Avez-vous déjà pensé que le travail en présentiel ou en distanciel pouvait affecter la valeur des salaires ? Dans certains secteurs, comme la tech, la com’ et la création, le travail à distance qui, avant, était le privilège de quelques uns, commence de plus en plus à devenir une sorte de norme. La pandémie de Covid-19, cette catastrophe, a finalement été la source d’une merveilleuse conclusion, une idée toute simple et pourtant puissante, limite révolutionnaire : le télétravail est possible, et il ne menace aucunement les performances, du moins dans certains secteurs –rappelons-le. Ce constat est, pour résumer, devenu indéniable (même s’il l’était avant, mais la preuve par le chamboulement des pratiques était nécessaire). Même avec la pire mauvaise foi du monde, aujourd’hui aucun manager, dans ces secteurs, ne peut plus imposer le travail en présentiel, sous prétexte d’une quelconque nécessité de rendement ou d’un quelconque autre besoin réel, autre que remplir les bureaux, pour faire joli et pro, car on est payé pour…
Les locaux se vident donc des salariés dont la présence n’est pas nécessaire !
Et quasiment rien ne peut les retenir. Enfin… ça, c’était avant. Si la pandémie de Covid a inspiré au monde du travail l’existence d’une réalité, les entreprises de la Silicon Valley viennent de trouver –osons le terme !- une parade. La voici : les salaires se verront diminués (on parle de 10%, c’est-à-dire à peu près un mois de salaire par an) pour tout salarié qui souhaite (et qui peut) travailler en pur distanciel au lieu du présentiel. Cela semble quelque peu laid, n’est-ce pas ? Pas très respectueux de l’aspect contractuel non plus, non ? Enfin, sauf si la présence dans les locaux était une disposition contractuelle également. Bref, dans tous les cas, on dirait un coup bas.
Voyons voir ce que ces monstres (de la tech) ont trouvé pour légitimer pareil protocole :
Quels beaux mots mielleux, quel sophisme, ont-ils donc trouvé pour dorer cette pilule ? Car… ils ne peuvent pas dire ça comme ça. Ils ne peuvent pas prendre le risque de sembler à ce point… comment dire ?… Oui, voilà : ils ne peuvent pas prendre le risque de sembler à ce point mesquins. Que peuvent-ils utiliser ? Rien ne vient à l’esprit, à part la tyrannie !
Mais ils sont intelligents…
Selon le site de la BBC, deux points sont utilisés : le premier est que les salaires sont définis sur la base du coût de la vie dans les régions où se trouvent les locaux et que ceux qui préfèrent travailler à distance quittent ces régions, et peut-être même le pays, pour travailler depuis très loin, là où c’est beaucoup moins cher de vivre. Etrange conclusion ! Qui leur dit que le coût de la vie n’est pas plus élevé là où nous nous sommes rendus ? Qui leur dit qu’on a même quitté la région ? Ont-ils engagé des détectives ? Est-ce même légal de se baser sur ce genre de conclusions ? Est-on obligé d’informer son employeur du lieu exact où nous résidons ? Est-ce interdit de mettre une boite postale comme adresse ? Que dirait un juge de tout ça ?!
Passons…
Le deuxième point est peut-être plus encore tiré par les cheveux, il vaut le détour et il est sous forme de question, une question loufoque : est-il équitable, Messieurs-Dames, de payer autant un salarié sur place et un salarié qui vit dans une autre région ou un autre pays ? Cela ressemble au premier point ? Non, pas vraiment. Car dans cette question il y a un autre intervenant : le salarié sur place. Ce dernier pourrait, semble-t-il, se sentir lésé. Et même quitter son emploi. Car il y a des gens, d’autres personnes, qui font le même métier, gagnent autant, tout en travaillant depuis ailleurs. Nous entrons dans le domaine du psychologique, peut-être même du paranormal. Ces entreprises veulent faire croire qu’elles courent un risque de perdre des salariés qui ont choisi de leur propre chef le présentiel ou le travail hybride (sur site ET à distance). Et qu’à cause de cet immense risque, elles se sentent obligés de diminuer les salaires de ceux qui optent pour le distanciel au lieu du présentiel.
Et ce ne sont pas des blagues !
L’extrême majorité des plus grandes entreprises américaines de la tech, dont Amazon, Alphabet, Meta, Apple et Microsoft ont déjà annoncé fin août de l’année dernière que les salaires de leurs employés qui avaient quitté la baie de San Francisco seraient revus à la baisse.
Le site de la BBC tire, honorablement, une conclusion : « La décision des grosses entreprises de la tech d’indexer les salaires au lieu de travail montre que, pour elles, le travail hybride [en partie sur site et en partie en télétravail] est la priorité et qu’elles sont prêtes à avantager ceux qui font ce choix ».
Nous en tirons une autre : c’est un coup bas, pur et simple ! Et rien ne saurait dorer cette pilule. Car, travail hybride ou en distanciel pur, quelle réelle différence pour les performances de l’entreprise, si elles ne risquent rien même côté recrutement ? Si l’un a fait le choix de partir, l’autre a fait le choix de rester, tout en étant libre de partir travailler ailleurs s’il le voulait. Et d’ailleurs pourquoi démissionnerait-il ? Pour quitter l’onéreuse Baie ? Qu’il la quitte dès maintenant s’il le souhaite, non ?
Les entreprises ne font ça que pour remplir leurs locaux (pour les visiteurs et la plus grande fierté des patrons) ou avoir des ristournes en matière de salaire. C’est évident. Et ça semble marcher : certains, selon la BBC, ont préféré revenir aux locaux, pour garder leurs salaires intacts. Potentiel signe, d’ailleurs, que le coût de la vie n’était pas en cause. Ils voulaient juste, entre autres… de la liberté ! Et prendre l’air. Allier efficacité au travail et bonheur de tous les jours, en somme.
On peut, certes, avant signature du contrat, proposer deux salaires, ou même trois : un pour le présentiel, un pour l’hybride, et un autre pour le distanciel. On peut même imposer le présentiel si on ne souhaite que ça, on peut imposer le respect des clauses initiales du contrat. Assumer ! Mais revenir sur un salaire convenu… en opposant des arguments sans fondement, pour paraître « équitable »… C’est cela qui n’est pas équitable !