La conclusion principale du rapport de l’IRES est sans appel : la place des femmes dans l’économie marocaine recule, et ce de manière structurelle. Le taux d’activité des femmes a chuté de 28,1 % en 2000 à seulement 19,8 % en 2022, soit une baisse de plus de 40 % en deux décennies. À titre de comparaison, celui des hommes reste stable autour de 70 %. Cette évolution place aujourd’hui plus de huit femmes sur dix en âge de travailler hors du marché du travail.
Ce retrait ne s’explique ni par un manque de compétences ni par un déficit de formation. Au contraire : la scolarisation des filles est aujourd’hui généralisée, et leurs résultats scolaires sont excellents, y compris dans les filières scientifiques. Pourtant, une fois diplômées, elles rencontrent des obstacles considérables à leur insertion professionnelle. Le taux de chômage des femmes est de 17,2 %, contre 10,3 % pour les hommes. Et la situation est encore plus critique chez les jeunes : les femmes représentent près de 73 % des 15-24 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET).
Le rapport met également en lumière un écart salarial de 43 % dans le secteur privé. Et si l’entrepreneuriat semble être une voie alternative, il reste largement sous-exploité : seules 22 % des entreprises sont portées par des femmes, dont la moitié par nécessité, souvent dans l’informel. En somme, l’économie marocaine se prive d’un réservoir massif de compétences – une situation qui interpelle directement les directions RH, à la recherche de profils qualifiés dans un marché tendu.
Trois blocages systémiques à la participation des femmes que les DRH ne peuvent plus ignorer
Le rapport de l’IRES identifie cinq “nœuds du futur” expliquant la marginalisation persistante des femmes sur le marché du travail. Trois concernent directement l’entreprise et ses pratiques.
Le premier est celui d’un marché de l’emploi inadapté aux réalités féminines. De nombreux postes offerts aux femmes sont peu qualifiés, précaires et assortis de conditions de travail difficiles. Le rapport souligne que dans de nombreux cas, les faibles rémunérations ne permettent même pas de couvrir les frais induits par l’emploi (garde d’enfant, transport, restauration). Résultat : de nombreuses femmes font le calcul rationnel de rester en dehors du marché. Pour les DRH, cela signifie que les politiques de rémunération et de conditions de travail ne sont pas assez attractives pour mobiliser et fidéliser les talents féminins.
Le deuxième nœud est celui de la charge domestique non partagée. Le modèle familial a évolué vers la cellule nucléaire, mais les rôles parentaux sont restés inégalitaires. Les femmes marocaines consacrent en moyenne sept fois plus de temps que les hommes aux tâches domestiques. Cette « double journée » provoque des interruptions de carrière fréquentes au moment du mariage ou de la maternité, freinant l’accès aux postes à responsabilité. Pour les employeurs, cela se traduit par une moindre disponibilité des collaboratrices, et donc, dans certains cas, par un ralentissement injustifié de leur évolution professionnelle.
Enfin, le troisième nœud concerne les normes sociales et les biais de genre encore ancrés dans la culture d’entreprise. Le plafond de verre reste une réalité : peu de femmes accèdent aux postes de direction, malgré leur niveau de compétence. Les stéréotypes selon lesquels les femmes seraient moins aptes au leadership persistent dans les processus de recrutement, d’évaluation et de promotion. Ces biais, souvent inconscients, génèrent une perte de motivation et de confiance, et privent les organisations de profils à fort potentiel.
Agir maintenant : des leviers concrets pour réintégrer les talents féminins
Le rapport de l’IRES ne se contente pas de dresser un état des lieux. Il propose une série de recommandations à destination des décideurs publics, mais aussi des entreprises. Les DRH ont un rôle clé à jouer dans la transformation du marché du travail en un espace réellement inclusif.
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Transformer la culture d’entreprise
Il ne s’agit plus de déclarer son engagement pour l’égalité femmes-hommes, mais de l’incarner dans les pratiques RH. Cela commence par la formation des managers et recruteurs à la détection des biais inconscients, souvent responsables des inégalités de traitement. Des programmes de mentorat ciblés peuvent également être mis en place pour accompagner les collaboratrices à haut potentiel vers des fonctions managériales. Le rapport encourage les entreprises à se doter de processus d’évaluation et de promotion fondés exclusivement sur la compétence et la performance.
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Réorganiser le travail pour faciliter la conciliation des temps de vie
Le maintien de la charge domestique sur les femmes ne pourra être corrigé qu’à condition de repenser l’organisation du travail. L’introduction généralisée du télétravail, la flexibilisation des horaires, l’aménagement des congés parentaux (notamment l’allongement du congé de paternité) sont autant de leviers à la disposition des RH pour favoriser un meilleur équilibre des responsabilités. Les entreprises peuvent aussi faciliter la parentalité par la mise en place de crèches internes ou de subventions pour la garde d’enfants.
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Sécuriser et dynamiser les parcours féminins
La carrière des femmes est souvent marquée par des interruptions, des retours difficiles après maternité, ou une moindre mobilité géographique. Pour enrayer cette tendance, le rapport recommande aux entreprises d’adopter une logique d’investissement dans les compétences féminines. Cela passe par la formation continue, en particulier dans les métiers émergents comme le numérique, l’IA ou les technologies vertes, identifiés comme prioritaires par l’IRES.
Autre levier fondamental : l’égalité salariale. Le rapport cite l’exemple de l’Islande, qui impose une certification obligatoire aux entreprises pour prouver l’égalité de rémunération entre les sexes. Les DRH peuvent s’en inspirer en menant des audits internes réguliers et en publiant des indicateurs de parité. L’objectif : faire de l’équité une norme mesurable, et non une simple déclaration d’intention.
La marginalisation des femmes sur le marché du travail marocain n’est plus uniquement un sujet de société. Elle constitue un handicap économique majeur. Le rapport de l’IRES en fait une démonstration rigoureuse : priver l’économie marocaine de la contribution des femmes revient à renoncer à un moteur essentiel de croissance, d’innovation et de compétitivité.
Pour les directions RH, la lecture de ce rapport ne relève pas du militantisme, mais d’une exigence stratégique. Dans un marché de l’emploi de plus en plus concurrentiel, où les compétences rares se font chères, les entreprises qui sauront intégrer pleinement les talents féminins disposeront d’un avantage réel. À l’inverse, celles qui persistent à reproduire des schémas inégalitaires s’exposent à un appauvrissement progressif de leur vivier de compétences.
Le temps n’est plus aux constats. La question n’est pas de savoir s’il faut agir, mais comment agir vite et efficacement. Le Maroc ne pourra atteindre son potentiel que si ses entreprises, grandes et petites, décident de faire de l’inclusion des femmes un levier central de leur politique RH. Le rapport de l’IRES leur en fournit les clés. Encore faut-il s’en emparer.