Au Maroc, de plus en plus d’entreprises introduisent les tests de personnalité dans leurs processus RH, inspirées par les pratiques des groupes internationaux : 80 % des sociétés du Fortune 500 y ont recours (Psychology Today). Mais cet engouement soulève une question stratégique : comment exploiter ces outils sans tomber dans le piège du prêt-à-penser comportemental ?
Un outil d’aide à la décision, pas une vérité psychométrique
Les tests de personnalité – MBTI, Big Five, DISC, PAPI, etc. – séduisent les directions RH pour leur promesse : mieux cerner les soft skills et anticiper les comportements au travail. Utilisés dès la phase de pré-sélection, ils permettraient d’évaluer la compatibilité entre un candidat et la culture d’entreprise, ou encore d’identifier des traits favorables à la réussite dans un poste donné (rigueur, leadership, adaptabilité…).
Mais attention à ne pas confondre aide à la décision et oracle. « Ces tests ne mesurent ni l’intelligence, ni la compétence, ni la motivation réelle à un instant T », rappelle le CNRS dans une note d’analyse. En d’autres termes : ce sont des outils de projection, pas de prédiction.
Recrutement : entre gains de temps et risques de clonage
Dans les environnements à fort volume de candidatures – centres de services partagés, banques, télécoms – les tests comportementaux permettent de filtrer rapidement des profils à distance. Selon SHL Talent Central, ils permettent de réduire le temps de recrutement de 25 % en moyenne. Certains acteurs marocains du secteur offshoring y ont recours pour sécuriser la sélection de profils juniors, notamment sur des postes à haute rotation.
Mais mal utilisés, ces tests peuvent renforcer des biais : rechercher une “adéquation culturelle parfaite” revient souvent à recruter des personnalités similaires à celles déjà en poste. Ce clonage comportemental nuit à la diversité cognitive, pourtant corrélée à la performance collective (Harvard Business Review, 2023).
Après l’embauche : révéler le potentiel, pas enfermer les profils
Au-delà du recrutement, les tests de personnalité peuvent enrichir la gestion des talents. En les combinant avec des entretiens de développement ou des dispositifs de mentorat, certaines entreprises les utilisent pour mieux adapter la formation, favoriser des binômes complémentaires, ou affiner la gestion individuelle de la performance.
C’est ce que pratique un grand groupe de distribution basé à Casablanca : « Nous utilisons les résultats pour personnaliser les parcours de montée en compétence et optimiser les affectations en projet », confie son DRH. À condition, toutefois, de considérer le test comme un point de départ, jamais comme une étiquette définitive.
Précautions éthiques et juridiques : ce que dit (ou ne dit pas) le droit marocain
Contrairement à certains pays européens, le Maroc ne dispose pas de réglementation spécifique sur l’usage des tests psychométriques en entreprise. Toutefois, leur usage est encadré par les principes généraux du Code du travail, notamment ceux relatifs à la non-discrimination, au respect de la vie privée et au consentement éclairé.
Autrement dit : un employeur ne peut imposer un test sans informer le candidat de son objectif, de son traitement et de son impact éventuel. Les résultats doivent rester confidentiels et ne jamais être utilisés comme seul critère d’évaluation ou de sanction.
La CNDP (Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel) recommande d’ailleurs la prudence en matière de collecte de données comportementales, notamment via des plateformes étrangères.
Les limites : validité, objectivité, et fiabilité toujours discutables
Tous les tests ne se valent pas. Beaucoup de versions en ligne sont ni validées scientifiquement, ni adaptées au contexte professionnel. Pire : certains résultats peuvent varier selon l’état émotionnel du candidat ou la manière dont il perçoit les attendus de l’entreprise.
Le rapport 2024 de l’Assessment Standards Institute rappelle que seuls 20 % des tests utilisés dans les entreprises présentent un niveau de fiabilité supérieur à 70 %. Il est donc crucial pour les RH d’exiger des garanties méthodologiques et de travailler avec des éditeurs sérieux ou des psychologues du travail.
Les tests de personnalité ne remplaceront jamais l’intuition humaine ni la richesse d’un entretien bien mené. Mais bien encadrés, contextualisés et croisés avec d’autres indicateurs, ils peuvent enrichir la compréhension fine des comportements au travail – à condition que les RH restent aux commandes de leur usage stratégique.







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