Pourquoi l’entreprise devra-t-elle s’y intéresser ? Comment mettre en place une démarche de QVT ? Et comment l’entretenir ? Eléments de réponse avec Saif Allah Allouani, chercheur et expert en psychosociologie des organisations – fondateur du centre HFEI (Human Flourishing Engineering Institute)
– Quelle est votre vision de la Qualité de Vie au Travail (QVT) ?
J’apprécie bien la formulation de cette question, la question de la qualité de Vie au Travail, d’apparence évidente et simple, est loin de l’être dans la pratique ; ce qui existent en effet ce sont des visions plus ou moins divergentes de ce construit.
C’est un terme générique pour décrire l’expérience professionnelle au sens large d’un individu. La qualité de vie au travail recouvre l’appréciation subjective d’une personne à l’égard de toutes les dimensions du travail, y compris les récompenses et avantages économiques, la sécurité physique et psychologique, les conditions de travail, les relations interpersonnelles, ainsi que la signification intrinsèque du travail accompli.
De point de vue opérationnel, il s’agit des méthodes et processus systématiques par lesquels une organisation peut assurer le bien-être global d’un employé au lieu de se concentrer uniquement sur les aspects liés aux processus de travail. Ces processus portent sur des aspects comme les relations sociales avec les collègues et la hiérarchie, le contenu du travail et les moyens attribués pour le réaliser, l’environnement professionnel physique, l’organisation du travail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale et l’accomplissement personnel au travail et l’évolution de carrière.
La QVT n’est pas directement construite sur une théorie ou une technique spécifique, mais elle concerne le climat général du travail, l’impact du travail sur les personnes et l’efficacité de l’organisation. On peut retrouver les traces de cette réflexion depuis le courant humaniste de management et ses critiques des pratiques tayloriennes d’organisation de travail.
– Pourquoi les entreprises auraient intérêt à s’y mettre ?
Il faudrait dire que la qualité de vie au travail est de manifestement liée à la performance ; beaucoup de recherche rigoureuse à travers le monde ont confirmé cette liaison. Les études suggèrent fortement que des employés heureux seraient à l’origine d’une entreprise heureuse et non l’inverse. Quand la démarche de qualité de vie de travail est réussie, la productivité, l’attention et la motivation augmentent, l’environnement organisationnel s’améliore, il y a une diminution des dépenses liées aux traitements de santé, le turn-over diminue, la rétention des talents et les bénéfices augmentent, entre autres, tout en se rappelant qu’en termes d’impact, le tout est supérieur à la somme des parties.
– La démarche QVT peut-elle nourrir la marque-employeur et l’expérience collaborateur ?
Dans une logique marketing RH, le collaborateur à travers son expérience client est la première cible des démarches QVT. Une telle expérience positive ou négative est certainement partagée auprès des pairs à grande échelle, surtout avec la puissance du réseautage et du partage des réseaux sociaux.
Posséder une démarche QVT concrète agira de manière positive sur la fidélisation des cadres. Ce qui diminuera le turn-over et contribue au développement de la marque employeur et au rayonnement de l’entreprise.
Rappeler cette réalité est important dans le contexte actuel de par le monde, caractérisé par un départ massif des cadres. La Global Workforce Hopes and Fear parle du mouvement de Big Quit aux Etats-Unis où 48 millions d’Américains ont fait leur valise en 2021. Les raisons, selon une étude faite par PwC sont multiples:
– Le salaire pour 58%, L’épanouissement professionnel pour 55%, La possibilité d’être soi-même au travail pour 51%.
Au Maroc, le nombre d’études sur la qualité de vie de travail reste encore peu nombreuses pour offrir un portrait exhaustif de la situation. Dans une étude que nous menons à HFEI en collaboration avec L’Observatoire marocain des pratiques de management (OMPM), la phase qualitative a pu révéler les sources les plus fréquemment cités dans ce sens : La charge de travail, Les problèmes relationnels, L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, manque de sécurité d’emploi.
