Le cabinet d’études Gallup vient de publier son dernier rapport annuel « State of the Global Workplace 2025 », une enquête mondiale qui prend le pouls des employés dans plus de 100 pays. Ce rapport très attendu par les professionnels des ressources humaines fournit un éclairage précieux sur l’engagement au travail, le bien-être des salariés et leurs perceptions du marché de l’emploi. Si l’étude dresse un tableau global de la situation des travailleurs à travers le monde, nous nous intéresserons ici exclusivement aux enseignements concernant le Maroc. En effet, les chiffres marocains mis en avant par Gallup méritent une attention particulière de la part des directeurs des ressources humaines (DRH) du Royaume.
La tendance globale n’est guère reluisante. Gallup souligne qu’en 2024, l’engagement et le bien-être des employés ont légèrement fléchi à l’échelle mondiale, après plusieurs années de progression. Partout, les entreprises doivent composer avec les séquelles de la pandémie – essor du télétravail, quête de sens accrue chez les salariés – ainsi qu’un climat économique incertain marqué par l’inflation. Dans cette conjoncture, seule une minorité de salariés à l’échelle internationale se déclare pleinement « engagée » dans son travail, et le bien-être général des employés a tendance à plafonner. La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) affiche notamment des niveaux d’engagement historiquement parmi les plus faibles du monde. Le Maroc ne fait pas exception à cette tendance, avec des résultats qui, sans être les plus mauvais de la région, soulignent des défis persistants en matière de motivation et de satisfaction au travail.
Le Maroc se distingue ainsi par plusieurs indicateurs clés dans le rapport Gallup. L’étude mesure notamment la part des employés engagés dans leur travail, leur évaluation de vie (le pourcentage de personnes qui s’estiment « épanouies » dans leur vie globale), ainsi que la fréquence d’émotions quotidiennes comme le stress, la colère, la tristesse ou la solitude.

Le rapport aborde également la perception du climat de l’emploi (c’est-à-dire l’optimisme quant aux opportunités d’emploi) et l’intention de quitter son poste. Pour les DRH marocains, ces données font office de véritable baromètre du climat social dans l’entreprise et mettent en lumière les chantiers prioritaires pour améliorer la situation. Dans les sections qui suivent, nous passerons en revue ces chiffres marquants pour le Maroc et analyserons leurs implications.
Engagement et bien-être : un constat mitigé au Maroc
La dernière enquête Gallup révèle qu’au Maroc, seulement 17% des employés se disent engagés dans leur travail. Ce taux, qui place le pays au 7ème rang sur 18 en zone MENA, signifie en creux que la grande majorité des salariés marocains – plus de huit sur dix – ne se sentent pas pleinement investis dans leur mission professionnelle. En d’autres termes, plus de 80% des employés ne sont pas engagés, dont une partie sans doute démotivée voire découragée. Dans le même temps, à peine 16% des employés marocains considèrent mener une vie épanouie (“thriving” selon la terminologie Gallup), un résultat très faible qui classe le Maroc 14ème sur 18 pays de la région. Autrement dit, plus de huit employés sur dix ne se considèrent pas épanouis dans leur vie globale – un indicateur préoccupant qui dépasse la seule sphère professionnelle.

Les émotions négatives au quotidien sont également très présentes dans la main-d’œuvre du pays. Près d’un salarié marocain sur deux déclare éprouver du stress chaque jour (49%, 6ème rang régional). De plus, des proportions importantes font état de colère (39%, 4ème rang), de tristesse (30%, 7ème rang) et de solitude (31%, 2ème rang) ressenties quotidiennement en lien avec le travail. Le fait que le Maroc affiche le 2e taux le plus élevé de sentiment de solitude dans la région est particulièrement interpellant : cela suggère un manque de lien ou de soutien social pour de nombreux employés. Par ailleurs, même si la fréquence de la colère demeure inférieure à celle relevée dans certains pays voisins en grave crise, ce 39% reste un niveau très élevé pour le Maroc et traduit une frustration latente d’une partie du personnel.
Pris ensemble, ces indicateurs dressent un tableau préoccupant du bien-être au travail dans le Royaume. Un niveau d’engagement aussi bas, combiné à une prédominance de stress et d’émotions négatives, constitue un frein majeur à la fois pour la productivité des entreprises et pour la fidélisation des employés. Lorsque les salariés se sentent stressés, isolés ou en colère de façon chronique, leur motivation et leur implication au travail s’en trouvent inévitablement affectées. En creux, ces chiffres révèlent un certain malaise au sein du monde professionnel marocain. Malgré la résilience dont les organisations ont fait preuve ces dernières années face aux crises, le bien-être psychologique des employés demeure un point faible. Pour les DRH, le défi est désormais de réengager les troupes en redonnant aux collaborateurs le goût de s’impliquer, tout en améliorant le climat de travail pour faire reculer le stress et la solitude. Engagement et bien-être allant de pair, s’attaquer à ces problèmes est devenu indispensable pour la performance durable des organisations au Maroc.
Climat de l’emploi et mobilité : des salariés tentés par le changement
Sur le plan du climat de l’emploi, l’étude Gallup indique que seulement 30% des employés marocains jugent que c’est actuellement une bonne période pour trouver un emploi. Autrement dit, près de sept salariés sur dix sont sceptiques quant aux opportunités professionnelles offertes sur le marché du travail. Ce relatif pessimisme quant au contexte économique et aux débouchés locaux place le Maroc au 10ème rang sur 18 pays de la région MENA. Il traduit vraisemblablement les difficultés du marché de l’emploi national, marqué par un chômage persistant et une compétition accrue pour les postes de qualité. Dans un tel climat, on pourrait s’attendre à ce que les salariés privilégient la stabilité de leur emploi actuel par prudence.

