44 %. C’est la part des collaborateurs qui, en 2024, se disent encore prêts à soutenir les transformations de leur entreprise, contre 74 % en 2016. En huit ans, l’adhésion au changement a perdu 30 points. Un recul inquiétant qui révèle un phénomène largement sous-estimé : la fatigue liée au changement.
L’étude « 2025 CHRO Talent Strategy Guide » de Gartner met en lumière l’ampleur de cette usure silencieuse. Sur le continent africain, où les cycles de transformation s’enchaînent pour accompagner des mutations économiques, technologiques et sociales profondes, les collaborateurs sont de plus en plus sollicités… et de moins en moins engagés. Les DRH doivent désormais affronter un paradoxe : alors que l’agilité organisationnelle devient vitale, la capacité humaine à suivre le rythme s’épuise.
Les conséquences d’une cadence non maîtrisée
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : un collaborateur subit en moyenne treize changements d’envergure par an, soit cinq fois plus qu’en 2016. Cette intensité, souvent imposée sans co-construction, engendre désorientation, désengagement, voire épuisement. Gartner souligne que l’ambiguïté — la difficulté à comprendre le pourquoi et le comment du changement — déstabilise les équipes 1,5 fois plus que l’incertitude elle-même.
Résultat : baisse de la productivité, désaffection envers les projets stratégiques, augmentation des risques psychosociaux, et turnover en hausse. Ces signaux faibles, lorsqu’ils sont ignorés, finissent par peser lourdement sur la performance globale des organisations.
Fin du modèle top-down
Les approches traditionnelles de conduite du changement, centrées sur une logique descendante, montrent aujourd’hui leurs limites. La communication unidirectionnelle ne suffit plus. Pire : elle aggrave le sentiment de subir plutôt que d’agir. Dans un tel contexte, les DRH n’ont plus le choix. Ils doivent dépasser la seule logique de « gestion de la résistance » pour entrer dans une dynamique de mobilisation, de participation et de reconnaissance.
Le levier n’est plus dans le contenu du message, mais dans la manière de l’élaborer et de le porter collectivement. Il ne s’agit pas seulement de « faire passer le changement », mais de le construire avec ceux qui devront l’incarner.
Les trois leviers identifiés par Gartner
L’étude de Gartner propose une stratégie opérationnelle articulée autour de trois axes :
- Prioriser les changements en fonction de la capacité d’absorption : Toutes les transformations n’ont pas la même urgence. Évaluer la bande passante des équipes devient un impératif stratégique. Les DRH doivent aider les directions générales à arbitrer les priorités et à éviter la surcharge.
- Responsabiliser les managers de proximité : Leur rôle est décisif. Ce sont eux qui traduisent les orientations, identifient les signaux faibles, accompagnent les émotions. Formés et soutenus, ils deviennent des catalyseurs de résilience.
- Mobiliser des influenceurs du changement : Les collaborateurs légitimes auprès de leurs pairs, souvent non managers, peuvent devenir des relais puissants pour diffuser, écouter, ajuster. Leur implication volontaire permet de tisser un lien organique entre stratégie et réalité terrain.
Le cas Allstate : du modèle à l’action
La compagnie d’assurance Allstate illustre l’impact d’une démarche d’engagement horizontal. Plutôt que d’imposer des directives, l’entreprise identifie des collaborateurs reconnus pour leur leadership naturel. Grâce à une analyse des réseaux internes, ces influenceurs reçoivent les moyens et l’information pour devenir des moteurs du changement.
Une communauté de pratique a été constituée pour mutualiser les enseignements et les outils. En parallèle, une équipe dédiée à l’animation de ce réseau soutient les projets de transformation avec agilité et pragmatisme. Les résultats sont probants : le niveau d’adhésion a progressé, la fatigue a reculé, et la culture du changement a gagné en maturité.
Leçons pour les DRH africains
Transposer ce modèle en Afrique exige une approche adaptée aux spécificités culturelles et organisationnelles du continent. Le tissu relationnel, souvent fondé sur des logiques informelles et communautaires, peut devenir un levier puissant.
Les DRH peuvent agir à plusieurs niveaux :
- Mettre en place des baromètres de ressenti pour évaluer le niveau de fatigue, via des enquêtes internes ou des groupes de discussion.
- Identifier les leaders informels : pas seulement les cadres dirigeants, mais aussi ceux qui rassemblent, rassurent, et influencent naturellement.
- Impliquer les équipes dès la phase de conception des projets : leur connaissance opérationnelle est une richesse stratégique.
- Accompagner les managers pour développer leurs compétences émotionnelles et leur posture de coach.
- Valoriser les efforts et les micro-succès : dans un processus long, chaque étape franchie mérite reconnaissance.
Vers une nouvelle culture du changement
La fatigue organisationnelle ne disparaîtra pas. Mais elle peut être contenue, canalisée, voire transformée en moteur d’engagement si elle est reconnue et traitée à sa juste hauteur.
Les DRH ont ici un rôle structurant : celui de garantir une cohérence entre le rythme des transformations et les capacités humaines de l’entreprise. Plus qu’une compétence, il s’agit d’un nouveau leadership : humble, inclusif, lucide.
La question n’est plus « comment changer plus vite ? » mais « comment changer mieux, avec et pour les collaborateurs ? ». Ceux qui sauront répondre à cette équation ouvriront la voie à une performance durable, fondée non sur la pression, mais sur la confiance et l’engagement partagé.
Consultez l’étude complète « 2025 CHRO Talent Strategy Guide » en cliquant ici.