Par ailleurs, les 3 piliers qui fondent la perception de la QVT chez les travailleurs marocains sont : les conditions d’emploi et de travail, la capacité à s’exprimer et agir, le contenu du travail. Une des populations les plus souffrante est celle des commerciaux et les métiers du front office et de la relation client en général.
– Quelles difficultés une entreprise peut rencontrer dans sa mise en œuvre ?
Il n’existe pas de modèle standard de démarche QVT à adopter pour les entreprises, le principe de la démarche est souple et doit être adapté à chaque organisation et à son contexte. Les difficultés peuvent surgir avant/durant/et après la mise en œuvre d’une démarche qualité de travail.
En amont, nous retrouvons la représentation mentale de la qualité de vie au travail que possède le management et son degré d’engagement réel dans cette voie. L’enjeu ici est celui de la congruence et l’authenticité, on ne pas réussir des actions gadgets d’amélioration de la qualité de vie (salle de gym..) alors que l’entreprise est gérée à travers un style de management propices à la toxicité, à la pression, à l’agression verbale et à la culture de « ici on souffre pour se sentir important, se sentir bien n’est pas une priorité ».
Le contexte et le timing de la mise en place d’une démarche de QVT est essentiel, voire crucial, car mettre en place une démarche aussi importante au mauvais moment pourrait s’avérer désastreux. L’enjeu est alors profond et la responsabilité du top management en termes d’instauration des conditions de confiance est primordiale. Il est important donc d’éviter les moments de conflit intense ou de crise que pourrait connaître une entreprise (grève, tension..).
Le deuxième challenge est comment choisir la bonne dose de l’action ; ne pas pécher par excès d’audience ou par démarche Top down. Il faut le savant équilibre entre la dimension à la fois objective des conditions de travail et subjective de la QVT (le sentiment de bien-être perçu collectivement et individuellement). Hiérarchiser les projets pour mieux organiser la démarche QVT est aussi important ; tout en veillant à ne pas imposer des pratiques qui semblent avoir donnée des résultats ailleurs, ou qui sont parfois bien vendues par un prestataire.
La démarche incrémentale reste à mon sens la meilleure, il n’y a pas lieu de vanter une révolution mais de d’instaurer un progrès de jalons et d’ajustement continue. Il faudrait alors mettre une bonne démarcation ce qui est à mettre en mode « compagne « et ce qui est à mettre en mode « action durable »
Le troisième challenge est la pérennisation et le renforcement des acquis, un indicateur un peu paradoxal à retenir dans ce sens est le suivant : plus l’entreprise insiste dans sa communication et discours sur la qualité de vie, plus ça soulève des questions sur la crédibilité de cette démarche.
– Comment mesurer une démarche QVT ? Et quels seraient les facteurs clés de succès de sa mise en place ?
La mesure se fait à 3 niveaux :
Le premier niveau est celui de l’expérience collaborateur et management subjective, mesurée généralement à travers des baromètre Adhoc périodique, cette logique de mesure est aussi envisageable après déploiement d’action précises (team-building, aménagement des locaux).
Le deuxième niveau est celui des retombées visibles au quotidien sur les ressources humaines, des indicateurs comme les demandes de repos maladie, de départ des cadres qui révèlent une recherche active d’alternatives.
Le troisième niveau est celui de l’impact global sur la performance globale de l’entreprise, particulièrement par rapport aux aspects directement liés aux ressources humaines : le turn-over, la capacité d’attirer et de retenir les meilleurs profils dans les emplois et métiers clés de l’entreprise. Des indicateurs plus qualitatifs et qui ont démontré de leur pertinence lors de la crise Covid-22, c’est la capacité de l’entreprise d’assurer la continuité de service en instaurant le bon équilibre entre la vie professionnelle et personnelle de ses collaborateurs. L’utilisation optimisée des modes de collaboration en ligne et l’intégration de cette pratique dans le mode dans la culture des équipes de travail est également un indicateur à prendre en considération.