation rigoureuse de son impact. Le Maroc dispose, avec des initiatives comme WeXchange, des fondations nécessaires pour faire de la solidarité un levier durable de croissance et d’innovation.







![[INTERVIEW] Stage PFE : piloter la pyramide de talents chez Deloitte Maroc — Interview avec Mélanie BENALI et Hicham OUAZI l DRH.ma](https://drh-ma.s3.amazonaws.com/wp-content/uploads/2025/11/19103455/Interview-avec-Me%CC%81lanie-BENALI-et-Hicham-OUAZI.jpg)



