La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) vient de publier son rapport 2025 sur la technologie et l’innovation, avec un focus particulier sur l’intelligence artificielle et son potentiel pour les économies en développement. Intitulée « Inclusive Artificial Intelligence for Development », cette nouvelle édition évalue la capacité de 170 pays à intégrer les technologies de rupture — IA, robotique, blockchain, 5G, Big Data — à travers un indice de préparation technologique fondé sur cinq piliers : déploiement des TIC, niveau de compétences, effort en R&D, capacité industrielle et accès au financement.
Les résultats sont sans appel : l’Afrique dans son ensemble accuse un retard structurel important. Aucun pays du continent ne figure parmi les 50 premières places du classement mondial. Seules quelques économies parviennent à émerger, à l’image de l’Afrique du Sud, classée 52e, et du Maroc, qui se hisse à la 67e position mondiale. Ces deux pays dominent le palmarès continental, suivis par Maurice (74e), la Tunisie (75e), l’Égypte (85e) et la Libye (90e).
Le Maroc se démarque notamment par la progression rapide de son vivier de développeurs, avec une hausse de 35 % du nombre de programmeurs entre 2022 et 2023. Le pays affiche des performances honorables en recherche (42e mondial), capacité industrielle (48e) et accès au financement (33e). Mais il reste à la traîne sur la généralisation des technologies de l’information (88e) et sur le niveau global des compétences (111e). Cette dichotomie illustre bien les limites d’un développement à plusieurs vitesses.
Le rapport pointe plusieurs freins systémiques qui entravent l’essor technologique en Afrique : infrastructures numériques incomplètes, déficit de compétences techniques, faiblesse des budgets consacrés à la recherche, et difficulté chronique des jeunes entreprises à accéder à des financements structurants. Un terrain encore peu fertile pour faire éclore un écosystème capable de s’approprier les technologies de demain.
Pourtant, les enjeux sont immenses. L’intelligence artificielle est appelée à bouleverser l’ensemble des chaînes de valeur économiques. Selon la CNUCED, près de 40 % des emplois actuels dans le monde pourraient être affectés par l’IA, que ce soit par l’automatisation de tâches répétitives, la transformation de fonctions existantes ou l’émergence de nouveaux métiers. Pour les pays africains, l’enjeu est double : éviter le décrochage face à la compétition internationale, tout en tirant parti des potentialités offertes par ces innovations pour accélérer leur développement.
Le rapport propose une cartographie mondiale de la maturité technologique des pays, classés selon quatre profils : les leaders, capables de produire et de déployer à grande échelle ; les créateurs, focalisés sur l’innovation locale ; les praticiens, utilisateurs de technologies développées ailleurs ; et les retardataires, encore marginalisés. La quasi-totalité des pays africains se situe dans les deux dernières catégories.
Face à ce constat, la CNUCED appelle à une mobilisation forte des gouvernements. Le rapport recommande de définir des stratégies nationales ambitieuses pour les technologies émergentes, avec un pilotage intersectoriel impliquant les ministères de l’économie, de l’éducation, de la recherche et des télécommunications. L’enjeu est d’organiser une réponse systémique, en renforçant l’éducation numérique dès le secondaire, en soutenant la recherche appliquée et en développant des politiques incitatives pour les investisseurs et les startups.
Le développement d’infrastructures numériques de qualité — internet haut débit, connectivité rurale, cloud public — constitue une autre priorité. Sans réseaux performants et accessibles, les outils technologiques les plus avancés resteront hors de portée. De même, le rapport souligne l’importance de programmes de formation continue en IA et compétences numériques, notamment pour les femmes et les jeunes en milieu défavorisé, afin d’éviter un élargissement des fractures sociales.
Enfin, la coopération internationale est présentée comme un levier crucial. L’Afrique ne pourra pas combler seule son retard. L’établissement de partenariats scientifiques, l’échange de données, les transferts technologiques et les co-investissements publics-privés sont autant de pistes pour accélérer l’appropriation des outils numériques et créer des solutions adaptées aux réalités locales.
Au-delà du diagnostic, le rapport souligne les signes positifs déjà visibles. Le Maroc, par exemple, s’inscrit dans une dynamique ascendante sur plusieurs fronts. La montée en puissance de ses filières d’ingénierie, le développement de clusters technologiques et l’essor de hubs dédiés à l’intelligence artificielle témoignent d’une volonté de structurer une économie numérique capable de peser à l’échelle régionale.
Mais le chemin reste long pour faire de l’Afrique un acteur à part entière de la révolution technologique en cours. Si le continent veut passer de simple utilisateur à co-créateur de solutions d’IA et de technologies avancées, il devra combiner vision politique, investissements soutenus et coopération renforcée. Faute de quoi, il risque de voir s’élargir le fossé numérique avec les puissances les mieux classées, majoritairement situées en Europe, en Amérique du Nord et en Asie.
Le rapport 2025 de la CNUCED agit ainsi comme un baromètre et un appel à l’action. Il montre que le potentiel est là, mais qu’il reste conditionné à des choix politiques clairs, à une mobilisation des ressources humaines et financières, et à une vision à long terme de l’innovation inclusive.