Entre complaisance et résignation, les entreprises sont nombreuses à tolérer, voire à promouvoir, des profils de managers « acceptables » : ni toxiques, ni brillants. Cette posture intermédiaire, souvent valorisée au nom de la stabilité ou de l’ancienneté, dissimule en réalité un problème stratégique majeur : l’acceptation de la médiocrité. Selon l’étude de référence menée par Zenger & Folkman, auteurs de The Extraordinary Leader, les organisations ne souffrent pas tant de leurs “mauvais managers” que d’un vivier massif de profils moyens. Des managers qui ne commettent pas de faute grave, mais qui n’inspirent pas, n’innovent pas, n’embarquent personne — et dont la performance plafonne. Leur maintien dans des postes clés freine l’ascension de talents à fort potentiel, entretient une culture du compromis et bride les résultats. Pire : cette tiédeur managériale coûte cher. Très cher. Décryptage d’un mal silencieux mais profondément enraciné.
Être un « bon » manager ne suffit pas
L’étude démontre que le saut entre un manager « bon » et un manager « exceptionnel » n’est pas une question de pourcentages progressifs, mais de rupture. Les leaders du top 10 % génèrent deux fois plus de revenus nets que les managers entre le 11e et le 89e percentile. Une performance qui repose non pas sur l’absence de défauts, mais sur la présence de forces claires, réparties sur plusieurs compétences clés : orientation résultats, compétences interpersonnelles, capacité d’innovation, développement des autres.
À l’inverse, les profils moyens — ceux qui ne sont ni inspirants ni dysfonctionnels — représentent la majorité, mais plafonnent en performance. Ils obtiennent des résultats similaires qu’ils soient dans le 40e ou le 70e percentile. Un constat qui incite à l’immobilisme : pourquoi chercher à progresser si l’effort n’est pas récompensé par un saut de performance tangible ? Résultat : beaucoup se contentent d’être moyens, sans voir qu’ils deviennent un facteur d’inertie organisationnelle.
Le syndrome du leader tiède : ni passion, ni ambition
Ce que révèle Zenger & Folkman, c’est que la majorité des leaders dits « bons » n’ont pas de faiblesses flagrantes… mais n’ont aucune force distinctive. Ce sont des profils « neutres », bien vus de tous, mais qui ne laissent aucune empreinte. Leur management est fonctionnel, procédural, sans souffle. Ils ne nuisent pas à l’organisation, mais ne la tirent pas vers le haut.
Cette tiédeur managériale est d’autant plus problématique qu’elle est souvent méconnue ou même valorisée : absence de conflit, conformité, gestion sans vague. Pourtant, ce type de profil ne génère ni engagement, ni performance exceptionnelle, ni innovation. Et paradoxalement, ces managers sont souvent convaincus d’être efficaces — parce qu’ils ne rencontrent pas de résistance, et que leurs erreurs ne sont jamais critiques.
L’étude raconte le cas d’une entreprise où les résultats décevants ne pouvaient pas s’expliquer par la présence de mauvais managers, trop peu nombreux. Le problème venait de la masse critique des profils moyens, incapables de catalyser une dynamique collective. C’est cette moyenne invisible qui mine la performance globale, bien plus que quelques cas isolés de dysfonctionnement.
Viser l’excellence n’est pas élitiste : c’est un impératif stratégique
Un des enseignements majeurs de l’étude est sans équivoque : les organisations visent trop bas. Beaucoup de programmes de développement managérial s’arrêtent à l’amélioration marginale — un peu plus de communication, un feedback plus fréquent, un poil de délégation. Mais ces ajustements n’emmènent pas les managers vers l’excellence ; ils les confortent dans une zone de confort élargie.
Or, viser l’excellence n’est pas une option réservée à une élite. C’est un objectif atteignable pour une large part des managers, à condition de transformer l’approche du développement managérial. L’étude identifie 16 compétences différenciantes — parmi elles : l’intégrité, la résolution de problèmes, la motivation des équipes, la capacité à impulser le changement ou encore l’ancrage stratégique. Plus un manager excelle dans plusieurs de ces domaines (idéalement au moins 5), plus il est perçu comme un leader exceptionnel. Mais il ne suffit pas de cumuler des compétences techniques : c’est leur combinaison qui produit des résultats exponentiels.
Ainsi, un manager orienté résultats mais médiocre sur le plan relationnel n’a que 13 % de chances d’être perçu comme un grand leader. À l’inverse, un manager qui allie sens du résultat et excellence relationnelle a 66 % de chances d’entrer dans le cercle des leaders remarquables.
Une dynamique organisationnelle à repenser
La performance managériale ne repose pas uniquement sur des traits individuels. Elle s’inscrit dans une dynamique de culture, d’exemplarité et de développement. Trois leviers sont identifiés :
- Le rôle du top management : selon l’étude, le niveau de leadership dans une organisation ne dépasse presque jamais celui du leader en haut de la pyramide. Le top management est le plafond de verre du reste de la structure. L’exemplarité stratégique est donc essentielle.
- Le rôle du N+1 : le manager direct est un catalyseur ou un frein à la progression managériale. Lorsqu’il joue un rôle actif dans le développement de ses équipes, les résultats explosent. L’inaction managériale au sommet crée un effet de propagation de la médiocrité.
- La responsabilisation individuelle : seulement 10 % des leaders disposent d’un véritable plan de développement individuel. Et parmi ceux-là, peu en assurent le suivi. L’étude rappelle que le passage de « bon » à « excellent » ne se fait pas en corrigeant uniquement des faiblesses, mais en consolidant les points forts. Un manager avec 5 forces identifiées sur les 16 compétences-clés peut atteindre le top 10 % — un objectif à la portée de beaucoup, si les efforts sont ciblés.
Accepter la tiédeur managériale revient à organiser collectivement la stagnation. Loin d’être un simple problème RH, c’est un enjeu stratégique. Les entreprises qui tolèrent la médiocrité par peur de déstabiliser les équipes ou de créer des tensions internes passent à côté d’un levier de performance massif. Car viser l’excellence managériale n’est pas un luxe — c’est une nécessité opérationnelle. L’enjeu, au fond, n’est pas de détecter les mauvais managers, mais de sortir de l’indifférence silencieuse dans laquelle s’installent les bons sans ambition. Le coût de la tiédeur est bien plus élevé que celui du risque. Encore faut-il l’oser.







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