Le dernier rapport annuel du Groupe Banque mondiale pose un diagnostic sans ambiguïté : la prospérité future des pays en développement dépend de leur capacité à créer des emplois en quantité suffisante et de qualité adaptée. L’urgence dépasse les enjeux conjoncturels. Sur la prochaine décennie, 1,2 milliard de jeunes entreront sur le marché du travail dans ces pays, mais seulement 400 millions d’emplois devraient être créés au même horizon. Le déficit prévisible atteindrait donc 800 millions de jeunes sans perspectives économiques, un niveau susceptible d’alimenter la vulnérabilité sociale, l’instabilité politique, le ralentissement de la productivité et la pression migratoire.
Cette rupture annoncée explique le recentrage stratégique de la Banque mondiale. La création d’emplois n’est plus un résultat indirect du développement ; elle devient son objectif principal. Le rapport décrit une doctrine nouvelle, plus opérationnelle, où infrastructures, capital humain, gouvernance et investissement privé convergent pour produire des emplois durables, localisés et compatibles avec les trajectoires climatiques. L’ambition est assumée : accélérer la transformation économique des pays émergents pour éviter une crise mondiale du travail et repositionner la lutte contre la pauvreté sur des fondations productives.
L’analyse du rapport révèle un basculement intellectuel, financier et institutionnel qui touche directement les acteurs de l’emploi, du capital humain et de la formation. Pour les DRH des entreprises comme pour les décideurs publics, ce changement de paradigme impose de repenser les chaînes de compétences, les modèles d’intégration, les politiques d’accompagnement des jeunes et le rôle stratégique de la fonction RH dans les transformations économiques.
L’emploi devient une infrastructure de développement
La lecture approfondie du rapport montre que le Groupe Banque mondiale ne considère plus l’emploi comme un simple résultat d’activité économique, mais comme une infrastructure à part entière. La création d’emplois est désormais pensée comme un processus à construire, au même titre qu’un réseau électrique, un système éducatif ou un port commercial. Cette conception marque une évolution considérable. Jusqu’ici, les politiques internationales de développement privilégiaient l’accès aux services essentiels, la réduction de la pauvreté monétaire ou la stabilité macroéconomique. Le rapport 2025 inverse cette logique : il place l’emploi au centre de toutes les politiques sectorielles.
Ce changement trouve son origine dans les constats accumulés sur plusieurs décennies. Les pays qui ont connu les transformations économiques les plus rapides n’ont pas uniquement investi dans des infrastructures physiques ; ils ont développé des environnements complets favorisant l’activité, l’innovation et l’intégration des jeunes dans l’économie formelle. Le rapport souligne par exemple que la croissance d’un pays ne se traduit pas automatiquement en emplois. Sans systèmes éducatifs de qualité, sans connectivité numérique, sans stabilité énergétique, sans logistique et sans accès au financement, l’économie formelle reste limitée à une minorité d’entreprises et de travailleurs. L’Afrique subsaharienne illustre cette réalité : bien que la démographie y soit dynamique et la demande intérieure élevée, moins de 6 % des étudiants choisissent des filières STEM, précisément celles qui soutiennent les besoins industriels et technologiques.
Dans cette perspective, le rapport met en avant une approche intégrée fondée sur trois piliers. Le premier consiste à investir dans les infrastructures physiques et humaines. Les exemples fournis sont nombreux : extension des réseaux électriques grâce à l’initiative Mission 300, modernisation des ports pour fluidifier les échanges, renforcement des systèmes de santé comme en Indonésie où plus de 300 000 structures locales bénéficient d’équipements modernisés, diffusion des technologies de stockage énergétique en Mongolie, ou encore rénovation des routes au Liban qui a généré 1,3 million de jours de travail.
Le deuxième pilier concerne la gouvernance et les cadres réglementaires. Le rapport montre que la création d’emplois est étouffée lorsque les entreprises évoluent dans un environnement imprévisible, soumis à des lenteurs administratives ou à une fiscalité instable. Les exemples de réformes mises en œuvre dans certains pays, notamment celles soutenues en Europe et en Asie centrale après les chocs économiques, confirment l’impact direct de l’amélioration du climat des affaires sur l’emploi formel.
