Ils sont nombreux à impressionner en entretien, à captiver en réunion, à s’imposer naturellement dans un comité exécutif. Charismatiques, confiants, ambitieux : tout dans leur posture semble faire d’eux des leaders-nés. Pourtant, cette assurance, souvent perçue comme de la compétence, n’est pas un gage d’efficacité. Au contraire, les traits de personnalité qui propulsent certains individus – majoritairement des hommes – vers les postes de direction sont aussi ceux qui nuisent à la qualité du management une fois en place. C’est cette confusion entre confiance et compétence qui contribue à l’exclusion des femmes, pourtant plus performantes sur de nombreux indicateurs de leadership. L’enjeu est majeur : il ne s’agit plus seulement de « parité », mais de performance organisationnelle, d’alignement stratégique, et de résilience collective.
L’illusion de compétence : un biais de genre structurel dans la sélection des leaders
Les biais cognitifs jouent un rôle central dans la reproduction des inégalités de genre dans les fonctions dirigeantes. Le plus pernicieux d’entre eux consiste à assimiler confiance en soi et compétence, deux notions pourtant distinctes. Ce mécanisme favorise des candidats – le plus souvent masculins – qui excellent dans l’auto-promotion et la posture d’autorité, au détriment de ceux et celles qui incarnent une posture plus humble, pourtant plus efficace à long terme.
Selon une étude publiée dans la revue Personality and Individual Differences (2022), les hommes ont tendance à surestimer leur intelligence plus fréquemment que les femmes, tous niveaux réels confondus. Cette perception gonflée de leurs capacités leur confère un avantage injuste dans les processus de nomination aux postes de direction. À l’inverse, l’humilité – pourtant fortement corrélée à la performance managériale – est interprétée comme un manque d’ambition ou d’assurance.
Ce biais explique en partie pourquoi les femmes, souvent plus performantes en intelligence émotionnelle et en collaboration, peinent à franchir le cap des hautes responsabilités. Une méta-analyse menée par Zenger/Folkman (2019) sur plus de 7 000 managers dans 360 entreprises montre que les femmes surpassent les hommes sur 17 des 19 compétences de leadership analysées, notamment l’écoute, l’intégrité, l’inspiration ou encore le développement des talents.
Dans le contexte marocain, les chiffres confirment cette dynamique : d’après le HCP (2024), les femmes représentent moins de 13 % des cadres dirigeants, alors qu’elles constituent près de 47 % de la population active diplômée. Cette sous-représentation ne peut s’expliquer uniquement par un manque de volonté individuelle, mais plutôt par des critères de sélection biaisés et des stéréotypes persistants.
La personnalité masculine valorisée… mais contre-productive à long terme
Les traits de personnalité traditionnellement associés au leadership – assurance, autorité, audace – sont culturellement codés au masculin. Résultat : les recruteurs, souvent inconsciemment, privilégient les profils qui cochent ces cases. Pourtant, de nombreuses recherches soulignent que ces caractéristiques sont aussi celles que l’on retrouve chez les leaders les moins efficaces, voire toxiques.
Une étude menée par le Hogan Assessment Systems (2021), qui évalue les traits de personnalité de 21 000 leaders dans 45 pays, indique que les hommes obtiennent des scores nettement plus élevés que les femmes sur les traits de narcissisme, de prise de risque excessive et de manipulation. Or, ces dimensions sont corrélées à des taux d’échec managérial significativement plus élevés.
Ce paradoxe est d’autant plus préoccupant que ces mêmes traits facilitent l’ascension dans les organisations hiérarchiques classiques. En d’autres termes, ce sont les comportements problématiques qui mènent au sommet — puis provoquent les dysfonctionnements une fois en place. Le résultat : des organisations mal dirigées, peu performantes et fragilisées à moyen terme.
La chercheuse Tomas Chamorro-Premuzic, spécialiste de la psychologie du leadership, résume cette impasse ainsi : « Nous confondons charisme avec compétence, et en faisant cela, nous surévaluons les hommes qui se vendent bien et sous-évaluons les femmes qui dirigent mieux. »
Au Maroc, cette problématique est visible à travers l’instabilité de certaines fonctions dirigeantes, notamment dans les secteurs public et semi-public, où la rotation rapide des profils masculins à responsabilité illustre l’incapacité à stabiliser une gouvernance fondée sur la compétence plutôt que sur le réseau ou le prestige.
Vers un leadership plus inclusif et plus efficace : changer les critères, pas les femmes
Face à ces constats, une réponse souvent avancée consiste à « former les femmes à prendre confiance », les incitant à adopter les codes masculins dominants pour s’imposer. Cette approche, si elle peut sembler pragmatique, est en réalité contre-productive. Elle suppose que le problème vient des femmes, et non du système de sélection.
Changer les règles du jeu impose de revoir les critères de recrutement et de promotion au sein des organisations. Plutôt que de valoriser l’extraversion, l’assurance ou la prise de parole, les entreprises ont tout intérêt à mesurer la capacité à écouter, fédérer, prendre des décisions éclairées et faire progresser collectivement les équipes.
L’évaluation des soft skills, des comportements en situation réelle, ainsi que la mise en place de grilles d’analyse anonymisées peuvent permettre de neutraliser certains biais. En France, des dispositifs comme le label “Égalité professionnelle” (AFNOR) ont permis d’introduire des méthodologies plus objectives dans les processus de nomination.
Dans le monde francophone africain, des initiatives émergent : au Sénégal, la charte de parité mise en place par le Mouvement des Entreprises du Sénégal (MEDS) prévoit un quota de 30 % de femmes dans les comités exécutifs d’ici 2026. Le Maroc, de son côté, a adopté une loi-cadre sur l’égalité en entreprise, mais les mécanismes de suivi restent faibles et non contraignants.
Plus largement, les DRH ont un rôle stratégique à jouer : en réévaluant leurs modèles de leadership, en formant les recruteurs à la détection des biais, en développant des viviers féminins pour les postes clés, ils peuvent transformer structurellement les dynamiques de pouvoir.
Le problème n’est pas que les femmes manquent d’ambition ou de talent, mais que les critères d’évaluation du leadership restent ancrés dans des modèles dépassés. Tant que l’arrogance sera perçue comme une preuve de potentiel et que l’humilité continuera d’être perçue comme un défaut, les organisations se priveront de profils à forte valeur ajoutée. Repenser les standards de leadership, former les recruteurs aux biais inconscients, valoriser les compétences réelles plutôt que les postures, c’est redonner à la fonction RH son rôle de vigie stratégique. Le changement n’impose pas que les femmes se comportent « comme des hommes », mais bien que le système cesse de confondre charisme et compétence.







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