En 2026, les centres d’appels au Maroc perdront l’accès à leur principale source de revenus : la prospection commerciale en direction des consommateurs français. Une loi votée à Paris en mai 2025 interdit formellement tout démarchage téléphonique sans consentement explicite, bouleversant l’équilibre d’un secteur qui emploie près de 130 000 personnes au Maroc.
Le marché français représente historiquement plus de 80 % de l’activité offshore des centres de contacts marocains, selon l’Association Marocaine de la Relation Client (AMRC). Pour de nombreux sous-traitants, le téléphone sortant représente encore l’essentiel de leur chiffre d’affaires. Or, cette pratique sera bientôt considérée comme illégale si elle n’est pas précédée d’un accord clair du consommateur. C’est une rupture brutale qui fragilise tout un pan de l’économie de services marocains, très dépendant d’un modèle en voie de disparition.
Les structures les plus vulnérables sont celles spécialisées dans la téléprospection à froid, souvent de petite taille et dépendantes d’un seul donneur d’ordre. Pour elles, la perte de contrat signifie bien souvent l’arrêt d’activité. Les premiers signes sont déjà visibles : certaines plateformes préparent discrètement des plans sociaux, quand d’autres tentent déjà de se repositionner en urgence sur des activités entrantes ou de back-office.
Pour l’ensemble du secteur, l’heure est à la refondation. Le relais de croissance passera par la relation client multicanale, le support technique, la gestion des réseaux sociaux ou encore l’externalisation de processus administratifs. Cette évolution est d’autant plus urgente que les donneurs d’ordre, eux, ont déjà pris le virage de la digitalisation. D’après le baromètre 2024 de BearingPoint, 67 % des entreprises européennes ayant recours à l’offshoring prévoient de réduire la part de l’appel sortant au profit de canaux numériques ou automatisés.
Cette transition impose également une accélération des politiques de formation. Le Code du travail marocain prévoit déjà la possibilité de mettre en place des plans de formation continue, notamment dans le cadre d’une reconversion sectorielle. Encore faut-il que les entreprises s’en saisissent de manière coordonnée, avec l’appui des pouvoirs publics et des organismes de formation professionnelle. Car derrière les chiffres, ce sont des milliers de postes qui devront évoluer rapidement vers de nouvelles compétences : résolution de tickets complexes, gestion clientèle omnicanale, qualité de service augmentée par l’IA.
Plusieurs acteurs ont d’ailleurs déjà commencé à structurer cette montée en gamme. Webhelp Maroc, l’un des poids lourds du secteur, a investi dans la formation de ses agents sur des compétences transverses et des outils d’IA générative. D’autres groupes comme Intelcia ou Majorel explorent des modèles hybrides entre relation client et analyse de données, avec une orientation B2B accrue.
Mais cette dynamique n’est pas homogène. Une grande partie des centres opère encore dans une logique court-termiste, sans vision claire de transformation. Cela pose une question centrale pour les stratèges RH : comment accompagner la réorientation de toute une filière d’emploi, en évitant un choc social majeur ?
Le secteur des centres d’appels est en effet un employeur de masse, présent dans toutes les régions du Royaume, et souvent porteur d’opportunités pour les jeunes peu diplômés ou en reconversion. Si cette base se fragilise, c’est toute une chaîne de valeur qui est menacée, de la formation initiale à l’ancrage territorial.
L’annonce de l’interdiction française agit donc comme un signal d’alarme. Elle oblige les décideurs RH à anticiper, à construire des partenariats plus structurants avec les écosystèmes éducatifs et à revaloriser les parcours internes. Car derrière cette remise en question d’un modèle ancien, se cache aussi une opportunité : celle de repenser en profondeur l’offre de service des centres d’appels marocains, au service d’une relation client plus stratégique, plus compétente, et plus résiliente.