Le troisième pilier repose sur la mobilisation du capital privé. La Banque mondiale insiste sur ce point : 90 % des emplois dans le monde proviennent du secteur privé. Or les pays à revenu faible attirent encore trop peu d’investissements productifs. Le rapport fait état de 68,9 milliards de dollars de capital privé mobilisés en 2025, une augmentation significative rendue possible par les garanties MIGA et par les mécanismes d’investissement de l’IFC.
Cette approche systémique donne à l’emploi un statut nouveau : celui d’une infrastructure économique fondamentale. Pour les DRH, cette approche implique une transition vers une gestion du capital humain mieux intégrée aux stratégies nationales, aux investissements internationaux et aux évolutions sectorielles. La fonction RH devient un acteur stratégique de la modernisation économique.
Trois leviers structurants pour transformer les marchés du travail
L’analyse du rapport montre que la transformation des marchés du travail ne peut reposer sur une action isolée. Les trois leviers identifiés constituent un ensemble cohérent qui vise à réduire les barrières structurelles à l’emploi.
Le premier levier, celui des infrastructures et du capital humain, s’appuie sur des exemples particulièrement significatifs. L’accès à l’électricité demeure l’un des principaux freins à la croissance en Afrique. Mission 300, qui vise à connecter 300 millions de personnes au réseau, est présentée comme un prérequis au développement industriel et à la création d’emplois dans l’agro-industrie, le commerce et les services. De même, les infrastructures numériques conditionnent l’accès à l’éducation, aux marchés internationaux et au travail à distance. En Arménie, l’expansion rapide des réseaux 4G, puis 5G, est en train de réduire les inégalités géographiques et de connecter des zones rurales longtemps exclues de l’économie numérique.
Le capital humain occupe une place centrale. Les études présentées dans le rapport montrent que les pays qui investissent simultanément dans l’éducation, la santé et la formation professionnelle affichent une meilleure résilience économique et une insertion plus rapide des jeunes. Le projet mené en Indonésie est emblématique : la modernisation du système de santé s’accompagne d’une montée en compétence de milliers de professionnels, renforçant à la fois la productivité nationale et la stabilité du marché du travail.
Le deuxième levier, celui de la gouvernance, touche aux politiques publiques. Le rapport cite l’exemple de Benin, où l’utilisation d’un mécanisme de garantie a permis de lever plus de 550 millions de dollars de financements commerciaux, tout en modernisant les systèmes fiscaux et en étendant la protection sociale. Cette combinaison entre réformes internes et financement externe crée un environnement plus propice à l’investissement et donc à l’emploi formel. Dans plusieurs pays, la simplification réglementaire, la réduction des délais administratifs ou la réforme des marchés publics ont également permis à des entreprises locales de croître plus rapidement.
Le troisième levier, la mobilisation du capital privé, est décrit comme essentiel pour absorber les millions de jeunes qui s’apprêtent à entrer sur le marché du travail. Le rapport rappelle que les ressources publiques restent insuffisantes face à l’ampleur des besoins. Les dispositifs de garantie du Groupe Banque mondiale ont permis de financer des projets d’infrastructure, d’agribusiness ou d’énergie dans des pays où les investisseurs privés n’auraient pas engagé de capitaux sans ce soutien. Les initiatives en Égypte, en Ouzbékistan, au Brésil ou en Argentine démontrent que la réduction du risque perçu constitue un levier puissant pour attirer des entreprises capables de créer des emplois locaux.
Pour les DRH, ces transformations signifient que les marchés du travail ne se structureront plus uniquement autour des politiques publiques traditionnelles. Le développement des compétences, l’employabilité des jeunes, la gestion des transitions professionnelles et l’intégration de l’innovation deviennent des priorités qui dépassent les frontières organisationnelles. La fonction RH doit anticiper les évolutions sectorielles, collaborer davantage avec les acteurs publics, renforcer les partenariats formation-entreprise et contribuer activement à la préparation des compétences pour les industries en croissance.
Les cinq secteurs porteurs d’emplois locaux et durables
Le rapport identifie cinq secteurs capables de générer des emplois locaux non délocalisables et de soutenir la croissance à long terme. L’analyse de ces secteurs permet de comprendre pourquoi ils concentrent désormais les financements et les réformes prioritaires.
