Casablanca – Pendant des décennies, le secteur associatif marocain a été perçu principalement à travers le prisme de la bienfaisance et de l’action caritative. Essentiel, certes, mais complémentaire. Aujourd’hui, un changement de paradigme radical est en cours. Le rapport issu des débats du forum WeXchange, organisé par la Fondation Abdelkader Bensalah, ne laisse place à aucun doute : le Maroc ambitionne de faire de son économie sociale et solidaire (ESS) un axe fondamental de son nouveau modèle de développement.
L’objectif affiché est audacieux et chiffré : faire en sorte que le troisième secteur contribue à hauteur de 8% au PIB national et génère jusqu’à 50 000 emplois par an. Cette reconnaissance institutionnelle au plus haut niveau de l’État marque une rupture. Il ne s’agit plus de panser les plaies de la société de manière ponctuelle, mais de construire une économie résiliente, inclusive et centrée sur l’humain. Une économie qui ne cherche pas seulement à redistribuer les richesses, mais à en créer de nouvelles, en plaçant l’impact sociétal et environnemental au cœur de son modèle.
Du modèle caritatif à l’économie d’impact
Le message central martelé par les experts est celui d’une professionnalisation indispensable. “Nous devons sortir de la perception que le troisième secteur est une solution temporaire ou une simple œuvre de charité”, souligne un analyste impliqué dans le rapport. “Il s’agit d’une véritable économie, capable de générer des profits pour assurer son autosuffisance, tout en maximisant son impact positif sur la société.”
Cette nouvelle vision s’inspire de modèles internationaux qui ont fait leurs preuves. L’exemple de la Corée du Sud est frappant : 160 des 200 universités nationales appartiennent au troisième secteur, jouant un rôle majeur dans la démocratisation de l’enseignement supérieur. En Indonésie, une innovation sociale simple mais puissante permet aux populations de payer leurs frais de santé en échange de déchets recyclables, liant directement protection de l’environnement et accès aux soins.
Plus près de nous, le modèle de la corporation Mondragon en Espagne, une fédération de coopératives pesant 12 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans des secteurs aussi variés que l’industrie, la finance et la distribution, démontre qu’il est possible de concilier gigantisme économique et gouvernance démocratique. Le Maroc n’est pas en reste, avec des succès nationaux comme la coopérative agricole COPAG, qui est devenue un géant de l’agroalimentaire tout en conservant son ancrage social. Ces exemples nourrissent l’ambition marocaine de bâtir un écosystème où la finalité sociale n’exclut pas la performance économique.
Un chemin ambitieux semé d’embûches
Cependant, la route vers la réalisation de cette vision est jalonnée de défis structurels et culturels profonds. Le rapport identifie une dizaine d’obstacles majeurs qui freinent actuellement l’essor du secteur.
En premier lieu, l’absence d’un cadre institutionnel unifié. Contrairement au secteur privé, régi par des règles claires et des instances dédiées, le troisième secteur évolue dans un flou réglementaire. Le cadre juridique principal, datant de 1958, est largement dépassé par les transformations sociales et économiques actuelles. Il manque cruellement d’incitations fiscales, administratives et financières adaptées. “Sur le terrain, nous nous heurtons à un cadre légal obsolète et à une méfiance persistante de certains acteurs politiques, notamment au niveau territorial”, confie un acteur de la société civile. “Nous avons les idées, mais les outils et la confiance ne suivent pas toujours.”
Ce manque de vision se répercute au niveau local, où les stratégies de mise en œuvre peinent à se concrétiser, rendant difficile l’atteinte des zones les plus reculées. S’ajoute à cela un problème de durabilité. Les conditions de pérennité du secteur, notamment face aux aléas économiques, restent mal comprises par de nombreux acteurs.
La gouvernance et la transparence sont également des points névralgiques. Pour bâtir la confiance, la mise en place d’observatoires nationaux et régionaux pour la collecte de données est jugée essentielle. Ces données permettraient non seulement de mesurer l’impact réel des actions, mais aussi de mieux orienter les politiques publiques. Parallèlement, le déficit de compétences limite la capacité des acteurs à monter en gamme et à accéder aux financements internationaux, tandis que le fossé numérique, malgré les investissements en infrastructures, maintient une dépendance technologique vis-à-vis de l’Occident.
Enfin, des organes consultatifs clés, comme le Conseil Consultatif de la Jeunesse et de l’Action Associative, restent inactivés, privant le secteur d’instances de dialogue institutionnel pourtant prévues par la Constitution.
Feuille de route pour une révolution silencieuse
Face à ces défis, le rapport ne se contente pas d’un diagnostic. Il esquisse une feuille de route pragmatique et ambitieuse, articulée autour de plusieurs axes stratégiques.
- Réformer le cadre légal : La priorité absolue est d’établir une loi-cadre moderne, flexible et incitative pour l’économie sociale et solidaire. Cette loi devra clarifier le statut des entreprises sociales et introduire des mécanismes de financement innovants.
- Renforcer les capacités : un effort massif de formation est nécessaire pour professionnaliser les acteurs du secteur. Il s’agit de développer des compétences en gestion de projet, en recherche de fonds, en marketing social et en gouvernance. Le soutien à la recherche scientifique dédiée au secteur est également crucial.
- Promouvoir les alliances et la donnée : pour éviter le travail en silo, le rapport préconise la création de coalitions et d’alliances citoyennes aux niveaux provincial et régional. L’intégration dans l’économie de la donnée, via les observatoires, permettra de piloter l’action par la preuve et d’accroître la transparence.
- Innover dans le financement et l’entrepreneuriat : au-delà des subventions publiques, il est impératif de promouvoir l’entrepreneuriat social et de développer des outils comme le financement participatif (crowdfunding), les fonds d’investissement à impact social et les contrats à impact social.
- Déléguer les services publics : en s’appuyant sur le succès de la généralisation du préscolaire, confiée en grande partie au secteur associatif, l’État est encouragé à étendre la délégation de services publics dans des domaines comme la prise en charge des personnes âgées, le soutien aux personnes en situation de handicap ou la formation professionnelle.
Vers un pacte national pour le troisième secteur
Le chemin est encore long, et les risques de déviation sont réels. Le secteur doit éviter le double écueil de dériver vers un modèle purement lucratif, oubliant sa mission sociale, ou de se cantonner à une charité classique sans impact durable. De même, la concentration des investissements dans les grands centres urbains doit être combattue pour ne pas creuser les inégalités territoriales.
L’initiative de la Fondation Abdelkader Bensalah ne s’arrête pas à ce rapport. Les “Régionales de l’innovation sociale 2025” sont déjà annoncées. Ce tour du Maroc permettra de décliner la réflexion au niveau local, d’adapter les stratégies aux spécificités de chaque région et d’assurer une représentation large de tous les acteurs. L’objectif final : co-construire un document de politique publique nationale pour le troisième secteur et lancer une campagne de plaidoyer pour sa mise en œuvre.
Le Maroc est en train de poser les jalons d’une transformation profonde. En reconnaissant son troisième secteur non plus comme une roue de secours mais comme un moteur de développement, le Royaume se donne les moyens de construire un avenir où le progrès économique et le progrès social avancent main dans la main. Une révolution silencieuse est en marche, promettant de libérer un potentiel immense au service de tous les Marocains.
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