La chaleur extrême est désormais un risque professionnel à part entière au Maroc. Chaque été, le thermomètre dépasse aisément les 40 degrés dans de nombreuses régions, exposant des milliers de travailleurs à des conditions particulièrement difficiles. Dans les secteurs du bâtiment, de l’agriculture, de la logistique, ou encore dans les bureaux mal ventilés, la santé et la sécurité des collaborateurs peuvent être sérieusement compromises. Malgré cette réalité, la législation marocaine reste étonnamment silencieuse sur les mesures spécifiques à prendre en période de forte chaleur.
Le Code du travail marocain évoque clairement l’obligation générale des employeurs en matière de sécurité. L’article 222 impose explicitement de veiller à assurer des conditions de travail sûres et saines, intégrant notamment la prévention des risques liés aux températures extrêmes. Toutefois, aucune précision n’est apportée sur les seuils de température maximale tolérable ni sur les protocoles précis à suivre en cas de canicule.
Cette absence de réglementation détaillée laisse les employeurs face à leur propre responsabilité. Ils doivent identifier eux-mêmes les risques spécifiques et prendre des décisions opérationnelles pour protéger la santé de leurs collaborateurs. Une situation qui n’est pas sans conséquence, car elle ouvre potentiellement la voie à des interprétations très variables d’une entreprise à l’autre, selon le degré d’implication et de sensibilisation de chaque employeur.
Les obligations concrètes des employeurs : un devoir implicite mais clair
Même si la loi ne fixe pas de seuil précis, les employeurs sont loin d’être exemptés d’obligations. En réalité, la jurisprudence et les principes généraux de la sécurité au travail exigent que les entreprises prennent des mesures pratiques et raisonnables pour protéger leurs collaborateurs.
Parmi ces mesures indispensables figure en premier lieu l’accès à l’eau potable fraîche en quantité suffisante. La déshydratation constitue l’un des principaux risques liés à la chaleur, entraînant fatigue intense, malaise, voire des complications graves telles que des coups de chaleur ou des malaises cardiaques. Garantir cet accès relève donc d’un impératif catégorique.
Ensuite, l’aménagement des horaires de travail s’impose comme une autre mesure fondamentale. Nombre d’entreprises adoptent ainsi des horaires décalés, réduisent les activités physiques intensives aux heures les plus fraîches de la journée ou mettent en place des pauses régulières et obligatoires. Une approche efficace consiste à instaurer des périodes de repos pendant les pics de chaleur, généralement entre 12h et 16h, en particulier pour les métiers les plus exposés comme ceux du BTP ou de l’agriculture.
Enfin, les employeurs sont invités à protéger physiquement les collaborateurs exposés au soleil direct. Dans les bureaux, cela passe par l’installation de systèmes de climatisation, de ventilateurs performants ou de films solaires sur les fenêtres. Sur les chantiers extérieurs, la mise à disposition d’abris ombragés ou la fourniture de vêtements adaptés sont autant de mesures concrètes qui relèvent du bon sens, mais aussi de la responsabilité juridique de l’employeur.
Droit des salariés : entre vigilance et droit de retrait
Face à des conditions climatiques difficiles, les collaborateurs marocains disposent également de droits qu’ils sont fondés à faire valoir auprès de leurs employeurs. Conformément aux principes généraux du Code du travail, tout salarié peut demander des aménagements spécifiques, tels que des pauses supplémentaires ou des modifications temporaires de son poste en cas de chaleur excessive.
En outre, si un collaborateur estime que les conditions climatiques créent un « danger grave et imminent » pour sa santé, il dispose d’un droit de retrait. Celui-ci lui permet, après avoir informé son employeur, de quitter son poste immédiatement sans crainte de sanction ou de retenue salariale. Bien que ce droit soit prévu dans la loi, il reste peu connu et rarement utilisé en pratique, les salariés marocains craignant souvent des représailles indirectes ou un climat professionnel tendu.
Vers une réforme nécessaire du cadre réglementaire
Alors que d’autres pays comme la France ou l’Arabie saoudite se dotent de cadres réglementaires très précis sur la gestion des risques liés aux fortes chaleurs, le Maroc tarde encore à évoluer dans cette voie. Pourtant, face aux prévisions climatiques alarmantes des prochaines années, cette évolution apparaît désormais indispensable.
La réforme attendue du Code du travail marocain, prévue à l’horizon fin 2025, pourrait précisément intégrer ces préoccupations. Plusieurs voix s’élèvent déjà pour réclamer l’instauration de seuils précis de température, des protocoles obligatoires en période de forte chaleur et des contrôles stricts sur leur application effective.
La chaleur au travail : un enjeu RH stratégique
La problématique de la chaleur au travail dépasse désormais largement le simple cadre technique ou réglementaire. Elle s’inscrit dans une stratégie RH globale, essentielle à la fidélisation et à l’engagement des collaborateurs. Les entreprises marocaines doivent saisir cette occasion pour réaffirmer leur engagement à garantir un environnement de travail sécuritaire et humainement respectueux.
Si les employeurs marocains attendent encore un cadre juridique plus précis, leur responsabilité immédiate demeure pleine et entière. Anticiper dès aujourd’hui les mesures à adopter face aux vagues de chaleur est non seulement une obligation morale et légale, mais également une preuve d’intelligence stratégique pour tout décideur RH soucieux du bien-être durable de ses équipes.