Soutenir l’employabilité des jeunes est devenu un axe stratégique de la responsabilité sociétale des entreprises. Ateliers de préparation à l’emploi, accompagnement à la rédaction de CV, coaching de jeunes diplômés ou encore financement de programmes d’orientation : les actions se multiplient, portées par des entreprises qui souhaitent contribuer concrètement à l’inclusion professionnelle des nouvelles générations.
Sur le terrain, ces initiatives sont souvent mises en œuvre en partenariat avec des startups spécialisées, des structures agiles, ancrées dans leur territoire, qui disposent d’une connaissance fine des besoins des jeunes et des employeurs. Leur mission est claire : construire des ponts entre le monde académique et celui de l’emploi. Leur valeur ajoutée est reconnue, leurs résultats visibles.
Mais derrière l’élan affiché se dessine un décalage plus profond. Car si les projets avancent, les factures, elles, stagnent. Les paiements tardent. Les relances s’enchaînent. Les jeunes entreprises partenaires, pourtant indispensables au succès de ces opérations, doivent souvent composer avec des délais de paiement qui dépassent les 90 jours. Un paradoxe difficile à ignorer : comment promouvoir l’employabilité tout en fragilisant ceux qui la rendent possible ?
Dans l’économie des startups à impact social, chaque mission compte. Ce sont des structures où le chiffre d’affaires est directement réinvesti dans l’action : développement de plateformes, recrutement de conseillers, suivi des bénéficiaires, amélioration continue des dispositifs. Quand les paiements se font attendre, ce ne sont pas seulement des lignes comptables qui se figent. C’est la capacité même d’agir qui s’amenuise. Maintenir une équipe, répondre à de nouveaux appels d’offres, développer de nouvelles solutions : tout devient plus incertain.
Ces retards, bien que rarement intentionnels, révèlent un désalignement entre les intentions et les pratiques. Ils traduisent une gestion administrative souvent pensée pour de grands fournisseurs, pas pour des structures légères, à flux tendus. Ils ne tiennent pas compte du fait que, dans l’économie à impact, la solidité du modèle repose sur un équilibre fragile, où la régularité des paiements est un levier de stabilité.
La difficulté n’est pas tant le montant que le rythme. Il ne s’agit pas de grands contrats, mais de prestations modestes à l’échelle des grandes entreprises. Pourtant, leur poids est déterminant pour les acteurs qui les exécutent. Car au-delà des chiffres, c’est la logique d’écosystème qui est en jeu.
La responsabilité sociétale ne se résume pas à des actions périphériques. Elle s’incarne dans les choix du quotidien : comment une entreprise traite ses partenaires, quels circuits elle mobilise, quelles pratiques elle tolère dans ses relations économiques. Dans ce cadre, les relations fournisseurs ne devraient plus être considérées comme des éléments purement logistiques, mais comme un révélateur de la maturité RSE d’une organisation.
Certaines entreprises ont commencé à intégrer cette dimension. Elles identifient leurs partenaires à impact et leur appliquent des processus adaptés. D’autres incluent dans leurs politiques achats des engagements clairs sur les délais de paiement aux petites structures. Ce sont des gestes simples, mais structurants, qui permettent de rendre l’ensemble de la chaîne d’engagement plus cohérente.
Cette logique, je l’ai personnellement expérimentée dès le lancement de Stagiaires.ma en 2012. À l’époque, deux grandes entreprises marocaines, Bank of Africa (ex-BMCE Bank) et Inwi, nous avaient accordé leur confiance. Mais au-delà du partenariat, c’est le traitement administratif qui m’a marqué : les équipes achats avaient reçu des consignes claires de leurs directions pour ne pas faire traîner les paiements. Nos factures étaient traitées rapidement, sans obstacle inutile. Ce professionnalisme a joué un rôle clé dans la stabilisation de mon activité naissante, me permettant d’investir sereinement dans le développement de la plateforme et le renforcement de mes équipes.
Les directions RH et RSE ont ici un rôle stratégique à jouer. Parce qu’elles sont souvent à l’initiative des projets à finalité sociale, elles peuvent aussi en garantir la soutenabilité. Interpeller les directions financières, sensibiliser les équipes achats, plaider pour une contractualisation rapide et fluide : ces leviers ne relèvent pas du détail, mais de la capacité à tenir une ligne responsable de bout en bout.
Il est tentant de penser que la fin justifie les moyens. Que la mise en œuvre d’un programme en faveur de l’emploi des jeunes suffit à prouver l’engagement. Mais dans les faits, ce sont les moyens qui font tenir la promesse. Lorsqu’une startup peine à couvrir ses charges en attendant le règlement d’une facture validée depuis des mois, l’impact recherché s’efface derrière la pression financière.
Ce n’est pas une critique, encore moins un reproche. C’est une réalité que de nombreux acteurs de terrain connaissent et à laquelle il devient difficile de rester indifférent. La construction d’un écosystème favorable à l’inclusion professionnelle ne repose pas uniquement sur la volonté politique des entreprises, mais sur leur capacité à soutenir concrètement leurs partenaires, même – et surtout – les plus fragiles.
La cohérence est devenue un critère d’évaluation incontournable. Pour que les engagements RSE aient du sens, ils doivent s’aligner sur l’ensemble des pratiques de l’entreprise. La gestion de la relation fournisseur en fait partie. Traiter avec équité les startups à impact, c’est non seulement respecter un partenaire, mais aussi renforcer la chaîne d’impact que l’entreprise contribue à animer.
Car ce que ces jeunes structures demandent, ce n’est pas une faveur. C’est une reconnaissance implicite de leur rôle, de leur implication, de leur expertise. Et surtout, une logique de confiance mutuelle : si elles s’engagent à livrer avec rigueur, elles attendent en retour un traitement administratif respectueux de leurs contraintes.
L’employabilité ne se construit pas à coup de slogans. Elle repose sur un tissu d’acteurs, de méthodes, de financements et de collaborations durables. Si les entreprises veulent jouer un rôle moteur dans cette dynamique, elles doivent aussi veiller à ne pas affaiblir les fondations sur lesquelles elle repose.