La Feuille de route pour l’emploi 2025 constitue une initiative stratégique ambitieuse visant à réduire le chômage à 9 % d’ici 2030 et à créer 1,45 million de nouveaux emplois. Toutefois, la réalisation de ces objectifs dépend en grande partie de la gouvernance et de la coordination entre les acteurs impliqués dans la mise en œuvre des politiques d’emploi. Le défi majeur réside dans la capacité à aligner efficacement les efforts des ministères, des collectivités territoriales, des partenaires privés et des acteurs sociaux afin de garantir une exécution cohérente et efficiente des initiatives prévues.
L’analyse réalisée par Aomar IBOURK et Tayeb GHAZI de l’OCP Policy Center met en évidence que la gouvernance actuelle du marché du travail marocain souffre de plusieurs dysfonctionnements structurels. La fragmentation des responsabilités institutionnelles entre les différents ministères et les agences publiques génère des chevauchements, un manque de coordination et une dilution des responsabilités. Cette situation ralentit la mise en œuvre des politiques et limite l’efficacité des programmes destinés à améliorer l’employabilité des jeunes, à soutenir les TPME et à promouvoir l’inclusion des femmes sur le marché du travail.
De plus, les disparités territoriales créent des écarts significatifs entre les régions en matière de dynamisme économique, d’infrastructures et d’accès aux opportunités d’emploi. Alors que les pôles urbains concentrent la majorité des investissements et des emplois formels, les zones rurales restent marquées par une faible attractivité économique et une dépendance excessive à l’agriculture. Ces déséquilibres exigent une décentralisation efficace des politiques d’emploi, appuyée par un ancrage territorial fort et une capacité accrue des Centres régionaux d’investissement (CRI) à piloter les initiatives locales.
Enfin, le manque de mécanismes de suivi et d’évaluation rigoureux constitue une faiblesse majeure dans l’implémentation des politiques publiques. L’absence d’un système intégré d’information sur l’emploi limite la capacité des décideurs à ajuster les politiques en fonction des résultats obtenus et à allouer efficacement les ressources budgétaires. Cette situation nécessite la mise en place de systèmes de suivi et d’évaluation performants pour mesurer l’impact des politiques et garantir la transparence des résultats.
Les mécanismes de pilotage : vers une architecture de gouvernance intégrée
La Feuille de route pour l’emploi 2025 prévoit la mise en place d’une gouvernance structurée pour assurer une coordination optimale des actions. Cette architecture repose sur plusieurs mécanismes de pilotage visant à rationaliser les processus décisionnels et à aligner les efforts des différents acteurs impliqués.
- Un comité interministériel pour une coordination stratégique : au sommet de cette architecture se trouve un comité interministériel de l’emploi, présidé par le chef du gouvernement. Ce comité est chargé de définir les orientations stratégiques, de valider les grandes lignes des politiques d’emploi et d’assurer une cohérence globale entre les différentes initiatives sectorielles. Le rôle de ce comité est essentiel pour garantir une vision intégrée des politiques d’emploi et éviter les incohérences institutionnelles.
- Un comité de suivi pour assurer l’exécution opérationnelle : le suivi et la mise en œuvre des politiques sont confiés à un comité de suivi et de pilotage, composé des représentants des ministères concernés, de l’ANAPEC, des CRI et des partenaires privés. Ce comité a pour mission de coordonner les actions sur le terrain, de veiller au respect des délais et des objectifs, et d’identifier les obstacles à la mise en œuvre des politiques. Il s’appuie sur des indicateurs de performance précis pour mesurer l’impact des actions entreprises et ajuster les stratégies en fonction des résultats obtenus.
- Un système d’information intégré pour le suivi des politiques publiques : la Feuille de route pour l’emploi prévoit également la création d’un système d’information intégré pour centraliser les données relatives au marché du travail, aux bénéficiaires des programmes et aux performances des dispositifs d’insertion. Ce système permettra de garantir une transparence accrue et d’améliorer l’allocation des ressources publiques en fonction des besoins réels du marché du travail. La collecte et l’analyse de données fiables offriront également une meilleure visibilité des résultats et faciliteront l’ajustement des politiques en temps réel.
