Selon une étude de PwC Afrique publiée en 2024, 73 % des consommateurs interrogés affirment qu’une mauvaise expérience client réduit leur confiance non seulement envers une marque, mais aussi envers son image en tant qu’employeur. En miroir, les collaborateurs eux-mêmes deviennent les premiers garants — ou saboteurs — de cette expérience. Ce renversement oblige les DRH à repenser leurs indicateurs de performance et d’attractivité.
L’expérience client, miroir externe de la culture d’entreprise
Dans de nombreux marchés africains, les clients ont peu de patience pour les dysfonctionnements. Entre instabilités logistiques, service après-vente défaillant ou interfaces numériques mal conçues, chaque friction se transforme en critique publique sur les réseaux sociaux ou les sites d’avis. Ces plateformes ne sont plus seulement scrutées par les consommateurs, mais aussi par les candidats. Le premier contact avec l’entreprise passe désormais autant par une commande que par une offre d’emploi.
Or, cette expérience est perçue comme révélatrice de la manière dont l’entreprise traite ses parties prenantes. Une entreprise jugée négligente envers ses clients sera spontanément perçue comme peu attentive à ses collaborateurs. Le lien est psychologique, mais aussi statistique : selon le Baromètre Reputation Institute 2024, 55 % des jeunes diplômés en Afrique subsaharienne déclarent avoir renoncé à postuler dans une entreprise après avoir consulté des avis clients négatifs.
Quand le service client devient levier d’attractivité RH
Ce renversement est accentué par le poids croissant de l’économie des services et la généralisation des canaux digitaux. Au Maroc, au Nigeria ou en Côte d’Ivoire, des acteurs comme Attijariwafa Bank, Jumia ou MTN investissent dans des centres de contact multilingues et multicanaux, qui deviennent des vitrines sociales de leur efficacité.
La conséquence pour les RH : ces fonctions en contact direct avec la clientèle deviennent des points névralgiques de la stratégie de marque employeur. Un conseiller client épanoui, bien formé, et aligné avec les valeurs de l’entreprise est aussi un ambassadeur RH. À l’inverse, un front-office stressé, peu soutenu ou mal outillé crée de la dissonance dans l’expérience perçue et nuit à l’attractivité.
Des collaborateurs au cœur de la promesse client
Il ne s’agit pas d’un simple alignement entre marketing et RH, mais d’un continuum. Les DRH doivent intégrer les attentes clients dans leurs processus de formation, d’onboarding et d’évaluation. Cela suppose :
- De former les équipes à la posture relationnelle, au-delà des scripts préétablis ;
- D’inclure les indicateurs de satisfaction client dans l’évaluation des performances internes ;
- De créer un lien entre les feedbacks clients et les politiques de reconnaissance interne.
Cette approche est encore peu répandue dans les structures africaines, où la fonction RH reste souvent cloisonnée. Pourtant, elle constitue un levier de transformation rapide, peu coûteux, mais à fort impact.
Le défi des outils et infrastructures en Afrique
Il serait illusoire d’ignorer les freins structurels. Dans de nombreuses zones d’Afrique subsaharienne, la faible qualité des connexions, l’instabilité des services de livraison ou la difficulté à digitaliser les process RH freinent l’alignement entre promesse client et réalité interne. Mais ces contraintes peuvent aussi devenir des opportunités de différenciation.
Certaines entreprises locales misent sur l’hyper-proximité : au Sénégal, des start-up du secteur bancaire intègrent des conseillers client dans les quartiers informels pour personnaliser le service. Au Maroc, des acteurs du e-commerce comme Glovo forment leurs livreurs non seulement à la ponctualité mais aussi à la courtoisie et à la remontée d’information, créant une expérience client différenciante — et valorisée en interne.
De la réputation externe à la fidélisation des talents
Les DRH ne peuvent plus séparer leur marque employeur de la réputation commerciale. La contamination est rapide : un pic de critiques clients en ligne entraîne mécaniquement une baisse des candidatures et une hausse du turnover chez les équipes en contact. À l’inverse, une relation client bien perçue agit comme un aimant. C’est ce qu’a compris le groupe marocain Banque Populaire, qui valorise désormais dans ses campagnes de recrutement les témoignages clients positifs et les succès de son service client digitalisé.
Cette porosité a des implications concrètes. Lors de la refonte de leur stratégie de recrutement, certaines entreprises africaines incluent désormais les scores de satisfaction client dans leurs rapports RH trimestriels. D’autres croisent ces données avec les résultats d’enquêtes internes type eNPS (Employee Net Promoter Score) pour détecter les écarts entre expérience client et expérience collaborateur.
Le rôle stratégique des DRH dans la convergence client-collaborateur
Pour tirer parti de cette dynamique, les directions RH doivent agir à plusieurs niveaux :
- Alignement stratégique : inclure la satisfaction client dans les objectifs de performance RH.
- Formation ciblée : former les équipes à la posture relationnelle, à la gestion des tensions, mais aussi à l’écoute active des retours clients.
- Technologie : investir dans des outils collaboratifs qui permettent de croiser les feedbacks clients et internes.
- Communication : faire de chaque succès client une vitrine RH, à travers des témoignages, des campagnes internes et du contenu marque employeur.
Ce mouvement est amorcé dans certaines grandes entreprises marocaines, mais reste marginal dans les PME, qui représentent pourtant plus de 90 % du tissu économique du continent.
La capacité à intégrer l’expérience client dans la stratégie RH pourrait devenir un marqueur différenciant entre entreprises résilientes et organisations fragiles. Pour les DRH africains, la question n’est plus de savoir si l’expérience client influence leur attractivité, mais comment faire de cette influence un levier de performance globale — et durable.