Or, paradoxalement, la mobilité professionnelle potentielle des Marocains est très élevée. Selon le rapport, 60% des employés au Maroc déclarent être activement à la recherche d’un nouvel emploi ou ouverts aux offres externes. Ce taux, l’un des plus élevés de la région (2ème sur 18 pays MENA), signifie que plus d’un salarié marocain sur deux envisage de quitter son poste actuel si l’opportunité se présente. Seuls les employés d’un pays du Golfe devancent les Marocains sur cet indicateur, ce qui souligne l’ampleur du phénomène au Maroc. Autrement dit, malgré une confiance mitigée dans le marché de l’emploi, une majorité de travailleurs se tient prête à changer d’employeur – signe d’une insatisfaction suffisamment forte pour surmonter les incertitudes.
Cette situation révèle un fossé préoccupant entre, d’une part, la perception modérée des opportunités d’emploi et, d’autre part, l’envie de départ massif des employés. Les Marocains semblent aspirer à de meilleures conditions ou perspectives, même s’ils ne sont pas convaincus de les trouver facilement sur le marché. Ce désir de changement est particulièrement marqué chez les jeunes actifs, souvent désireux d’évoluer plus rapidement ou de relever de nouveaux défis professionnels. Pour les employeurs et les DRH, l’enjeu de fidélisation du personnel n’a jamais été aussi critique : un tel niveau d’intentions de départ annonce un risque élevé de turn-over et de fuite des talents. Ce constat fait écho aux indicateurs d’engagement et de bien-être évoqués plus haut – un salarié désengagé ou stressé aura naturellement tendance à chercher ailleurs une satisfaction qu’il ne trouve pas dans son poste actuel. Il est donc impératif pour les organisations d’identifier les causes de ce mal-être – qu’il s’agisse de conditions de travail, d’un management inadéquat ou de perspectives de carrière limitées – et d’y remédier sans tarder, sous peine de voir leurs meilleurs éléments partir vers la concurrence ou l’étranger.

Quatre leviers d’action pour renforcer l’engagement et le bien-être
Face aux constats alarmants du rapport Gallup, les directions des ressources humaines au Maroc disposent de marges de manœuvre concrètes pour inverser la tendance. Quatre leviers apparaissent aujourd’hui comme prioritaires pour améliorer durablement l’engagement des collaborateurs, renforcer leur bien-être et limiter le turnover.
1. Cultiver l’engagement au quotidien
Redonner du sens au travail constitue un socle essentiel. Cela implique de communiquer clairement sur la vision et les objectifs de l’entreprise, tout en valorisant la contribution de chaque collaborateur. L’implication active des équipes dans les décisions qui les concernent, la reconnaissance régulière des efforts fournis, ainsi que des objectifs clairs et atteignables, permettent de renforcer le sentiment d’appartenance. Pour soutenir cette dynamique, il est indispensable de développer les compétences managériales de proximité, notamment autour d’un leadership participatif capable de motiver, d’écouter et de fédérer au quotidien.
2. Mettre le bien-être au cœur de la stratégie RH
La lutte contre le stress chronique, la solitude professionnelle ou les émotions négatives passe par une approche proactive du bien-être. Cela suppose de promouvoir un équilibre sain entre vie personnelle et vie professionnelle, via des mesures telles que la flexibilité des horaires, la possibilité de télétravailler selon les métiers, ou encore l’aménagement de temps de récupération. Des dispositifs de soutien psychologique, des ateliers de gestion du stress ou des activités favorisant la cohésion d’équipe peuvent aussi jouer un rôle clé. Créer un environnement de travail bienveillant, basé sur l’écoute et l’inclusion, contribue à atténuer les tensions internes et à renforcer la motivation.
3. Offrir des perspectives d’évolution et des signes tangibles de reconnaissance
Pour freiner les velléités de départ exprimées par une large majorité de salariés, les entreprises doivent investir dans le développement des carrières. Cela suppose de clarifier les trajectoires professionnelles possibles, de proposer des formations adaptées et de valoriser la mobilité interne. Une politique de reconnaissance élargie, qui ne se limite pas à la rémunération ou aux promotions, peut renforcer l’engagement : mise en lumière de réussites, encouragements publics, valorisation des comportements collaboratifs… autant d’initiatives qui renforcent le lien entre les collaborateurs et leur entreprise.
4. Fédérer autour d’une culture d’entreprise positive et authentique
Les valeurs portées par l’organisation jouent un rôle central dans la construction d’un sentiment d’appartenance. Lorsque le respect, la confiance, la collaboration et l’écoute sont incarnés par le top management et intégrés aux pratiques quotidiennes, ils deviennent des piliers d’engagement. Favoriser un dialogue social ouvert, encourager la remontée d’informations du terrain et prendre en compte les retours des équipes contribuent à restaurer un climat de confiance. Dans cette dynamique, les collaborateurs se sentent considérés, écoutés et encouragés à s’impliquer pleinement.
En s’appuyant sur ces leviers, les entreprises marocaines peuvent construire un cadre plus propice à l’engagement durable. Il en résultera non seulement une plus grande fidélité des talents, mais aussi une meilleure performance collective. C’est en plaçant l’humain au cœur des priorités que les organisations gagneront en résilience et en attractivité dans un marché du travail de plus en plus concurrentiel.
Pour consulter le rapport complet de Gallup 2025 : State of the Global Workplace 2025