Le 2 juin 2025, Atos a officialisé la vente de sa division dédiée au calcul intensif à l’État français. En jeu : la souveraineté technologique de la France, mais aussi, pour les décideurs RH marocains, la stabilité des emplois liés à un acteur majeur du numérique présent à Rabat et Casablanca.
La transaction concerne l’activité « Advanced Computing », qui regroupe les pôles liés aux supercalculateurs (HPC), à l’informatique quantique, au business computing et à certaines applications d’intelligence artificielle. Environ 2 500 salariés – essentiellement basés en France – passeront sous la houlette d’une nouvelle entité publique. L’opération exclut les activités « Vision AI », qui restent dans le giron d’Atos.
Ce recentrage s’inscrit dans le cadre du plan « Genesis », un programme de restructuration engagé par Atos pour se délester d’activités fortement capitalistiques au profit de secteurs jugés plus rentables et résilients : cybersécurité, services cloud et IA.
Pour l’État français, il s’agit d’un acte de souveraineté. Le ministre de l’Économie Éric Lombard a rappelé que ces compétences sont indispensables pour des missions critiques comme les simulations nucléaires, mais aussi pour les industries de pointe et la recherche publique.
Au Maroc, Atos emploie près de 600 collaborateurs sur deux principaux sites : Casablanca et Rabat. Ces équipes sont majoritairement dédiées au développement logiciel, aux services numériques et aux centres de services partagés. Le cœur de métier marocain reste donc éloigné des activités cédées, concentrées en France.
La direction d’Atos n’a, à ce stade, émis aucun signal d’alerte concernant les sites marocains. Aucun transfert d’activité ni plan de départ n’est envisagé. L’entreprise continue par ailleurs d’investir dans la formation locale via son programme Atos Campus Program, qui intègre chaque année plusieurs centaines de jeunes diplômés dans ses filières technologiques.
Le choix du Maroc par Atos ne relève pas du hasard. Depuis plus d’une décennie, le pays s’est imposé comme un hub technologique régional. Grâce à son vivier de talents francophones, à sa proximité géographique avec l’Europe et à des politiques incitatives, le Maroc attire les investissements structurants dans les IT services.
Chez Atos, cette implantation a permis de mutualiser les expertises autour de services à forte valeur ajoutée : intégration de solutions cloud, maintenance d’applications métiers, pilotage de projets numériques internationaux. Le Maroc est ainsi devenu une plateforme stratégique dans le delivery global du groupe.
Une stabilité à court terme, mais un cap stratégique incertain
Si l’impact immédiat semble limité, la prudence s’impose. La reconfiguration d’Atos reste profonde : le groupe a connu plusieurs changements de gouvernance, une fragmentation de ses activités (SpinCo vs TFCo) et une pression accrue des marchés. L’objectif affiché est de restaurer la rentabilité d’un groupe en difficulté, tout en redonnant de la visibilité à ses métiers historiques.
Dans ce contexte, les pays de la région MENA – et en particulier le Maroc – pourraient devenir des leviers d’optimisation opérationnelle. Cela peut se traduire par un renforcement des effectifs comme par des rationalisations. Tout dépendra de l’évolution des portefeuilles clients, des arbitrages internes et de la capacité d’Atos à sécuriser ses contrats sur le long terme.
Pour les professionnels RH au Maroc, Atos reste un employeur structurant, notamment dans le champ de la formation et de la professionnalisation des jeunes diplômés. Le Campus Program, souvent cité comme référence, permet une intégration fluide des profils issus des écoles d’ingénieurs marocaines dans des environnements technologiques avancés. Ce dispositif alimente non seulement le vivier interne d’Atos, mais contribue aussi à faire monter en compétence l’ensemble du tissu numérique local.
Ce positionnement pédagogique différencie Atos de nombreux sous-traitants IT moins engagés dans la structuration des carrières. C’est un atout que les décideurs RH surveillent de près.
La restructuration engagée par Atos pourrait renforcer, à moyen terme, le rôle du Maroc comme relais de croissance. En externalisant certaines fonctions ou en développant des centres de compétence délocalisés, le groupe pourrait conforter sa base marocaine. C’est d’autant plus probable que les marchés africains et moyen-orientaux sont devenus des axes prioritaires dans les plans d’expansion technologique.
Le développement du cloud souverain, les politiques de cybersécurité continentales et l’explosion des besoins en infrastructures digitales créent un terrain favorable pour les entreprises disposant déjà d’un ancrage fort dans la région.
La vente de la division « Advanced Computing » à l’État français n’impacte pas directement les équipes marocaines d’Atos, mais elle rappelle l’ampleur de la transformation en cours. Pour les décideurs RH, l’enjeu consiste à suivre de près les mouvements stratégiques du groupe afin d’anticiper d’éventuelles réorganisations. Le Maroc conserve, pour l’instant, une position stable dans le schéma mondial d’Atos. Mais cette stabilité ne pourra être maintenue sans vigilance ni adaptation face aux évolutions futures du marché numérique mondial.