« Près de 80 % des métiers vont évoluer sous l’effet des transformations technologiques », a affirmé Younes SEKKOURI lors d’une conférence à Casablanca organisée par l’Université Al Akhawayn et le groupe Le Matin. Une déclaration qui résonne comme un signal d’alerte pour les entreprises marocaines, appelées à anticiper les mutations du marché du travail. Le ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences a profité de cette tribune pour annoncer une réforme du Code du travail qui devrait voir le jour à l’automne 2025, avec comme mesure phare : l’encadrement juridique du télétravail.
Jusqu’à présent, le travail à distance n’est inscrit dans aucun texte législatif marocain, alors même qu’il s’est largement imposé comme une modalité de travail durable depuis la crise sanitaire. Ce vide juridique pose un réel problème, tant pour les employeurs que pour les collaborateurs. La durée du travail, le droit à la déconnexion, les règles de santé et sécurité, ou encore la mise à disposition des équipements restent flous en l’absence de cadre légal. En intégrant une section dédiée au télétravail dans le futur Code du travail, le gouvernement souhaite offrir une base claire et équilibrée aux deux parties.
Pour les DRH, cette régulation attendue est une avancée stratégique. Elle leur permettra de bâtir des politiques hybrides solides, fondées sur des règles collectives plutôt que sur des arrangements individuels. Elle contribuera également à limiter les litiges potentiels et à sécuriser les relations contractuelles. En période de tensions sur le marché du travail, un cadre légal sur le télétravail devient aussi un argument d’attractivité pour les profils qualifiés, souvent en quête de flexibilité.
Mais la réforme ne se limite pas au seul télétravail. Elle s’inscrit dans un chantier plus large de modernisation du droit du travail à l’heure de l’intelligence artificielle et de la transformation numérique. Le ministre a insisté sur le fait que l’IA, loin de menacer l’emploi, représente un levier d’évolution des métiers. Encore faut-il que les compétences suivent. C’est pourquoi le ministère prévoit la création d’un observatoire de l’emploi piloté par l’intelligence artificielle, chargé d’analyser les besoins du marché en temps réel, d’accompagner les jeunes chercheurs d’emploi grâce à des outils de coaching numérique, et de fournir aux employeurs une cartographie détaillée des compétences disponibles.
Dans cette logique d’adaptation rapide aux besoins, la valorisation des certifications professionnelles est également mise en avant. Le ministre a plaidé pour une reconnaissance accrue des parcours certifiants, notamment dans les métiers techniques, qui peuvent offrir une réponse immédiate aux besoins du marché sans passer par les filières longues. Cette approche ouvre de nouvelles perspectives pour les DRH, en les incitant à revoir leurs critères de recrutement au prisme des compétences, plutôt que des seuls diplômes académiques. C’est aussi un signal fort envoyé aux organismes de formation, invités à adapter leurs catalogues aux exigences opérationnelles des entreprises.
L’un des points notables de cette réforme est l’appel lancé aux startups marocaines pour qu’elles deviennent des moteurs de l’innovation RH. Le ministre encourage la création d’outils et de solutions numériques capables de fluidifier l’orientation, la formation et le recrutement. Plusieurs jeunes pousses ont déjà pris position sur ce créneau, notamment dans le domaine de l’évaluation des soft skills, des simulateurs d’entretien automatisés ou encore des plateformes de formation en ligne. Mais leur déploiement à grande échelle nécessite un soutien public plus structuré, ainsi qu’une meilleure articulation avec les politiques d’emploi.
Toutefois, les ambitions affichées devront surmonter plusieurs obstacles. Rédiger un texte de loi à la hauteur des enjeux ne garantit pas à lui seul l’adhésion du terrain. Les précédentes tentatives de révision du Code du travail ont souvent buté sur des résistances corporatistes ou des divergences d’interprétation. La future réforme devra faire l’objet d’une large concertation avec les partenaires sociaux, notamment pour éviter une application à plusieurs vitesses entre grandes entreprises, déjà digitalisées, et PME aux ressources plus limitées.
Par ailleurs, l’accompagnement des entreprises dans la mise en œuvre effective de ces nouvelles dispositions sera déterminant. Sans outils pratiques, ni dispositifs de soutien ciblés, les objectifs affichés risquent de rester théoriques. C’est notamment le cas pour le télétravail, qui suppose une refonte des pratiques managériales, des systèmes de suivi, mais aussi des mentalités. La mise en place de conventions collectives intégrant des clauses spécifiques sur le travail à distance ou la montée en compétences pourrait constituer un levier efficace.
Cette réforme interroge aussi le rôle stratégique que les DRH devront jouer dans les mois à venir. À eux d’anticiper les évolutions du cadre légal, de piloter l’adaptation des outils RH, de former les managers à ces nouvelles logiques organisationnelles, et de positionner leur entreprise dans une trajectoire d’agilité renforcée. Il leur reviendra aussi d’être les garants d’une transition équilibrée, respectueuse des droits des collaborateurs, mais aussi soucieuse de la performance globale.
À l’horizon septembre 2025, le Maroc pourrait se doter d’un Code du travail mieux aligné sur les réalités contemporaines, plus souple, plus orienté compétences et plus ouvert à l’innovation. Mais cette évolution, aussi prometteuse soit-elle, devra s’appuyer sur des décisions concrètes dès aujourd’hui. La transformation du travail ne commence pas dans la loi : elle s’opère d’abord dans les pratiques.