La charge mentale est souvent réduite à une simple surcharge de travail. Or, elle désigne plus précisément l’ensemble des sollicitations cognitives que le cerveau humain doit traiter dans un laps de temps donné. Elle comprend trois dimensions : la complexité des tâches, les distractions environnementales et la capacité à maintenir l’attention. Pour les managers, ces facteurs s’accumulent à mesure que s’ajoutent les responsabilités stratégiques, les interactions multiples et la pression décisionnelle.
Au Maroc, où les rythmes de travail sont souvent intenses et les frontières entre sphères personnelle et professionnelle encore plus poreuses avec le télétravail partiel, les signaux de surcharge mentale ne sont pas toujours repérés à temps. Le phénomène du « blurring » – effacement des frontières vie pro/vie perso – est accentué par des outils numériques omniprésents. Les notifications permanentes, les urgences en cascade et les injonctions contradictoires altèrent la capacité de concentration des cadres, et cela a un coût.
Des recherches de l’Organisation internationale du travail (OIT, 2023) ont montré que la surcharge cognitive est l’un des principaux facteurs à l’origine de l’absentéisme prolongé dans les fonctions managériales, avec des conséquences économiques notables. Les erreurs de jugement, les décisions prises dans la précipitation et la baisse de vigilance en sont des symptômes fréquents.
En contexte professionnel, ces biais cognitifs – souvent déclenchés par la fatigue attentionnelle – peuvent se traduire par des stéréotypes dans l’évaluation de candidats, une rigidité dans la gestion de projets ou encore une tolérance excessive à l’inefficacité opérationnelle. Or, comme l’indique le rapport « Global Workforce Study » de Mercer (2023), les entreprises capables de limiter la surcharge mentale de leurs équipes enregistrent un taux d’engagement supérieur de 23 %.
Manager autrement : autonomie, priorisation et outils adaptés
La régulation de la charge mentale repose d’abord sur une refonte managériale des priorités : passer d’une logique de contrôle du temps à une logique de valeur ajoutée. L’autonomie accordée aux équipes en matière de gestion des horaires, de lieux de travail ou de méthodes opérationnelles constitue l’un des leviers les plus puissants pour réduire le stress cognitif.
Dans de nombreuses entreprises marocaines, la culture du présentéisme reste forte, mais les initiatives inspirantes se multiplient. Certaines structures industrielles de Casablanca ont mis en place des plages horaires de « concentration protégée », durant lesquelles aucun e-mail, appel ou réunion n’est autorisé. Résultat : une réduction de 18 % des erreurs dans la chaîne de décision selon un audit interne réalisé en 2024.
Des outils simples, comme la matrice croisée « plaisir/valeur ajoutée » mentionnée dans plusieurs approches de psychologie du travail, permettent également de repenser l’organisation individuelle. En demandant aux collaborateurs de cartographier leurs tâches selon leur niveau de satisfaction et leur utilité réelle, les managers peuvent objectiver des ajustements immédiats, en redistribuant ou supprimant des tâches peu contributives.
Mais cette régulation ne peut fonctionner que si l’encadrement est formé à identifier les signaux faibles. D’après une étude menée par l’IFOP pour Empreinte Humaine (2023), 72 % des cadres déclarent ne pas être suffisamment outillés pour repérer la surcharge mentale de leurs équipes. Cela suppose un changement culturel au sein de la fonction RH : intégrer des modules de prévention cognitive dans les programmes de formation managériale et instaurer un dialogue régulier autour de la charge mentale dans les entretiens individuels.
L’usage des outils numériques doit également être interrogé. Il ne s’agit pas seulement d’éduquer à l’usage des canaux (e-mail, Slack, WhatsApp…), mais surtout de redéfinir les usages selon la nature des messages. Par exemple, différencier clairement les outils de synchronisation (urgences, coordination) de ceux d’information (reportings, documents de référence). Comme le rappelle l’ANSSI, « un outil numérique ne peut être un substitut à l’organisation, il en est un reflet ». Une bonne architecture décisionnelle vaut mieux qu’un bon outil.
Sécurité psychologique et exemplarité managériale : des conditions à renforcer
La capacité à exprimer ses limites et à alerter sur une surcharge mentale sans crainte de sanction est un indicateur fort de maturité organisationnelle. Ce climat de sécurité psychologique, théorisé par Amy Edmondson, est encore peu développé dans les entreprises marocaines. Pourtant, il s’agit d’un puissant levier de performance collective.
Pour créer cette sécurité, les managers doivent adopter une posture d’écoute active, de clarification des attentes et de soutien réel. Il ne suffit pas de dire « ma porte est toujours ouverte » : encore faut-il que le collaborateur ose la franchir. La disponibilité managériale doit être planifiée et visible. Des pratiques simples, comme fixer des créneaux de consultation hebdomadaires, instaurer des points courts à fréquence régulière ou coconstruire les priorisations de tâches, permettent de transformer la relation hiérarchique.
L’exemplarité joue ici un rôle fondamental. Un manager qui commence sa journée en lecture d’e-mails, enchaîne les réunions sans pause et reste connecté à toute heure renforce inconsciemment une norme d’hyperdisponibilité. À l’inverse, ceux qui structurent leur semaine autour de séquences de concentration, préservent des moments « off », et posent des limites claires, envoient un signal de permission aux équipes.
La bienveillance managériale commence par soi-même. Se préserver pour mieux soutenir les autres n’est pas une faiblesse, mais une condition de la qualité du leadership. Cela implique parfois de fermer physiquement sa porte, de décaler les réunions à des plages moins saturées, ou de différer une réponse instantanée à un e-mail pour ne pas sacrifier une tâche stratégique à un impératif mineur.
Enfin, la fonction RH a ici un rôle structurant à jouer. En intégrant la gestion de la charge mentale dans les baromètres internes, en formant les managers au pilotage cognitif de leur équipe, et en adaptant les indicateurs de performance à des logiques durables plutôt qu’uniquement productives, elle peut repositionner ce sujet au cœur du dialogue social. Certaines grandes entreprises du secteur financier au Maroc l’ont compris : elles associent désormais les psychologues du travail à la gestion des projets de transformation, pour anticiper les effets sur les capacités attentionnelles et émotionnelles des collaborateurs.







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