Le premier secteur, celui des infrastructures et de l’énergie, est décrit comme la base de toute transformation économique. Le rapport insiste sur la dépendance de l’emploi à la disponibilité d’une énergie fiable. Les projets de stockage électrique en Mongolie, les centrales à haut rendement en Égypte ou les réseaux électriques modernisés en Afrique témoignent de l’impact direct de l’énergie sur la capacité d’un pays à produire, transformer et exporter. Ce secteur englobe également les transports, dont la modernisation améliore l’accès à l’emploi. Au Liban, la réhabilitation des routes a amélioré la mobilité de 1,4 million de personnes et généré des centaines de milliers de jours de travail.
L’agribusiness constitue le deuxième secteur clé. Le rapport annonce un doublement des financements pour atteindre 9 milliards de dollars par an. L’enjeu est double : accroître la productivité agricole et créer des chaînes de valeur locales. Les exemples du Brésil et de plusieurs pays d’Afrique montrent que l’amélioration des systèmes de production, l’accès au financement, l’adoption de technologies durables ou les certifications environnementales permettent d’augmenter les revenus ruraux et de formaliser des emplois souvent informels.
La santé représente un troisième secteur stratégique. La demande mondiale en professionnels qualifiés augmente et les investissements dans les infrastructures sanitaires génèrent des emplois directs et indirects. L’exemple indonésien démontre l’ampleur de cette dynamique : des centaines de laboratoires ont été équipés, modernisant un secteur majeur pour l’employabilité.
Le tourisme s’impose comme un quatrième secteur créateur d’emplois locaux. Bien que dépendant de la stabilité et des infrastructures, il possède un fort potentiel dans les régions dotées de patrimoines naturels et culturels. Le rapport mentionne des programmes destinés à soutenir les investissements privés dans les zones touristiques, en particulier en Asie et en Amérique latine, où les chaînes de valeur sont très étendues.
Enfin, l’industrie manufacturière à valeur ajoutée occupe une place centrale dans la stratégie de la Banque mondiale. Ce secteur est particulièrement porteur pour les pays capables de capter les relocalisations industrielles, d’intégrer les normes internationales et d’investir dans les compétences techniques. Les projets au Maroc, illustrés par l’extension du port de Tanger Med, s’inscrivent précisément dans cette logique de montée en gamme industrielle. L’appui financier apporté à cette infrastructure renforce la connectivité régionale et internationale, favorise les investissements manufacturiers et soutient la création d’emplois spécialisés.
Pour les DRH, ces secteurs représentent des viviers de nouveaux métiers. Les compétences attendues se situent à l’intersection de compétences techniques, digitales, environnementales et relationnelles. Les systèmes d’éducation et de formation doivent évoluer rapidement pour répondre à ces besoins.
Enseignements pour le Maroc et les DRH : compétences, inclusion et chaîne de valeur
L’analyse du rapport mondial conduit naturellement à une lecture locale. Le Maroc se trouve dans une position singulière : son économie est plus diversifiée que celle de nombreux pays émergents, ses infrastructures se sont considérablement modernisées, et certains secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, le tourisme, les énergies renouvelables ou la logistique affichent une dynamique de croissance soutenue. Dans le même temps, plusieurs défis persistent : inadéquation des compétences, chômage élevé des jeunes diplômés, faible taux d’activité des femmes, absorptivité limitée du marché du travail formel, fragmentation du tissu des PME et montée rapide des technologies liées à l’IA et à l’automatisation.
Le rapport de la Banque mondiale permet de relier ces défis à des leviers d’action concrets. Le premier enseignement concerne les compétences. Le Maroc doit accélérer la transformation de son système de formation vers des compétences plus adaptées aux secteurs en croissance. Les enseignements tirés des Centres d’Excellence africains peuvent inspirer des modèles d’intégration entre universités, entreprises et laboratoires, dans lesquels les DRH jouent un rôle structurant.
Le deuxième enseignement porte sur l’inclusion économique. La participation des femmes, la mobilité régionale, l’accès à l’emploi formel et l’accompagnement des jeunes représentent des axes où les entreprises marocaines peuvent renforcer leur impact. Les données du rapport montrent que les programmes de protection sociale élargis contribuent à stabiliser les trajectoires professionnelles et à soutenir l’emploi formel.
