Casablanca a donné le coup d’envoi à un projet d’envergure baptisé Casablanca Tech Valley, implanté dans l’arrondissement de Sidi Othmane, longtemps perçu comme un territoire périphérique peu intégré à la dynamique économique de la métropole. Pensé comme un levier de transformation urbaine et de développement technologique, ce projet marque une nouvelle étape dans la stratégie de régionalisation économique de la ville. Avec un investissement initial de 1,5 milliard de dirhams et une ambition de 25 000 emplois directs, Casablanca Tech Valley pourrait rapidement devenir un pôle d’attractivité pour les talents numériques et un modèle de reconversion territoriale à forte valeur ajoutée.
À la croisée de l’innovation technologique et de la justice spatiale, ce projet est le fruit d’un partenariat stratégique entre la Commune de Casablanca et le groupe CDG, via sa filiale Ewane, spécialisée dans le développement de zones industrielles et de parcs d’activité. Le site choisi, El Hantate, s’étend sur 6,5 hectares et accueillera progressivement des infrastructures modernes, des immeubles R+7, des centres de services numériques, ainsi que des espaces publics revalorisés.
Une réponse à un double défi : créer de l’emploi et rééquilibrer la carte urbaine
Casablanca Tech Valley ne se contente pas de déployer une zone d’activité : il cherche à résoudre deux problématiques majeures. D’un côté, la création massive d’emplois dans des secteurs dynamiques, en particulier les technologies de l’information et les services externalisés, souvent synonymes d’emplois stables, bien rémunérés et accessibles aux jeunes diplômés. De l’autre, une revalorisation d’un territoire marginalisé qui souffrait d’un déficit d’investissements et de services de base.
La vision portée par ce projet est celle d’un développement inclusif, où l’aménagement du territoire devient un levier de justice sociale et d’intégration économique. En densifiant de manière maîtrisée le tissu urbain de Sidi Othmane, en modernisant les anciennes friches industrielles, et en créant des centralités nouvelles autour de pôles technologiques, les pouvoirs publics espèrent faire émerger un nouveau visage de Casablanca, plus équilibré et résilient.
L’année 2025 marque le début effectif du projet. En février, la maire de Casablanca, Nabila Rmili, annonce officiellement le lancement lors d’une session du conseil communal. Dès avril, la signature du partenariat avec CDG-Ewane concrétise l’engagement institutionnel. La première phase opérationnelle inclut le démarrage des travaux, avec une montée en puissance échelonnée sur plusieurs années.
Le plan prévoit également la réhabilitation de sites emblématiques comme les anciens abattoirs d’El Hantate, transformés en pôles d’accueil pour entreprises ou en espaces culturels et sportifs. Cette logique de reconversion permet d’inscrire le projet dans une démarche d’économie circulaire et de transition durable.
La réussite du projet repose sur la synergie d’acteurs complémentaires. La Commune de Casablanca assume le rôle de maître d’ouvrage pour l’aménagement urbain et la mise à disposition des terrains. La CDG, à travers sa filiale Ewane, pilote la conception, la commercialisation et l’exploitation du parc. Les autorités régionales assurent l’intégration du projet dans la stratégie de développement économique de la région Casablanca-Settat.
Mais les principaux catalyseurs de la dynamique d’emploi restent les entreprises du secteur numérique et de l’offshoring. Attirées par des infrastructures modernes, une localisation stratégique et une main-d’œuvre jeune et qualifiée, elles constitueront le cœur de l’activité du site. Enfin, la population locale constitue l’enjeu social fondamental : ce sont les habitants de Sidi Othmane qui bénéficieront des opportunités créées, en matière d’emploi, de formation et de qualité de vie.
Casa Nearshore : un précédent inspirant
Casablanca Tech Valley s’inspire d’un précédent réussi : Casa Nearshore, développé à Aïn Chock, est aujourd’hui un modèle reconnu dans le domaine de l’offshoring. Il a permis de structurer un écosystème dynamique, d’attirer des géants du numérique et de créer plusieurs milliers d’emplois dans les centres de services, les plateformes de relation client et les unités de support technique.
L’impact de Casa Nearshore ne s’est pas limité à la sphère économique. Il a également stimulé la formation professionnelle, l’apparition de filières académiques spécialisées, et l’amélioration de l’employabilité des jeunes. Un glissement stratégique qui pourrait fragiliser Casa Nearshore
L’enthousiasme suscité par le lancement de Casablanca Tech Valley ne doit pas faire oublier un risque latent : celui d’un déplacement progressif des activités et des investissements de Casa Nearshore vers ce nouveau pôle technologique. À Aïn Chock, plusieurs acteurs économiques s’interrogent déjà sur les effets d’éviction possibles, tant en matière de talents que d’attractivité immobilière et fiscale.
Le positionnement premium de Casablanca Tech Valley – infrastructures neuves, immeubles de grande hauteur, proximité de quartiers résidentiels en expansion – pourrait capter les nouveaux investissements étrangers au détriment du parc existant. De grandes entreprises internationales, attirées par un effet d’aubaine, pourraient décider de transférer leurs opérations vers Sidi Othmane, surtout si les incitations financières ou foncières y sont plus avantageuses.
Cette dynamique de concurrence intra-urbaine appelle à une vigilance accrue des autorités locales et des développeurs de parcs. L’objectif ne doit pas être de créer un pôle au détriment d’un autre, mais de bâtir une complémentarité territoriale, où Casa Nearshore continuerait de jouer un rôle moteur dans le support client et les activités offshore installées, pendant que Casablanca Tech Valley se positionnerait sur des segments émergents comme la cybersécurité, les data centers ou le développement logiciel avancé.
Pour les DRH opérant déjà à Casa Nearshore, cette éventualité doit être anticipée. Elle implique une revue stratégique des plans de rétention des talents, une attention particulière aux signaux de migration sectorielle, et une collaboration renforcée avec les collectivités pour maintenir la compétitivité de leurs implantations actuelles. Ne pas tenir compte de ce glissement pourrait, à terme, fragiliser l’équilibre entre les différents hubs technologiques de Casablanca, alors même que la métropole ambitionne de consolider son leadership continental
Données régionales : un réservoir de talents sous-exploité
La région Casablanca-Settat, selon les données du Haut-Commissariat au Plan (HCP), regroupe près de 7 millions d’habitants, avec un taux de chômage autour de 13%, touchant fortement les jeunes diplômés. Ce déséquilibre entre offre et demande sur le marché du travail constitue un terreau favorable à l’implantation d’un projet comme Casablanca Tech Valley.
En offrant des emplois accessibles, des parcours professionnalisants, et en valorisant les compétences numériques, le projet peut contribuer à résorber le chômage structurel, à réduire la précarité et à favoriser l’émergence d’une classe moyenne digitale. Cela nécessite, toutefois, une gouvernance partenariale forte, une coordination étroite avec les acteurs de l’enseignement supérieur, et une implication active des DRH dans l’écosystème local.
Au-delà de l’emploi, l’impact économique du projet est significatif. L’investissement initial de 1,5 milliard de dirhams générera des retombées fiscales importantes pour la commune, estimées à plus de 20 millions de dirhams par an. Les entreprises implantées contribueront à l’élargissement de l’assiette fiscale locale, tout en stimulant la consommation et les services dans la zone.
Par ailleurs, la modernisation des infrastructures urbaines, la création de nouveaux logements, de commerces et d’équipements collectifs, devraient transformer Sidi Othmane en un quartier vivant, attractif et connecté, participant à une dynamique urbaine durable.
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