En juin 2025, Munich Re, géant mondial de la réassurance, a annoncé son retrait de plusieurs grandes alliances climatiques internationales. Cette décision, motivée par des considérations juridiques et réglementaires, interroge sur la viabilité des engagements collectifs dans la lutte contre le changement climatique. Elle interpelle aussi directement les DRH, à l’heure où la durabilité s’impose comme une boussole stratégique.
Retrait de Munich Re : rupture ou repositionnement ?
Le départ de Munich Re concerne plusieurs coalitions majeures de la finance durable : la Net-Zero Asset Owner Alliance (NZAOA), la Net Zero Asset Managers Initiative (NZAMI), Climate Action 100+, et l’Institutional Investors Group on Climate Change (IIGCC). Toutes partagent un objectif commun : engager les institutions financières vers une trajectoire de neutralité carbone alignée sur l’Accord de Paris.
Mais Munich Re, malgré son historique d’engagement environnemental, a justifié son retrait par une « insécurité juridique croissante » et une inflation des exigences de reporting climatique. Dans un communiqué, le groupe dénonce des règles « devenues trop complexes, incohérentes d’un pays à l’autre, et trop coûteuses à mettre en œuvre, sans bénéfice clair pour la lutte climatique ».
Cette décision souligne un paradoxe structurel : alors que la pression pour agir sur le climat s’intensifie, les outils censés guider cette transformation deviennent eux-mêmes des freins.
Engagement climatique maintenu, mais recentré
Loin de rompre avec la transition écologique, Munich Re affirme vouloir poursuivre sa politique climatique… mais selon ses propres modalités. Le groupe revendique d’ailleurs des résultats significatifs : réduction de 29 % des émissions liées à ses investissements depuis 2019, atteinte des objectifs intermédiaires pour 2025, et une feuille de route vers la neutralité carbone en 2050 toujours en vigueur.
Ce retrait ne constitue donc pas un désengagement, mais un recentrage stratégique. L’entreprise préfère piloter en interne une stratégie alignée sur ses contraintes opérationnelles plutôt que de souscrire à des standards collectifs jugés inadaptés. Elle prépare d’ailleurs l’introduction de nouveaux indicateurs propres, plus ajustés à sa réalité.
Ce positionnement met en lumière une conviction : l’impact réel passe moins par la signature de chartes que par la solidité de la gouvernance interne et la cohérence des actions mises en œuvre.
Une onde de choc dans la finance durable
Munich Re n’est pas un cas isolé. Depuis plusieurs mois, les grandes alliances climatiques enregistrent des départs en série. BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde, a quitté la NZAMI début 2025. Cette dernière a suspendu ses activités peu après, faute de membres actifs. Plusieurs banques nord-américaines ont également tourné le dos à la Net-Zero Banking Alliance.
La réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, combinée à une montée du climatoscepticisme institutionnel, a renforcé la pression politique contre la finance durable. Des voix critiques dénoncent une « idéologie ESG » imposée aux entreprises, accusée de détourner les priorités économiques et d’exposer les acteurs financiers à des risques juridiques mal encadrés.
Face à cette défiance croissante, le modèle des alliances volontaires semble atteindre ses limites. Il soulève une question : peut-on encore gouverner la transition écologique par des engagements collectifs, sans cadre contraignant mais aussi sans homogénéité juridique ?
Quelles leçons pour les DRH africains ?
Pour les entreprises africaines, et en particulier leurs directions RH, cette actualité ne peut être perçue comme un simple fait divers du monde de la finance. Elle porte des enseignements fondamentaux sur la manière de piloter durablement la transformation des organisations.
- Adapter les stratégies RSE aux contextes locaux : les normes internationales, bien qu’inspirantes, ne sont pas toujours compatibles avec les réalités réglementaires, économiques ou sociales du continent africain. Les DRH doivent veiller à ce que les engagements RSE soient pragmatiques, alignés sur les priorités nationales, sectorielles, voire régionales. La crédibilité de l’engagement passe aussi par sa faisabilité.
- Miser sur la gouvernance interne : Munich Re illustre l’intérêt d’une gouvernance climatique ancrée dans la structure même de l’entreprise. Pour les DRH, cela signifie intégrer la durabilité dans les processus RH : recrutement de profils green, inclusion d’indicateurs RSE dans les entretiens annuels, évaluation de l’impact carbone des mobilités professionnelles, etc.
- Former aux enjeux climatiques et réglementaires : la multiplication des textes législatifs (CSRD en Europe, taxonomies, normes ISSB…) impacte aussi les filiales africaines de groupes internationaux. Il devient crucial de développer des modules de formation interne pour sensibiliser les équipes RH, juridiques et opérationnelles à ces enjeux. La conformité climatique devient un terrain d’expertise RH.
- Prévenir les risques de réputation : l’écoblanchiment (greenwashing) reste une menace pour les entreprises affichant des ambitions climatiques non suivies d’actions concrètes. Les DRH jouent un rôle central pour assurer la cohérence entre les promesses de l’organisation et la réalité vécue par les collaborateurs. Cette vigilance est essentielle pour maintenir la confiance interne et externe.
Vers une finance durable plus réaliste
Le cas Munich Re révèle un besoin urgent de réinventer les mécanismes de gouvernance climatique. Les engagements volontaires, sans contrôle ni pilotage adapté, peinent à produire un changement mesurable. Les entreprises doivent aujourd’hui passer d’une logique de conformité symbolique à une logique de transformation intégrée, mesurable et opérationnelle.
Cette évolution concerne aussi les ressources humaines. Les politiques RH doivent devenir le prolongement naturel de la stratégie durable de l’entreprise. Cela implique de redéfinir les critères de performance, d’intégrer les enjeux climat dans les plans de mobilité interne, et de créer des parcours professionnels orientés vers la transition écologique.
De nombreuses entreprises africaines s’engagent déjà dans cette voie. Des groupes du secteur de l’énergie, de l’agriculture ou des télécoms expérimentent des dispositifs innovants : bilans carbone internes, mobilité douce pour les salariés, programmes de sensibilisation communautaire, etc. Ces pratiques doivent désormais être mieux valorisées, mutualisées et structurées.
Le rôle-clé des DRH dans la transition écologique
Dans un monde où l’incertitude juridique, l’instabilité politique et la pression sociale coexistent, les DRH doivent devenir des architectes de la durabilité. Leur rôle ne se limite plus à gérer les talents, mais s’étend à la construction d’un cadre de travail compatible avec les impératifs environnementaux.
Cela suppose d’anticiper les mutations des métiers liés au climat (analystes ESG, responsables conformité durable, ingénieurs bas carbone…), de préparer les reconversions nécessaires, et de créer des politiques d’incitation interne cohérentes avec les trajectoires écologiques de l’entreprise.
Le désengagement de Munich Re des grandes coalitions climatiques n’est pas un simple fait de conjoncture. Il reflète une transition de phase : celle d’un monde où l’impact devient plus important que l’affichage, où la robustesse de la stratégie interne supplante l’appartenance à des clubs internationaux.
La question n’est donc plus seulement de savoir avec qui on s’engage pour le climat, mais comment on le fait concrètement. Pour les DRH africains, le défi est clair : construire des politiques RH résilientes, crédibles et stratégiquement alignées avec une durabilité exigeante, mais réaliste.