- Le rôle stratégique des CRI pour un ancrage territorial fort : les Centres régionaux d’investissement (CRI) jouent un rôle central dans la déclinaison territoriale des politiques d’emploi. Ils sont chargés de mettre en œuvre les initiatives locales, d’accompagner les TPME et d’assurer la liaison avec les entreprises pour favoriser la création d’emplois au niveau régional. Toutefois, pour maximiser leur impact, les CRI doivent disposer de ressources financières et humaines suffisantes et bénéficier d’une autonomie accrue pour adapter les politiques aux spécificités locales.
- Un partenariat public-privé pour renforcer l’employabilité : le partenariat public-privé constitue un pilier essentiel pour garantir la création d’emplois durables. La Feuille de route pour l’emploi prévoit des incitations fiscales et des mécanismes de financement pour encourager l’implication des entreprises dans la formation et l’insertion des jeunes. La collaboration entre les acteurs publics et privés permet également de mieux aligner les compétences des jeunes avec les besoins du marché et d’encourager l’innovation dans les dispositifs d’accompagnement.
Perspectives et recommandations : vers une coordination plus efficace des acteurs
Pour garantir le succès de la Feuille de route pour l’emploi 2025, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour renforcer la coordination entre les acteurs publics et privés et assurer une meilleure adéquation entre les politiques d’emploi et les réalités du marché du travail.
- Améliorer la coordination entre les acteurs publics et privés : la réussite de la Feuille de route repose sur une collaboration étroite entre les ministères, les collectivités territoriales, les CRI et les partenaires privés. Il est essentiel de clarifier les rôles et responsabilités de chaque acteur pour éviter les chevauchements et les redondances. La mise en place de mécanismes de concertation réguliers entre les différentes parties prenantes permettra d’assurer une meilleure synchronisation des actions et de garantir une allocation optimale des ressources.
- Renforcer les capacités des CRI pour une meilleure adaptation locale : les Centres régionaux d’investissement (CRI) jouent un rôle stratégique dans la déclinaison locale des politiques d’emploi. Pour maximiser leur impact, il est crucial de renforcer leurs capacités institutionnelles et de leur accorder une autonomie accrue dans la gestion des initiatives régionales. Les CRI doivent également bénéficier de formations spécifiques pour améliorer leur capacité à analyser les besoins locaux et à concevoir des programmes adaptés aux réalités territoriales.
- Développer un système d’évaluation dynamique pour ajuster les politiques : un système de suivi et d’évaluation performant est indispensable pour mesurer l’impact des politiques d’emploi et ajuster les stratégies en fonction des résultats obtenus. La mise en place d’un cadre d’évaluation dynamique, basé sur des indicateurs de performance pertinents, permettra de suivre l’évolution des initiatives et d’identifier rapidement les obstacles à leur mise en œuvre. Cette approche garantira une meilleure efficacité des politiques publiques et contribuera à l’atteinte des objectifs fixés.
- Accélérer la digitalisation pour améliorer la transparence : la digitalisation des processus de gestion des politiques d’emploi permettra de simplifier les démarches administratives, d’améliorer la traçabilité des actions et de garantir une plus grande transparence dans l’allocation des ressources. Un système d’information intégré assurera également une meilleure coordination entre les acteurs et offrira une visibilité accrue sur les performances des programmes.
- Encourager l’implication des entreprises pour renforcer l’employabilité : les entreprises jouent un rôle déterminant dans la réussite de la Feuille de route. Il est essentiel d’encourager leur participation active en leur offrant des incitations fiscales et des mécanismes de soutien pour faciliter la formation et l’insertion des jeunes. Le développement de programmes de mentorat, de stages et d’alternance permettra de mieux préparer les jeunes aux exigences du marché du travail et d’améliorer leur employabilité.
Vers une gouvernance plus agile pour un marché du travail inclusif et dynamique
La Feuille de route pour l’emploi 2025 offre une opportunité unique pour moderniser la gouvernance du marché du travail marocain et garantir une meilleure adéquation entre les politiques publiques et les besoins réels de l’économie. Cependant, la réussite de cette initiative repose sur une coordination efficace des acteurs, un système de suivi rigoureux et un ancrage territorial fort pour garantir l’adaptabilité des politiques aux spécificités locales.
En optimisant les mécanismes de pilotage, en renforçant les capacités des CRI et en développant un système d’information intégré, le Maroc peut relever les défis de l’emploi et créer les conditions d’une croissance inclusive et durable. L’engagement des acteurs publics et privés dans cette dynamique de transformation est essentiel pour garantir la réussite de cette ambition nationale.