Les responsables RH marocains observent, depuis quelques années, l’émergence de la génération Z, nés après 1995. Souvent désignés comme des « zappeurs », ces jeunes sont peu attachés aux contrats longs et préfèrent multiplier les expériences. En tant que digital natives, ils bouleversent les pratiques managériales et redéfinissent la fidélité à l’entreprise. Les études internationales, notamment en France et au Royaume-Uni, montrent que la majorité de ces talents se tournent vers un cumul d’activités. Ils refusent de se lier à une seule organisation. Cette tendance se fait également sentir au Maroc, particulièrement dans les secteurs liés au numérique. Là, la demande de flexibilité et d’autonomie ne cesse de croître. Cependant, ce comportement, qualifié de « zapping », va bien au-delà d’un simple manque de loyauté. Il traduit une quête de sens, de reconnaissance et de nouvelles formes de collaboration.
Vers une nouvelle forme de fidélité
La génération Z, souvent appelée « slashers », désire cumuler plusieurs projets ou emplois. Au départ, ce terme était perçu négativement, associé à un manque d’engagement. Aujourd’hui, il reflète une réalité plus complexe. En raison de l’évolution rapide de l’environnement (augmentation du chômage, apparition de nouveaux métiers, contrats à durée déterminée plus fréquents), ces jeunes diversifient leurs compétences. Ils cherchent avant tout à varier leurs missions et à équilibrer leur vie personnelle et professionnelle. Au Maroc, la création d’opportunités se heurte encore à des rigidités administratives et culturelles. Cette « culture du mouvement » témoigne aussi d’un désir de trouver un environnement stimulant. Plutôt que de se spécialiser dans un domaine unique, la génération Z préfère explorer, se former et développer sa polyvalence. Ainsi, la fidélité qu’elle entretient avec une entreprise n’est plus automatique, elle devient un choix, souvent conditionné par la qualité des relations et par le sentiment de progresser au travail.
Au-delà de la simple transaction : la fidélité sociale
Pour mieux comprendre ce nouveau rapport à la fidélité, il est utile de se pencher sur les habitudes de consommation des jeunes. Les marques qui réussissent auprès de la génération Z sont celles qui offrent une expérience communautaire. Elles encouragent le partage et intègrent les consommateurs dans leur stratégie marketing. En entreprise, cette évolution amène les DRH à réévaluer leur culture managériale. La loyauté ne dépend plus uniquement d’un salaire élevé ou d’un CDI. Elle se construit autour de valeurs communes, d’un esprit d’équipe et d’un management participatif. Les études marocaines et internationales montrent que ces jeunes attachent une grande importance à un manager capable de motiver, d’écouter et de fédérer. Ces trois qualités sont essentielles pour qu’un leader soit perçu comme légitime.
L’esprit d’équipe : premier levier de fidélisation
L’esprit d’équipe est le critère numéro un dans la décision de rester ou de quitter l’entreprise, selon plusieurs baromètres. Au Maroc, où les relations interpersonnelles jouent un rôle central, cette dimension est encore plus importante. Un manager qui cultive la cohésion, organise des moments de partage (déjeuners, événements sportifs, team-buildings) et valorise la collaboration est perçu comme un catalyseur d’engagement. Les entreprises qui investissent dans la cohésion d’équipe constatent souvent que les jeunes talents trouvent un environnement favorable pour se développer. Certaines structures proposent même des cagnottes ou des budgets pour des activités collectives en dehors du cadre formel de travail (projets associatifs, ateliers créatifs, sorties culturelles). Ces initiatives renforcent le sentiment d’appartenance et la motivation.
Reconnaissance « existentielle » et management par le sens
La reconnaissance est un autre levier majeur de fidélisation. La génération Z exige des retours réguliers, loin de l’entretien annuel traditionnel qu’elle considère comme trop formel. Les nouvelles pratiques d’évaluation sont plus souples et plus fréquentes. Certaines entreprises utilisent des outils numériques pour donner des feedbacks en temps réel. Cependant, la reconnaissance ne se limite plus aux résultats chiffrés. Elle concerne également l’investissement humain, la créativité et l’esprit d’initiative. La génération Z, parfois qualifiée de « génération perle », veut être valorisée pour ses qualités relationnelles, sa contribution à la dynamique d’équipe et son implication dans des projets solidaires.
D’une fidélité subie à une fidélité choisie
Contrairement aux générations précédentes, qui restaient souvent dans la même entreprise par sécurité ou par devoir, les Z revendiquent le droit de choisir. Le poste fixe à long terme les séduit moins que l’opportunité d’apprendre et de s’épanouir. Pour eux, l’entreprise doit être un lieu où la dimension professionnelle s’intègre à des valeurs personnelles : la volonté de s’accomplir, de contribuer à des causes sociales, ou de grandir en fonction de ses aspirations. Ainsi, certaines entreprises marocaines introduisent des postes de « Chief Happiness Officer » ou de « Feel Good Manager », chargés de veiller au bien-être des équipes. Ces fonctions émergentes montrent bien la volonté de mettre le collaborateur au centre de la stratégie RH. De plus en plus, le DRH devient un « directeur des richesses humaines » ou un « développeur de la réussite humaine », en accord avec une gestion des talents plus respectueuse des individualités.
Le feedback permanent : clé d’un engagement durable
Une étude Deloitte indique que seuls 3 % des jeunes talents apprécient l’évaluation ponctuelle. Pour la génération Z, le feedback doit être continu, sans attendre un rendez-vous formel. Les retours réguliers, surtout collectifs, renforcent l’autonomie, la cohésion et la réactivité face aux défis. Certaines entreprises avant-gardistes expérimentent déjà l’évaluation d’équipe et le feedback continu. L’idée est de privilégier une dynamique collaborative : chacun reçoit des retours non seulement de son manager, mais aussi de ses pairs. Au-delà de la performance individuelle, on mise sur la réussite collective. Cela renforce le sentiment d’appartenance et l’envie de rester.
À la croisée de la quatrième révolution industrielle et des attentes de la génération Z, le management ne peut plus se contenter de méthodes traditionnelles. Les entreprises marocaines, confrontées à des défis économiques et démographiques, ont tout intérêt à repenser leur manière de fidéliser les talents. En intégrant plus de flexibilité, de reconnaissance et de valeurs humaines, elles réussiront à attirer et à retenir une génération qui exige plus de sens et de partage.