Longtemps perçu comme un simple choix architectural ou une option économique, l’aménagement des espaces de travail s’impose désormais comme un levier stratégique au service de la performance collective. Parmi les transformations les plus discutées figure le décloisonnement des espaces : un agencement pensé pour faire tomber les murs — au sens propre comme au figuré — afin de favoriser les échanges, renforcer la collaboration et nourrir la dynamique de groupe.
Dans les entreprises marocaines, ce sujet prend une dimension particulière, tant il s’inscrit dans une volonté de modernisation des pratiques managériales. À l’heure où l’on prône agilité, transversalité et intelligence collective, l’espace physique devient un prolongement des valeurs que l’organisation souhaite incarner. Mais cette approche est-elle réellement efficace ? Le décloisonnement spatial peut-il, à lui seul, renforcer la cohésion des équipes ?
Une intention louable… mais pas suffisante
L’idée est séduisante : en supprimant les bureaux fermés et en favorisant les environnements ouverts, on espère casser les silos, encourager les interactions informelles et stimuler la coopération. Dans les faits, l’absence de barrières physiques permet effectivement une plus grande visibilité entre collègues, des échanges spontanés et une forme de disponibilité constante.
Pour certaines entreprises marocaines, notamment dans les secteurs technologiques, créatifs ou en croissance rapide, ces espaces décloisonnés traduisent un état d’esprit : horizontalité, accessibilité des managers, culture du feedback. Ils incarnent une modernité organisationnelle qui attire les jeunes talents et facilite le travail d’équipe.
Mais il serait naïf de croire que l’open-space ou tout autre forme de décloisonnement des espaces suffit à créer de la cohésion. L’espace ne produit pas, à lui seul, de la confiance, de l’entraide ou de la collaboration. Ces qualités relèvent d’abord d’une culture d’entreprise et de pratiques managériales structurées. Un bureau sans murs peut favoriser l’interaction, mais il ne remplace pas la qualité du lien humain.
Les effets ambigus de la proximité
Si le décloisonnement des espaces favorise certains types d’échanges, il peut en freiner d’autres. Dans un environnement sans séparation, la communication informelle devient omniprésente… parfois au détriment de la concentration. Le bruit, l’interruption constante, le manque d’intimité sont souvent cités comme des freins à la qualité du travail. La promiscuité n’est pas toujours synonyme de collaboration ; elle peut aussi générer du stress, de la fatigue cognitive et des tensions interpersonnelles.
Il n’est pas rare, d’ailleurs, que dans certains open-spaces, les salariés adoptent des stratégies d’isolement pour se préserver : écouteurs vissés sur les oreilles, conversations déplacées dans des bulles ou des espaces plus fermés, recours massif au télétravail pour retrouver du calme. L’espace ouvert peut alors produire l’effet inverse de celui recherché : la désocialisation dans un environnement… socialement saturé.
Vers des espaces hybrides et intentionnels
Plutôt que d’opposer espaces ouverts et fermés, une piste plus pertinente serait celle de la complémentarité. Aujourd’hui, les entreprises les plus innovantes optent pour des aménagements modulables, capables d’accueillir différents modes de travail : des zones de concentration, des espaces de réunion informelle, des coins silencieux, et des lieux propices à la convivialité. Cette flexibilité spatiale permet à chacun de choisir l’environnement adapté à sa tâche, à son humeur ou à son rythme.
Au Maroc, certaines structures commencent à expérimenter ce type d’agencement, notamment dans les incubateurs, les start-up ou les sièges de grandes entreprises en transformation. Ce modèle d’organisation spatiale, plus respectueux des besoins individuels et collectifs, favorise une cohésion plus authentique : elle ne repose plus seulement sur la proximité physique, mais sur la qualité des interactions, la clarté des rôles, et la reconnaissance des singularités.
Penser l’espace comme un outil au service du collectif
Le décloisonnement, bien utilisé, peut être un formidable outil de cohésion, à condition de ne pas en faire une fin en soi. Il doit s’accompagner d’une réflexion plus large sur le sens du travail en équipe, la valorisation des contributions individuelles et la gestion des tensions. L’espace peut faciliter la coopération, mais ne remplace ni le management ni la culture.
Les entreprises marocaines, confrontées à des défis croissants en matière d’engagement, de rétention des talents ou de performance collaborative, gagneraient à penser l’agencement de leurs bureaux comme un pilier de leur stratégie RH. L’objectif n’est pas de supprimer les murs, mais de créer des environnements où chacun peut trouver sa place, s’exprimer librement et contribuer pleinement à l’intelligence collective.