Portage salarial, freelancing, autoentrepreneuriat, temps partagé, pluriactivité ou encore management de transition… Ces nouvelles formes de travail redessinent progressivement les contours de l’entreprise. Longtemps marginales, elles sont aujourd’hui intégrées aux stratégies RH des grands groupes comme des PME, tant pour des raisons d’agilité que d’expertise. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon une étude de l’OCDE, plus de 20 % de la main-d’œuvre dans certains secteurs stratégiques est désormais non salariée. Un mouvement de fond qui interroge les pratiques managériales traditionnelles, jusqu’alors conçues pour des collectifs stables, hiérarchisés et pérennes.
Un collectif éclaté mais stratégique
Les managers sont désormais confrontés à un collectif éclaté, fait de salariés à temps plein, de consultants externes, de freelances en mission, voire de collaborateurs “à la demande”. Cette configuration hétérogène peut devenir un puissant levier d’innovation… à condition d’être bien encadrée. Car l’enjeu n’est pas seulement logistique ou juridique, il est profondément culturel : comment créer un sentiment d’appartenance chez ceux qui ne dépendent pas directement de l’entreprise ? Comment entretenir la motivation sans les leviers classiques du management (évolution, primes, stabilité) ?
Du contrôle à la coordination
Dans ce contexte, le rôle du manager change de nature. Il ne s’agit plus de contrôler mais de coordonner, d’animer des écosystèmes plutôt que de diriger des équipes figées. Cela suppose une évolution des compétences managériales : écoute, clarté des objectifs, transversalité, gestion des temporalités différentes… autant de soft skills devenues cruciales pour fédérer des collaborateurs aux parcours, rythmes et attentes variés.
Par exemple, un freelance très expérimenté en cybersécurité, recruté pour une mission de trois mois, ne cherchera ni carrière interne ni reconnaissance hiérarchique. Mais il attendra un brief clair, une valorisation de son expertise et une fluidité d’interactions. À l’inverse, un salarié en CDI impliqué dans le projet devra être rassuré sur la cohérence globale de l’équipe et son rôle à moyen terme. Le manager devient donc le trait d’union entre des dynamiques professionnelles très différentes.
Repenser les rituels d’équipe
Travailler avec des profils extérieurs nécessite aussi d’inventer de nouveaux rituels : onboarding adapté, feedbacks en temps réel, communication ouverte et outils collaboratifs accessibles à tous. Le digital joue un rôle clé dans cette transformation, en assurant la continuité des échanges malgré la dispersion géographique ou statutaire. Il ne suffit plus d’avoir une réunion hebdomadaire : il faut créer du lien, donner du sens et maintenir un cap partagé, même sans lien de subordination.
Certaines entreprises vont plus loin en instaurant une « culture de projet » accessible à tous, salariés ou non. Cela passe par une charte de collaboration, une plateforme d’information commune ou encore des instances de co-décision temporaires. Ces pratiques permettent de maintenir l’engagement, tout en respectant l’autonomie recherchée par les profils non salariés.
Engagement sans fidélité : un nouvel équilibre
Le vrai défi reste la création d’un engagement sans fidélité contractuelle. Là où les salariés acceptaient autrefois une loyauté à long terme en échange d’un cadre stable, les indépendants n’ont ni la même temporalité, ni les mêmes attentes. L’engagement devient alors plus circonstanciel, centré sur l’intérêt du projet, la qualité des interactions et la reconnaissance de leur expertise.
Pour les managers, cela implique de sortir d’une logique purement statutaire : ce n’est pas le contrat qui fait l’implication, mais la capacité à construire un lien professionnel basé sur la confiance, la transparence et l’utilité. L’enjeu est de donner envie de collaborer — et de recommencer, si possible.
Vers une organisation plus flexible
Ces évolutions signalent aussi la fin de l’entreprise comme entité fermée. De plus en plus, l’entreprise devient une plateforme, un nœud d’interactions entre salariés, indépendants, partenaires et clients. Le management doit accompagner cette porosité, tout en garantissant la cohérence du projet collectif. Cela suppose de mieux cartographier les expertises, de fluidifier les processus d’intégration, et d’adopter un leadership plus horizontal.