Le troisième enseignement concerne l’investissement privé. Le Maroc bénéficie déjà d’un attrait certain auprès des investisseurs internationaux. La lecture du rapport confirme que la capacité d’un pays à mobiliser des financements dépend d’un climat réglementaire stable, d’une gouvernance transparente et d’une infrastructure logistique de haut niveau. Les grandes zones industrielles, les ports marocains et la dynamique des énergies renouvelables constituent des atouts majeurs. Les DRH sont directement concernés par cette attractivité, car elle dépend de la disponibilité de talents capables de porter les projets industriels et technologiques.
Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de prévoir les compétences du futur. L’essor de l’intelligence artificielle, la transition énergétique, l’économie circulaire, le travail hybride ou l’automatisation imposent aux entreprises de revoir leurs modèles de gestion de carrière et d’anticiper des reconversions. Le Maroc, avec sa jeunesse diplômée, son potentiel technologique et sa position géographique stratégique, peut tirer parti de cette transformation à condition d’investir massivement dans les compétences intermédiaires et dans la formation continue.
Le rapport 2025 de la Banque mondiale offre une lecture nouvelle du développement. La création d’emplois y apparaît comme un chantier structurant, qui ne dépend plus de la croissance spontanée mais d’une stratégie coordonnée et cohérente intégrant infrastructures, compétences, gouvernance et investissement privé. Cette vision résonne particulièrement avec les enjeux marocains. La fonction RH se trouve désormais au croisement des politiques économiques, industrielles et sociales. En anticipant les besoins en compétences, en soutenant l’employabilité, en nouant des partenariats avec le monde académique et en s’impliquant dans les transformations organisationnelles, les DRH peuvent devenir des acteurs centraux de la dynamique de développement que le rapport appelle de ses vœux.
Consultez le rapport complet ci-après :
![[RAPPORT] Créer des emplois : la nouvelle doctrine du développement selon la Banque mondiale l DRH.ma](https://drh.ma/wp-content/uploads/2025/11/RAPPORT-Créer-des-emplois-la-nouvelle-doctrine-du-développement-selon-la-Banque-mondiale-1140x570.jpg)
![[ETUDE] Le stage PFE, un levier sous-exploité de gestion des talents : ce que révèle l’enquête nationale 2025](https://drh.ma/wp-content/uploads/2025/11/ETUDE-Le-stage-PFE-un-levier-sous-exploité-de-gestion-des-talents-ce-que-révèle-lenquête-nationale-2025-1-120x86.jpg)
![[ETUDE] Croissance économique et emploi : pourquoi le Maroc peine à transformer sa dynamique en opportunités durables](https://drh.ma/wp-content/uploads/2025/10/ETUDE-Croissance-economique-et-emploi-pourquoi-le-Maroc-peine-a-transformer-sa-dynamique-en-opportunites-durables
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![[ETUDE] Chief People Officers Outlook 2025 : les DRH au cœur des transformations du travail](https://drh.ma/wp-content/uploads/2025/09/ETUDE-Chief-People-Officers-Outlook-2025-1-1024x532.jpg)
![[RAPPORT] Le CESE alerte sur les dérives du travail non standard et appelle à une réforme du Code du travail](https://drh.ma/wp-content/uploads/2025/06/CESE-1024x532.jpg)
![[ÉTUDE] Comment les organisations peuvent tirer profit de l’IA générative : recommandations clés pour les leaders RH](https://drh.ma/wp-content/uploads/2024/11/IA-generative-1024x532.jpg)
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![[RAPPORT] Créer des emplois : la nouvelle doctrine du développement selon la Banque mondiale l DRH.ma](https://drh.ma/wp-content/uploads/2025/11/RAPPORT-Créer-des-emplois-la-nouvelle-doctrine-du-développement-selon-la-Banque-mondiale-120x86.jpg)


![[NOMINATION] Sébastien ROLLET promu Secrétaire Général et membre du Directoire de la BMCI l DRH.ma](https://drh.ma/wp-content/uploads/2025/11/NOMINATION-Sébastien-ROLLET-promu-Secrétaire-Général-et-membre-du-Directoire-de-la-BMCI-120x86.jpg)
